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le volume et la forme de la tumeur, qui est irréductible et absolument opaque. Ces différents signes prouvaient qu'il ne pouvait être question dans ce cas, ni d'une hydrocèle simple, ni d'une hernie, les deux affections les plus communes parmi celles qui ont leur siége à la région scrotale, aussi bien chez l'adulte que dans le jeune âge; on ne s'y arrêta donc pas. Dès lors, devant éloigner également les affections inflammatoires et de cause traumatique, le diagnostic différentiel devait être établi entre l'hématocèle spontanée, les kystes du testicule, le testicule cancéreux, scrofuleux ou tuberculeux.

Quoique ces trois dernières lésions s'observent plus souvent que les deux premières, on ne pouvait non plus raisonnablement s'y arrêter. Les circonstances commémoratives, l'état général de l'enfant, l'absence de douleur et d'engorgement ganglionnaire, l'état du cordon spermatique, l'examen que l'on venait de faire en un mot, ne s'accordaient pas avec l'existence de l'une ou de l'autre de ces trois affections. Restait par conséquent à distinguer entre l'hématocèle et les kystes du testicule : la ponction exploratrice pouvait seule fournir quelques données à ce diagnostic. L'aiguille cannelée est alors enfoncée en deux endroits différents de la tumeur et donne la sensation que l'on éprouve en cherchant à pénétrer dans un tissu dur et résistant. La première ponction laisse sortir quelques gouttes de liquide légèrement lactescent; la deuxième eut d'abord un résultat négatif, il ne s'écoula pas de liquide, mais ensuite, en retirant l'instrument, on amena au dehors un peu de matière transparente, de consistance gélatineuse. On eut ainsi la certitude qu'il s'agissait d'une tumeur kystique.

Mais quelle était la partie du testicule dans laquelle l'affection s'était développée? La glande était-elle détruite par la production pathologique, ou dans le cas où une opération serait décidée, pourrait-on la conserver? Répondre à la première question, c'était résoudre la deuxième. Or, et MM. Ch. Robin et Ordonez, dans leur Étude anatomique des tumeurs mixtes de l'épididyme (Archives générales de médecine, août 1856), ont insisté particulièrement sur ce point, on sait que les tumeurs kystiques du testicule siégent le plus ordinairement dans l'épididyme en respectant la glande même, et que les kystes formés dans le testicule, constituant l'affection étudiée par Curling sous le nom de maladie kystique, se rencontrent très-rarement.

De plus, il semblait que chez notre petit malade, cette légère saillie arrondie, située à la base de la tumeur, représentait le testicule refoulé et aplati par la production pathologique placée au-dessus et par conséquent à la place de l'épi didyme. Nous pouvions donc croire que cette dernière partie était le siége de l'affection et espérer conserver le testicule. Dans cette pensée, et les ponctions exploratrices ayant fait voir que les kystes ne pouvaient être vidés par le trocart, on devait avoir recours à l'incision, dans le traitement chirurgical de la tumeur. Le 23 avril, l'enfant est ramené à la consultation. Les caractères du mal n'ont pas changé, mais depuis huit jours, son étendue a encore augmenté; M. Henriette pense que le moment d'agir est venu ou jamais, et il nous charge de pratiquer l'opération.

Nous faisons une incision verticale sur la face antérieure du scrotum et divisons la tunique vaginale sur la sonde cannelée. La cavité séreuse ne renferme pas de liquide. Alors, après avoir attiré au dehors toute la tumeur, nous l'ouvrons en haut et en avant sur le point le plus fluctuant. Il s'échappe aussitôt une matière gélatineuse, colloïde. L'incision est poursuivie avec précaution en bas, à travers un tissu de consistance charnue entourant des kystes multiples, jusqu'au point où nous pensions trouver le testicule; mais la petite saillie que nous avions sentie à l'extrémité inférieure n'était autre qu'un kyste proéminent à la surface de la tumeur. Après avoir cherché inutilement la glande et examiné l'étendue et la nature du mal, nous vimes que son ablation devait être nécessairement pratiquée. Le cordon, qui était sain, est lié aussi bas que possible et la castration est bientôt terminée.

