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CHAPITRE XI.

CORINTHE.

Dans l'isthme de Corinthe s'élevait une colonne portant une double inscription. Du côté qui regardait le Péloponèse on lisait : C'est ici le Péloponèse et non pas l'Ionie. Sur la partie de la colonne qui faisait face au territoire de Mégare, il y avait ces mots : Ce n'est pas ici le Péloponèse, mais l'Ionie'. Entre les deux mondes hostiles des Doriens et de l'Ionie, Corinthe était comme un point d'intersection. Cependant par ses origines, elle tenait aux Doriens, car elle en fut la conquête, quand ceux-ci, sous la conduite des Héraclides, subjuguèrent le Pélo

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ponèse. Aussi dans les débats intérieurs de la Grèce, Corinthe épousa presque toujours les intérêts et les desseins de Lacédémone.

Le génie aristocratique des Doriens, sans abolir l'antique royauté, la subordonna. L'un des Héraclides eut le nom de roi. Il commandait l'armée et présidait aux délibérations de cette aristocratie militaire. Plus tard l'oligarchie fit disparaître cette royauté plus honorifique que puissante, et revendiqua pour elle-même tous les droits de la souveraineté. C'est l'époque des descendants de l'Héraclide Bacchis. Les Bacchiades, au nombre de plus de deux cents, parmi lesquels il faut compter sans doute quelques autres familles qui leur étaient alliées, gouvernèrent Corinthe en commun1. Chaque année, l'un d'entre eux, élu par ses pareils, exerçait, sous le nom de Prytane, un pouvoir dont les attributions rappelaient beaucoup celles de la royauté. Un jour, cette autorité annuelle tomba entre les mains d'un ambitieux qu'elle ne contenta pas, et Cypselus se fit le maître, non-seulement du peuple, mais de ses égaux.

Herodot. Terps., lib. V, cap. xcII.

Cette tyrannie passa aux mains de Périandre, fils de Cypselus. Les commencements de Périandre furent populaires, mais une triste aventure lui troubla l'esprit et le rendit cruel. Cratéia, sa mère, avait conçu pour lui un criminel amour qu'elle parvint à satisfaire, soit par ruse, soit à force d'obsessions. Ce coupable commerce fut divulgué dans Corinthe; et dès lors Périandre, croyant n'avoir plus rien à ménager, commença de s'abandonner à toutes les mauvaises pentes de son caractère et de la tyrannie. Il proscrivit les citoyens les plus puissants. Il tua Mélisse son épouse, en lui donnant des coups de pied dans le ventre, pendant qu'elle était grosse, puis voulant lui faire, en guise d'expiation, de magnifiques funérailles, il rassembla les femmes de Corinthe dans le temple de Junon, où ses gardes les dépouillèrent de leurs parures et de leurs vêtements, qui furent brûlés en l'honneur de Mélisse.

Cependant Périandre refréna le luxe; il défendit aux citoyens d'avoir un trop grand nombre d'esclaves; il ordonna aux propriétaires de demeurer dans leurs domaines pour les cultiver; il voulut que personne ne dépensât au delà de ses

revenus, et il n'établit pas de nouveaux impôts. Enfin il augmenta la marine de Corinthe, et il conçut le projet de percer l'isthme. C'étaient là des pensées d'homme d'État.

Il écrivait: il composa jusqu'à deux mille vers renfermant des sentences morales. Il avait des éloges pour le gouvernement démocratique, et disait que lui-même ne gardait la tyrannie que parce qu'il était trop dangereux de la quitter. Il recommandait la modération dans le bonheur, et il estimait que l'amitié ne devait pas changer avec la fortune.

Le cœur de l'homme est assez vaste pour renfermer le mal et le bien. D'ailleurs la puissance suprême usurpée sur des égaux était pour ceux qui l'exerçaient un double aiguillon qui les excitait aux bonnes actions comme aux méchantes. Si l'ivresse du pouvoir enflammait les sens et les passions de l'usurpateur, si la défiance lui conseillait la cruauté, son intérêt lui commandait d'assurer à sa ville tous les avantages d'un bon gouvernement. Aussi, pour peu qu'il fût habile, il savait se concilier le peuple qui aime toujours la force, lorsqu'elle pèse sur les têtes les plus

hautes, et semble le protéger ou seulement l'épargner.

Après Périandre, qui mourut dans son lit, Corinthe redevint un gouvernement aristocratique et ne connut plus la tyrannie d'un seul. Le peuple avait des assemblées, mais la direction de toutes les grandes affaires appartenait au sénat 1. Riche, prudente, appliquée à l'administration de l'État, l'aristocratie de Corinthe veillait avec un soin jaloux au maintien de sa prépondérance, et elle dut à l'énergie d'un des siens d'échapper à une tyrannie nouvelle. Issu d'une famille illustre, Timophane était devenu l'idole du peuple. Son audace, ses prouesses à la guerre, son opulence, ses largesses aux indigents, sa familiarité avec les citoyens les plus obscurs avaient enchanté la multitude, qui semblait l'inviter à mettre la main sur le gouvernement de la république. Mais Timophane avait auprès de lui un juge incorruptible de ses actions dans son frère qui, tout en l'aimant beaucoup, après avoir longtemps excusé ou dissimulé ses fautes, finit par l'immoler pour que Corinthe ne fût pas asservie.

1 Plutarch. Dion, t. V, p. 339.

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