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si à la hâte, que je ne sais ce que je dis, sinon quand je vous assure que je vous aime de tout

mon cœur.

Le portrait est fait, et on le trouve assez ressemblant; mais le peintre n'en est pas content.

494.A M. D'IVERNOIS.

Motiers, le 15 septembre 1764.

LA difficulté, monsieur, de trouver un logement qui me convienne me force à demeurer ici cet hiver; ainsi vous m'y trouverez à votre passage. Je viens de recevoir, avec votre lettre du 11, le mémoire que vous m'y annoncez je n'ai point celui de E à G, et je n'ai aucune nouvelle de C, ce qui me confirme dans l'opinion où j'étois sur son sort.

Je suis charmé, mais non surpris, de ce que vous me marquez de la part de M. Abauzit. Cet homme vénérable est trop éclairé pour ne pas voir mes intentions, et trop vertueux pour ne pas les approu

ver.

Je savois le voyage de M. le duc de Randan : deux carrossées d'officiers du régiment du Roi, qui l'ont accompagné, et qui me sont venus voir, m'en ont dit les détails. On leur avoit assuré à Genève que j'étois un loup-garou inabordable. Ils ne sont pas édifiés de ce qu'on leur a dit de moi dans ce pays-là.

J'aurai soin de mettre une marque distinctive aux papiers qui me viennent de vous, mais je vous avertis que, si j'en dois faire usage, il faudra qu'ils me restent très-long-temps, aussi-bien que tout ce qui

est entre mes mains et tout ce dont j'ai besoin encore. Nous en causerons quand j'aurai le plaisir de vous voir, moment que j'attends avec un véritable empressement. Mes respects à madame d'Ivernois et mes salutations à nos amis. Je vous embrasse.

Je crois vous avoir marqué que j'avois ici la harangue de M. Chouet.

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Le temps qu'il fait ni mon état présent ne me permettent pas, monsieur, de fixer le jour auquel il me sera possible d'aller à Cressier. Mais s'il faisoit beau et que je fusse mieux, je tâcherois, d'aujourd'hui ou de demain en huit, d'aller coucher à Neuchâtel; et de là, si votre carrosse étoit chez vous, je pourrois, puisque vous le permettez, le prendre pour aller à Cressier. Mon désir d'aller passer quelques jours près de vous est certain; mais je suis si accoutumé à voir contrarier mes projets, que je n'ose presque plus en faire; toutefois voilà le mien quant à présent, et, s'il arrive que j'y renonce, j'aurai sûrement regret de n'avoir pu l'exécuter. Mille remerciements, monsieur, et salutations de tout mon

cceur.

Je ne comprends pas bien, monsieur, pourquoi vous avez affranchi votre lettre. Comme je n'aime pas pointiller, je n'affranchis pas la mienne. Quand on s'écarte de l'usage, il faut avoir des raisons; j'en aurois une, et vous n'en aviez point que je sache.

496. A. M. DANIEL ROGUIN,

Motiers, le 22 septembre 1764.

Je suis vivement touché, très-cher papa, de la perte que nous venons de faire; car, outre que nul événement dans votre famille ne m'est étranger, j'ai pour ma part à regretter toutes les bontés dont m'honoroit M. le banneret. La tranquillité de ses derniers moments nous montre bien que l'horreur qu'on y trouve est moins dans la chose que dans la manière de l'envisager. Une vie intègre est à tout événement un grand moyen de paix dans ces momentslà, et la sérénité avec laquelle vous philosophez sur cette matière vient autant de votre cœur que de votre raison. Cher papa, nous n'abrègerons pas, comme le défunt, notre carrière à force de vouloir la prolonger; nous laisserons disposer de nous à la nature et à son auteur, sans troubler notre vie par l'effroi de la perdre. Quand les maux ou les ans auront mûri ce fruit éphémère, nous le laisserons tomber sans murmure; et tout ce qu'il peut arriver de pis en toute supposition est que nous cesserous alors, moi d'aimer le bien, vous d'en faire.

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Je vous remercie, monsieur, de votre dernière pièce (*) et du plaisir que m'a fait sa lecture. Elle

(*) Épître d'un père à son fils sur la naissance d'un petit-fils. Elle fait partie des OEuvres de Chamfort.

décide le talent qu'annonçoit la première, et déjà l'auteur m'inspire assez d'estime pour oser lui dire du mal de son ouvrage. Je n'aime pas trop qu'à votre âge vous fassiez le grand-père, que vous me donniez un intérêt si tendre pour le petit-fils que vous n'avez point, et que, dans une épître où vous dites de si belles choses, je sente que ce n'est pas vous qui parlez. Évitez cette métaphysique à la mode, qui depuis quelque temps obscurcit tellement les vers françois, qu'on ne peut les lire qu'avec contention d'esprit. Les vôtres ne sont pas dans ce cas encore; mais ils y tomberoient si la différence qu'on sent entre votre première pièce et la seconde alloit en augmentant. Votre épître abonde, non-seulement en grands sentiments, mais en pensées philosophiques, auxquelles je reprocherois quelquefois de l'être trop. Par exemple, en louant dans les jeunes gens la foi qu'ils ont et qu'on doit à la vertu, croyez-vous que leur faire entendre que cette foi n'est qu'une erreur de leur âge soit un bon moyen de la leur conserver? Il ne faut pas, sieur, pour paroître au-dessus des préjugés, saper les fondements de la morale. Quoiqu'il n'y ait aucune parfaite vertu sur la terre, il n'y a peut-être aucun homme qui ne surmonte ses penchants en quelque chose, et qui par conséquent n'ait quelque vertu ; les uns en ont plus, les autres moins: mais si la mesure est indéterminée, est ce à dire que la chose n'existe point? C'est ce qu'assurément vous ne croyez point, et que pourtant vous faites entendre. Je vous comdamne, pour réparer cette

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mon

faute à faire une pièce où vous prouverez que, malgré les vices des hommes, il y a parmi eux des vertus, et même de la vertu, et qu'il y en aura toujours. Voilà, monsieur, de quoi s'élever à la plus haute philosophie. Il y en a davantage à combattre les préjugés philosophiques qui sont nuisibles qu'à combattre les préjugés populaires qui sont utiles. Entreprenez hardiment cet ouvrage; et, si vous le traitez comme vous le pouvez faire, un prix ne sauroit vous manquer (*).

En vous parlant des gens qui m'accablent dans mes malheurs et qui me portent leurs coups en secret, j'étois bien éloigné, monsieur, de songer à rien qui eût le moindre rapport au parlement de Paris. J'ai pour cet illustre corps les mêmes sentiments qu'avant ma disgrâce, et je rends toujours la même justice à ses membres, quoiqu'ils me l'aient si mal rendue. Je veux même penser qu'ils ont cru faire envers moi leur devoir d'hommes publics; mais c'en étoit un pour eux de mieux l'apprendre. On trouveroit difficilement un fait où le droit des gens fût violé de tant de manières : mais quoique les suites de cette affaire m'aient plongé dans un gouffre de malheurs d'où je ne sortirai de ma vie, je n'en sais nul mauvais gré à ces messieurs. Je sais que leur but n'étoit point de me nuire, mais seulement d'aller à leurs fins. Je sais qu'ils n'ont pour moi ni amitié ni haine, que mon être et mon

(*) Chamfort avoit envoyé son épître au concours pour le prix de poésie proposé par l'Académie françoise.

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