L'enfant a perdu peu de sang. Nous appliquons un pansement sec, après que des lotions d'eau froide eurent arrêté le suintement sanguin. Pour être à même de surveiller notre opéré, nous engageons vivement la mère à le laisser à l'hôpital. Elle s'y refuse malheureusement.

Le soir, nous trouvons l'enfant dans un état on ne peut plus satisfaisant, sans fièvre, prenant le sein comme d'habitude et ne paraissant nullement souffrir. La pression sur la région inguinale droite et l'abdomen ne détermine pas de douleur. Il n'y a pas eu d'écoulement sanguinolent. Le pansement est maintenu en place, à l'aide d'un suspensoir.

Le lendemain matin 24 avril, on vient nous annoncer que notre petit opéré perd beaucoup de sang et que son état est fort grave. Nous arrivons près de lui en toute hâte et voyons en effet que le linge sur lequel il est placé dans son berceau est couvert de caillots et imprégné de sang. Le pansement a été enlevé. La plaie est remplie de caillots. L'hémorrhagie a lieu par l'angle supérieur et, à l'aspect rutilant du sang qui s'écoule, il est évident que sa source est artérielle; la ligature nous paraît cependant tenir encore solidement.

Dans tous les cas, l'enfant étant dans un état voisin de la syncope, la face påle et décomposée, la respiration accélérée et suspirieuse, le pouls petit et fréquent, la peau froide et les membres dans la résolution, nous ne perdons pas de temps à aller à la recherche d'un vaisseau dont la ligature aurait été trèslaborieuse. Nous laissons soigneusement les caillots dans la plaie et par-dessus, là où le sang coule, nous tamponnons avec de la charpie imbibée de perchlorure de fer, dont nous nous étions muni. Ensuite, à l'aide de compresses et de bandes roulées, nous établissons une compression sur le scrotum et la région inguinale. L'hémorrhagie est ainsi arrêtée. Nous prescrivons le bouillon pour boisson et une potion tonique. Il est bon de dire que l'on nous appela trois heures après le commencement de l'hémorrhagie, les parents s'imaginant que c'était le mauvais sang qui s'écoulait. Nous revîmes notre pauvre opéré trois fois dans la soirée, ayant toujours la crainte d'une nouvelle perte de sang qui aurait été funeste. Il n'en a rien été et nous avons un moment repris un peu d'espoir. Mais le 25 au matin nous trouvons l'enfant à l'agonie. Il a cu

plusieurs accès convulsifs et la connaissance est abolie. Le facies est décomposé, très-pâle et la respiration dyspnéique. Il succombe dans la soirée.

La tumeur que nous avions enlevée était trop digne d'intérêt pour que son étude anatomique fût négligée; aussi, la description que nous allons en donner repose-t-elle sur un examen répété. L'extrême rareté d'une production semblable chez un nouveau-né, son origine congénitale pouvant faire croire à une tumeur fœtale incluse, la complication de sa structure, nous obligeaient à en faire une étude détaillée, avant qu'il nous fût possible de nous prononcer sur la nature et le siége exact de l'affection.

La tumeur a, nous l'avons dit, le volume et la forme d'un œuf de poule. Elle mesure en hauteur 5 centim., en largeur 3 centim. et en épaisseur également 5 centim. Elle est enveloppée par une membrane fibreuse, épaisse et résistante, qui n'est autre que l'albuginée doublée d'un côté par le feuillet viscéral de la tunique vaginale et, de l'autre, par une couche moins dense de tissu lamineux, dans lequel se rencontrent des fibres élastiques. Cette membrane peut être facilement décollée de la tumeur qu'elle entoure, excepté au sommet, qui corres pond au corps d'Highmore et à l'épididyme: là, elle reste très-adhérente. Après que cette enveloppe a été relevée, on a sous les yeux la production pathologique dont la surface, encore bien limitée par une couche fibreuse, est inégale, mamelonnée et offre par places une consistance molle ou une grande dureté. Une coupe médiane laisse voir une substance d'un gris rosé, brillante, qui forme en quelque sorte la base de la tumeur, et au milieu de laquelle sont logés un nombre indéterminé de kystes isolés, de dimensions et à contenu variés.

