Pagina-afbeeldingen
PDF
ePub

siècle dernier. Je ne lancerai pas l'anathème contre un siècle que j'ai loué et dont nous avons tous gardé quelque empreinte. Mais quand on se retourne vers le passé, à vingt ans de distance, déjà la perspective n'est plus la même, tant nous vivons sous l'empire d'une irrésistible mobilité d'opinions et de sentiments!

Cet effet du temps est d'autant plus sensible que les principes et les systèmes du xviie siècle ont été mis de nos jours à une plus éclatante épreuve, La raison philosophique avait revendiqué l'empire des sociétés avec une ambition hautaine, et cet empire lui a été donné. Nous l'avons vue promulguer avec une entière indépendance des constitutions et des lois, développer sa souveraineté sans entraves et sans autre empêchement que sa propre impuissance.

Quelle fut la véritable cause de cette fai

blesse imprévue au sein du triomphe? l'isolement orgueilleux où de propos délibéré s'était placée la raison. Elle se sépara de sa source divine. Pâle reflet d'une autre lumière, elle se crut l'unique flambeau de l'humanité.

Cette erreur engendra toutes les autres. Elle faussa les esprits les plus solides et corrompit les plus beaux génies. Penser, c'est aimer la vérité, car c'est la chercher. Il n'y a donc pas à suspecter la bonne foi des grandes intelligences du xvIIe siècle : elles se croyaient sur la trace du vrai, et la passion avec laquelle elles s'y attachèrent, témoigne de leur

sincérité.

D'ailleurs elles n'inventèrent pas l'erreur capitale que nous signalons; elles la reçurent. Le combat entre la tradition et la pensée individuelle s'est livré à toutes les époques de la vie du genre humain. Pour n'indiquer que les

plus grandes, Platon et Aristote, le christianisme et le stoïcisme, la science catholique et le rationalisme moderne nous ont donné le spectacle de cette lutte, cause suprême des révolutions sociales. Si dans le siècle dernier, cette guerre fut plus ardente, elle n'était pas

nouvelle.

Pour tirer la philosophie du mauvais pas où de nos jours on l'a si imprudemment engagée, il faudra se demander avant tout quel est le vrai point de départ de la vie et de la science, la pensée abstraite ou la tradition du genre humain. Que sincèrement l'homme s'interroge, se trouvera-t-il indépendant et n'ayant d'autre loi que sa volonté propre? Dans tout il peut reconnaître sa dépendance, dans sa faiblesse comme dans sa grandeur. L'homme est faible, car il dépend de la fragilité de son organisme, et de l'inflexible puissance du monde physique. Il est grand, car il trouve dans sa nature morale les caractères incomplets mais réels d'une force supérieure et divine. Voilà la trace

précieuse par laquelle il peut remonter à la contemplation de l'universelle vérité.

Qu'une profonde analyse nous livre enfin la connaissance entière de l'homme, dans sa constitution physique comme dans son essence morale, et nous ne doutons pas que cette anthropologie ne nous prépare et ne nous conduise à la science des rapports de l'homme avec Dieu, à la théosophie.

L'histoire ne devait pas avoir une médiocre part dans les erreurs du xvin siècle. Puisque la raison s'idolâtrait elle-même dans les progrès qu'elle croyait avoir accomplis, et se vantait de faire tomber enfin un long amas de préjugés et de superstitions, elle devait avoir à l'égard du passé non-seulement un dédain altier, mais une partialité haineuse. Aussi dans les tableaux qu'elle traça du moyen âge, elle se déclara l'adversaire du christianisme, calomnia l'Église, en méconnut le ministère social, les mérites, opposa constamment la

morale à la religion, et représenta celle-ci comme embarrassant la marche du genre hu

main.

Dans des pensées diverses qui ne furent connues qu'après sa mort, Montesquieu avait consigné ce jugement : « Voltaire n'écrira jamais une bonne histoire. Il est comme les moines, qui n'écrivent pas pour le sujet qu'ils traitent, mais pour la gloire de leur ordre. Voltaire écrit pour son couvent. » C'était relever avec une ingénieuse sévérité les faiblesses et les travers en dépit desquels l'auteur de l'Essai sur les mœurs des nations et du Siècle de Louis XIV reste un des maîtres de l'histoire par la ravissante simplicité du style et l'entraînante rapidité du récit. Ajoutez à ces dons une merveilleuse justesse dans l'esprit, quand la manie de l'irréligion ne vient pas le troubler et l'obscurcir.

Nous dirions volontiers de Montesquieu qu'il eut la passion de l'impartialité, d'autant

« VorigeDoorgaan »