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V. - PRÉSENTATION DE BLESSÉS.

M. le docteur Guillery, professeur à la Faculté de médecine et chirurgien à l'hôpital Saint-Pierre, présente deux blessés français, recueillis dans les ambulances de Bruxelles.

Labonne (Joseph), âgé de 27 ans, vigneron, né à Pont-àMousson, soldat de 2me classe au 4me régiment d'infanterie de marine, faisait partie du 12me corps d'armée commandé par le maréchal de Mac-Mahon lorsqu'il fut blessé à Bazeilles (bataille de Sedan), le 1er septembre, à sept heures du matin.

Une balle de fusil l'a atteint au milieu de la clavicule droite qu'elle a fracturée.

Après avoir passé toute la journée sur le champ de bataille, le blessé fut transporté à l'ambulance prussienne de Lamoncelle, où il séjourna pendant huit jours. De Lamoncelle il fut transporté à la 5 ambulance internationale de Paris, établie au château de la Ramorie et dirigée par M. Deschamps. Enfin, il quitte la France le 17, arrive à Bruxelles le 18 où il est admis à l'ambulance I (MM. Jones, frères, rue de Laeken).

Depuis le jour de sa blessure jusqu'au jour de son entrée à l'ambulance I, Labonne n'a pas reçu d'autres soins que des pansements à l'eau fraîche.

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Le 19 septembre il est examiné par le docteur Guillery, aidé de tous ses collègues de l'ambulance (1), auxquels se sont joints M. le docteur Rieken, médecin du roi, et M. le docteur De Marneffe, médecin du 1 régiment d'artillerie. Le blessé raconte qu'au moment où il a été atteint par la balle, la commotion a été si violente qu'il s'est cru privé de tout le membre supé rieur droit et qu'il a instinctivement porté la main gauche dans le dos pour y chercher le bras droit.

La balle peu déformée n'a pas pénétré dans la plaie : Labonne l'a retrouvée le lendemain dans son pantalon.

(1) MM. Charlier, Corvilain, Delvaux, Martha et Van Hoorde,

La plaie présente une forme irrégulière et donne issue à une suppuration abondante dont l'odeur ne dénote que trop une nécrose avancée.

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L'état du blessé est peu satisfaisant teint jaune, fièvre ardente, transpirations abondantes, perte d'appétit, etc.

De l'avis de tous, Labonne est chloroformé : chacun des assistants étudie le foyer de la fracture en y pénétrant avec le doigt. Les fragments osseux sont irréguliers, pointus, mobiles en partie; le foyer est profond et s'étend jusqu'à la partie moyenne de la première côte.

M. Guillery propose la résection de la clavicule depuis l'extrémité articulaire interne jusqu'à l'articulation coracoïdienne. Cette proposition étant unanimement adoptée, est exécutée sans désemparer. L'opérateur, au moyen d'une spatule, détache avec soin les insertions musculaires de la clavicule, puis se servant de la scie à chaîne, il donne un trait de scie à proximité de l'articulation sternale et un autre à proximité de l'articulation coracoïdienne, les segments osseux sont enlevés avec plusieurs esquilles provenant de la clavicule. L'opération paraissait terminée lorsque le doigt introduit dans la plaie découvrit une nouvelle esquille dans la direction de la partie médiane de la première côte. Cette esquille encore adhérente à la côte fut détachée et enlevée. L'opérateur pendant ce dernier temps sentit les vibrations de la surface élastique sur laquelle il opérait, il lui semblait qu'il opérait sur une peau de tambour. La quantité de sang perdue était peu considérable. On cessa le chloroforme. Labonne revint à lui et fut replacé dans son lit. L'anesthésie avait duré plus d'une heure.

Le pansement fut fait avec de la charpie imbibée d'un mélange d'acide phénique et d'huile d'olives dans la proportion d'un à neuf. A chaque pansement la plaie est lavée avec une solution légère de permanganate de potasse.

La plaie prit immédiatement un aspect rassurant; mais les tissus voisins continuèrent à être en proie à l'inflammation. Un vaste abcès développé en dedans de l'aponévrose de Gerdy se délcara dans l'aisselle: il fut ponctionné, donna un pus fétide et ne tarit que plusieurs semaines après. Tout le membre supérieur droit devint le siége d'une infiltration abondante. Cette infiltration devait-elle être attribuée à ce que l'aponévrose du muscle sous-clavier ne tenant plus béante la veine sous-jacente, le sang était gêné dans son retour à l'organe central? Etait-ce une ostéite, une lymphangite? Peut-être les deux à la fois? Toujours est-il que la tension de la peau était si considérable que plusieurs mouchetures et une large incision à l'avant-bras furent jugées indispensables. Pendant ce temps l'état général du blessé ne s'améliorait guère: il éprouvait une grande faiblesse, de l'abattement, une sensibilité exagérée, une fièvre intense: l'appétit seul restait assez bon. Le perchlorure de fer fut administré à l'intérieur. Régime reconstituant sans excitants.

