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J'ai cherché le moment pour écrire à M. de Vautravers, à qui je dois des remerciements, je n'ai pu le trouver dans ce tourbillon de Paris, où je suis entraîné; je suis ici dans mon hôtel de SaintSimon, comme Sancho dans son île de Barataria, en représentation toute la journée. J'ai du monde de tous états, depuis l'instant où je me lève, jusqu'à celui où je me couche, et je suis forcé de m'habiller en public. Je n'ai jamais tant souffert; mais heureusement cela va finir.

On écrit de Genève que vous êtes en relation avec M. de Voltaire; je suis persuadé qu'il n'en est rien, non que cela me fit aucune peine, mais parce que vous ne m'en avez rien dit. Je suis obligé de partir, sans pouvoir vous donner aucune adresse pour Londres ; mais, par le moyen de M. de Luze, j'espère que notre communication sera bientôt ouverte. J'ai le cœur attendri des bontés de madame la commandante, et de l'intérêt qu'elle prend à mon sort. Je connois son excellent cœur, elle est votre mère; je suis malheureux, comment ne s'intéresseroit-elle pas à moi? Quand je pense à vous, j'ai cent mille choses à vous dire; quand je vous écris, rien ne me vient, j'achève de perdre entièrement la mémoire. Grâce au ciel, ce n'est pas d'elle que dépendent les souvenirs qui m'attachent à vous. Je vous embrasse tendrement.

657.

A MADAME DE CRÉQUI.

Au Temple, le 1er janvier 1766.

Le désir de vous revoir, madame, formoit un de ceux qui m'attiroient à Paris. La nécessité, la dure nécessité, qui gouverne toujours ma vie, m'empêche de le satisfaire. Je pars avec la cruelle certitude de ne vous revoir jamais mais mon sort n'a point changé mon âme; l'attachement, le respect, la reconnoissance, tous les sentiments que j'eus pour vous dans les moments les plus heureux, m'accompagneront dans mes richesses jusqu'à mon dernier soupir (*).

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JE pars, chère Marianne, avec le regret de n'avoir pu vous revoir. Je n'ai pas plus oublié que vous ma promesse; mais ma situation la rendoit conditionnelle plaignez-moi sans me condamner. Depuis que je vous ai vue, j'ai un nouvel intérêt de n'être pas oublié de vous. Je vous écrirai, je vous donnerai mon adresse. Je désire extrêmement

(*) M'accompagneront dans mes richesses... C'est le texte de l'édition originale donnée par Pougens en 1798 (petit in-12, page 33). Mais le mot richesses n'offre ici aucun sens ; c'est sans doute détresses ou traverses qu'il y faudroit substituer. (Note de M. Petitain.)

que vous m'aimiez, que vous ne me fassiez plus de reproches, et encore plus de n'en point mériter. Mais il est trop tard pour me corriger de rien; je resterai tel que je suis, et il ne dépend pas plus de moi d'être plus aimable, que de cesser de vous aimer.

659.

A Mme LA COMTESSE DE BOUFFLERS.

Londres, 18 janvier 1766.

Nous sommes arrivés ici, madame, lundi dernier, après un voyage sans accident; je n'ai pu, comme je l'espérois, me transporter d'abord à la campagne. M. Hume a eu la bonté d'y venir hier faire une tournée avec moi, pour chercher un logement. Nous avons passé à Fulham, chez le jardinier auquel on avoit songé; nous avons trouvé une maison très-malpropre, où il n'a qu'une seule chambre à donner, laquelle a deux lits, dont l'un est maintenant occupé par un malade, et qu'il n'a pas même voulu nous montrer. Nous avons vu quelques endroits sur lesquels nous ne sommes pas encore décidés mon désir ardent étant de m'éloigner davantage de Londres, et M. Hume pensant que cela ne se peut, sans savoir l'anglois ; je ne puis mieux faire que de m'en rapporter entièrement à la direction d'un conducteur si zélé. Cependant je vous avoue madame, que je ne renoncerois pas facilement à la solitude dont je m'étois flatté et où je comptois nourrir à mon aise les

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précieux souvenirs des bontés de M. le prince de Conti et des vôtres.

M. Hume m'a dit qu'il couroit à Paris une prétendue lettre que le roi de Prusse m'a écrite. Le roi de Prusse m'a honoré de sa protection la plus décidée et des offres les plus obligeantes; mais il ne m'a jamais écrit. Comme toutes ces fabrications ne tarissent point, et ne tariront vraisemblablement pas si tôt, je désirerois ardemment qu'on voulût bien me les laisser ignorer, et que mes ennemis en fussent pour les tourments qu'il leur plaît de se donner sur mon compte, sans me les faire partager dans ma retraite. Puissé-je ne plus rien savoir de ce qui se passe en terre-ferme, hors ce qui intéresse les personnes qui me sont chères ! J'apprends, par une lettre de Neuchâtel, que mademoiselle Le Vasseur est actuellement en route pour Paris; peut-être au moment où vous recevrez cette lettre, madame, sera-t-elle déjà chez madame la maréchale je prends la liberté de la recommander de nouveau à votre protection, et aux bons conseils de miss Beckett. Je souhaite qu'elle vienne me joindre le plus tôt qu'il lui sera possible: elle s'adressera à Calais, à M. Morel Disque, négociant; et à Douvres, à M. Minet, maître des paquebots, qui l'adressera à M. Steward, à Londres.

Je ne puis rien vous dire de ce pays, madame, que vous ne sachiez mieux que moi; il me paroît qu'on m'y voit avec plaisir, et cela m'y attache. Cependant, j'aimerois mieux la Suisse que l'Angle

terre, mais j'aime mieux les Anglois que les Suisses. Votre séjour chez cette nation, quoique court, lui a laissé des impressions qui m'en donnent de bien favorables sur son compte. Tout le monde m'y parle de vous, même en songeant moins à moi qu'à soi. On s'y souvient de vos voyages, comme d'un bonheur pour l'Angleterre, et je suis sûr d'y trouver partout la bienveillance, en me vantant de la vôtre. Cependant, comme tout ce qu'on dit ne vaut pas, à mon gré, ce que je sens, je voudrois de l'hôtel de Saint-Simon avoir été transporté dans la plus profonde solitude: j'aurois été bien sûr de n'y jamais rester seul. Mon amour pour la retraite ne m'a pourtant pas fait encore accepter aucun des logemeuts qu'on m'a offerts en campagne. Me voilà devenu difficile en hôte.

Lorsque vous voudrez bien, madame, me faire dire un mot de vos nouvelles, soit directement, soit par M. Hume, permettez que je vous prie de m'en faire donner aussi sur la santé de madame la maréchale.

Après avoir écrit cette lettre, j'apprends que M. Hume a trouvé un seigneur du pays de Galles, qui, dans un vieux monastère où loge un de ses fermiers, lui fait offre pour moi d'un logement précisément tel que je le désire. Cette nouvelle, madame, me comble de joie. Si dans cette contrée, si éloignée et si sauvage, je puis passer en paix les derniers jours de ma vie oublié des homcet intervalle de repos me fera bientôt onblier toutes mes misères, et je serois redevable à

mes,

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