Disséminés dans toute la masse de la tumeur, superficiels ou profonds, ces kystes ont la grosseur d'une tête d'épingle à une petite noisette. Ils sont arrondis pour la plupart, clos par une membrane résistante; quelques-uns ont une forme allongée et une cavité anfractueuse. Le plus grand de ces kystes, placé au centre, peut admettre l'extrémité du petit doigt et mesure 15 millim. de diamètre; il contient un liquide incolore, d'apparence mucilagineuse.

Les autres kystes renferment une substance colloïde, gélatiniforme, transparente, adhérente au scalpel et qui se dissout lentement dans l'eau ; elle prend une teinte opaline et se durcit dans l'alcool. Cette matière est homogène et amorphe, montrant seulement quelques fines granulations et des éléments embryoplastiques semblables à ceux qui se trouvent dans le tissu environnant.

Les parois kystiques consistent en une membrane fibreuse tapissée à l'intérieur par une couche d'épithélium circulaire, dont les cellules (0mm,015) souvent aplaties par pression réciproque, possèdent un noyau (0mm,007) avec un nucléole.

Deux kystes, situés en avant et en haut, méritent une description spéciale. Le premier renferme dans son intérieur une petite tumeur libre, distincte, de la grosseur d'une fève, solide, constituée par du tissu adipeux, garni d'une couche de matière blanchâtre, steatomateuse, que l'eau ne mouille pas et qui a 1 millimètre d'épaisseur. Le second, placé un peu plus bas, renferme de la

matière steatomateuse, semblable à celle qui recouvre le lipôme du premier kyste, et qui est également constituée presque uniquement par des lamelles épithéliales irrégulières, minces et plissées, accolées ensemble, superposées les unes aux autres. Avec ces cellules qui mesurent 0mm,035 et davantage, la plupart dépourvues de noyaux, il y a quelques globules de graisse; on ne voit pas de cristaux de cholestérine. Au milieu de la matière sébacée qui les englue, ce kyste contient des poils fins et pâles qui sont placés de telle sorte que, tout en se croisant mutuellement, une de leurs extrémités est dirigée vers la surface et l'autre vers le centre du kyste. Ces poils, longs de 4 à 10 millim., épais de 0mm,025, sont insolubles dans les acides et les alcalis. Ils apparaissent au microscope sous la forme de filaments cylindriques, plus clairs au centre que sur les bords, garnis longitudinalement de stries ou lignes étroites noires, et en travers, par endroits, de petites lignes irrégulières; terminés en pointe, nous en avons rencontré plusieurs dont l'autre extrémité était renflée en manière de bulbe. Ce renflement, d'ailleurs, était rempli de cellules rondes, granuleuses. Au centre, mais non dans toute la longueur du poil, nous observons des cellules de la moelle, arrondies, un peu aplaties sur les bords qui se touchent, pour former une traînée de cellules, munies chacune d'un noyau clair et contenant de fines granulations. En employant la potasse et l'acide sulfurique nous voyons les lamelles de l'épiderme hérisser les bords de dentelures et avons pu isoler quelques éléments de ces poils. Les parois de ce kyste dermoïde sont formées d'éléments fibro-plastiques, noyaux et cellules fusiformes, rangés en couches transversales avec des granules et un peu de graisse.