Malgré les mouchetures et l'incision, malgré des cataplasmes émollients continuels et des bains fréquents, le bras malade restait douloureux; mais bientôt une fluctuation manifeste şe déclara dans la profondeur de l'avant-bras et avant que l'on eût eu le temps d'agir, deux ouvertures se déclarèrent l'une dans le fond de l'incision, l'autre à proximité de l'olécrâne. Le pus était lié, sans fétidité : la sonde, introduite dans l'ouverture de l'incision, rencontrait le tissu osseux dénudé. A partir de ce moment tous les symptômes s'amendèrent et Labonne entra franchement en convalescence.

Quant aux fragments de la clavicule : l'interne, après avoir parcouru tous les degrés de l'inflammation, sortit en suppuration, l'externe fut extrait par la plaie primitive, corrodé et réduit à la moitié de son volume.

Il était donc inutile de les conserver et l'ablation complète de la clavicule aurait probablement abrégé les souffrances de l'opéré.

Un peu en arrière de la place qu'occupait la clavicule on sent sous la peau un tissu dur présentant la forme et la solidité d'un os allongé. Evidemment c'est une clavicule nouvelle qui s'étend depuis la première côte jusqu'à l'apophyse coracoïde on dirait qu'elle a été attirée en arrière par la rétraction des fibres du muscle trapèze. Le jour de sa présentation à l'Académie, Labonne est dans l'état le plus satisfaisant. La plaie est à peu de chose près cicatrisée et petit à petit le bras retrouve tous ses mouvements.

Greffeuil (Jean), âgé de 23 ans, cultivateur, né à Ath (Hérault), soldat au 22 régiment de ligne (6 corps, commandant De Failly), reçut une balle dans la partie supérieure du bras gauche, le 30 août, vers six heures du soir, à Mousson. La balle avait traversé le bras d'avant en arrière en fracturant l'humérus. Transporté dans l'église du village, le blessé y passa deux nuits et un jour après lesquels il fut admis chez un habitant de Mousson, où il séjourna jusqu'au 15 septembre. Dirigé sur la Belgique, il arriva à l'ambulance de Cureghem, le 17.

Jusqu'à ce jour la blessure avait été pansée avec des compresses imbibées d'eau fraiche. A son arrivée à Cureghem, le blessé est en proie à une fièvre ardente, il a perdu l'appétit et s'affaiblit de jour en jour. En explorant le foyer de la fracture avec le doigt, on constate la présence de plusieurs fragments osseux irréguliers, très-adhérents. La suppuration est abondante et d'une odeur de nécrose très-prononcée. La plaie est lavée fréquemment avec la solution de permanganate de potasse, et pansée avec l'huile phéniquée. Le malade garde le lit. Son état empire malgré les soins les plus assidus, l'appétit ne revient pas et des transpirations abondantes l'épuisent.

Huit jours après son entrée à l'ambulance, le malade est examiné par MM. les docteurs Corvilain, Delvaux et Guillery, appelés en consultation par leurs confrères de Cureghem (1). Il fut unanimement reconnu que l'ablation des fragments irréguliers et nécrosés de l'humerus pouvait seule mettre un terme à l'épuisante suppuration de la plaie, et comme conséquence on se décida à la résection d'une portion considérable de la partie supérieure de l'humérus. M. Guillery fut chargé d'exécuter l'opération.

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Le blessé, déjà chloroformé pour l'examen préliminaire, fut maintenu dans l'anesthésie. L'opérateur agrandit, par une incision verticale et profonde, l'ouverture d'entrée de la balle. Il appliqua sur chacun des bords de la plaie des ligatures comprenant toute l'épaisseur de la peau et des muscles sousjacents ces ligatures arrêtent l'hémorrhagie produite par l'incision les fils dont elles sont composées ne sont coupés qu'à une certaine distance, de manière à former des bouts libres dont les aides s'emparent; par une traction modérée, ils tiennent la plaie béante plus facilement qu'avec des tenaculums. L'opérateur plie le bras à angle droit (angle dont la fracture représente le sommet) et fait saillir l'extrémité inférieure de l'humérus à travers les bords écartés de l'incision. Au moyen de la scie à chaîne, il enlève toute la portion irrégulière du cylindre osseux; mais reconnaissant immédiatement qu'il a donné son trait de scie dans un tissu malade, il porte l'instrument plus bas et enlève une rondelle dont la surface inférieure parait saine. Passant à la portion supérieure de l'humerus, l'opérateur commence par détacher avec les doigts. une esquille considérable et dont la partie supérieure appartient à la portion articulaire de l'os.

Devant ce fait chacun vote pour la désarticulation complète. M. Guillery l'éxécute sans désemparer.

(1) MM. DE CAMPS, GOETSEELS et WAUTERS.

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