La substance dans laquelle les kystes et les noyaux de cartilage, dont nous parlerons, sont placés et qui forme la majeure partie de la tumeur, est de nature fibro-plastique. Là où le tissu cellulaire est rare, cette substance, molle et élastique à la fois, se laisse écraser entre deux plaques de verre; ailleurs elle a la consistance de la chair et se laisse déchirer. Elle montre les éléments microscopiques du sarcôme : noyaux, fibres et toutes les formes intermédiaires. Les cellules fusiformes de 0mm,01 en longueur et 0mm,003 en largeur au centre, à contours marqués, presque toutes dépourvues de noyaux, sont très-nombreuses. Elles sont disposées parallèlement et constituent des rangées au milieu desquelles les cellules arrondies (0mm.,007 à 0mm-,015), à noyaux centraux trèsapparents et les noyaux libres, la plupart ovoïdes, sont amassés et agglomérés par des granulations moléculaires. On rencontre parfois de grandes fibres en fuseau, renflées au milieu, où on distingue nettement un noyau de même forme et nucléolé. L'acide acétique éclaircit la préparation sans la détruire, la glycérine lui donne une grande transparence. Nous n'avons pas vu de globules de graisse ni d'autres éléments accidentels.

Dans plusieurs endroits de ce tissu fibro-plastique existent des amas de chondrôme, dont la disposition et la configuration ne donnent aucunement l'idée de parties qui pourraient provenir d'une organisation fœtale. Ils consistent en

une réunion de petits corps irrégulièrement cylindriques, de 1 à 1 172 millimètre d'épaisseur, d'un blanc demi-transparent, offrant la dureté élastique du cartilage, entourés de tissu fibreux, se divisant et se continuant avec des prolongements fibreux qui ont l'apparence de tubes.

D'ailleurs, à côté de ces productions cartilagineuses, nous avons trouvé de véritables tubes incrustés de substance calcaire dans la cavité desquels un stylet fin a pu être introduit. En traitant sous le microscope une parcelle de la paroi ossifiée d'un de ces tubes par un acide, des bulles de gaz acide carbonique se sont dégagées en abondance.

Les parties cartilagineuses présentent, avec du tissu fibroïde, des chondroplastes arrondis, ovoïdes, irréguliers, ramifiés, de 0mm.,025 à 0mm.,055, à contours très-marqués et renfermant soit une ou plusieurs cellules granuleuses de Omm.,01, soit des vésicules graisseuses.

A la base de la tumeur, une portion arrondie d'un gris jaunâtre, résistante à la pression et à la section, enveloppée d'une couche de tissu cellulaire, et qui au premier abord pouvait être considérée comme représentant le testicule, est uniquement formée par de grands globules de graisse.

Enfin, en suivant le cordon spermatique coupé très-près de la tumeur et qui est sain, on arrive sur un corps aplati, d'apparence lobulée, couvert par le feuillet réfléchi de la tunique vaginale et situé en dehors du point où l'albuginée reste en connexion intime avec la tumeur. Ce corps est un vestige de l'épididyme. Sa substance est élastique et fournit par la traction opérée à l'aide de deux aiguilles à dissection, de longs filaments assez résistants. Elle est formée de tissu fibreux, d'éléments fibro-plastiques, parmi lesquels il y a de grandes cellules mères de 0mm.,02 à 0mm.,025 de diamètre, renfermant de six à dix noyaux, dont chacun mesure seulement de 0mm.,002 à 0mm.,003, et aussi des débris de canalicules grêles, pâles, contenant de distance en distance des cellules arrondies ou un peu allongées de 0mm.,007 avec un petit noyau nucléolé. Parmi ces canalicules un seul, qui est sans doute un capillaire sanguin, est bifurqué à l'une de ses extrémités, et un autre offre dans sa continuité un renflement rempli de cellules semblables à celles que l'on voit dans l'intérieur de la plupart des canalicules.

L'examen que nous venons de rapporter nous permet de conclure que :

1° La tumeur dont il a été question est une production homœomorphe, mixte, cystique, fibro-plastique, lipomateuse et chondromateuse;

2o Le kyste renfermant de la matière sébacée et des poils est un kyste dermoïde;

3o D'après la nature des tissus composants, leur enkystement par l'albuginée, et malgré la présence de matière colloïde, on aurait pu espérer la guérison sans récidive;

4o La circonstance que la tumeur était congénitale, la présence de poils dans un des kystes et de tissu cartilagineux ne suffisent pas pour faire admettre

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