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cette bagatelle; votre intention se pénètre aisément. Les autres donnent pour recevoir; vous faites tout le contraire, et même vous abusez de ma facilité. Ne m'envoyez point de l'eau d'Auguste, parce qu'en vérité je n'en saurois que faire, ne la trouvant pas fort agréable, et n'ayant pas grand'foi à ses vertus. Quant à la truite, l'assaisonnement et la main qui l'a préparée doivent rendre excellente une chose naturellement aussi bonne; mais mon état présent m'interdit l'usage de ces sortes de mets. Toutefois ce présent vient d'une part qui m'empêche de le refuser, et j'ai grand'peur que ma gourmandise ne m'empêche de m'en abstenir.

Je dois vous avertir, par rapport à l'eau d'Auguste, de ne plus vous servir d'une aiguille de cuivre, ou de vous abstenir d'en boire; car la liqueur doit dissoudre assez de cuivre pour rendre cette boisson pernicieuse et pour en faire même un poison. Ne négligez pas cet avis.

J'aurois cent choses à vous dire; mais le temps me presse, il faut finir : ce ne seroit pas sans vous faire tous les remerciements que je vous dois, si des paroles y pouvoient suffire. Bien des respects à madame, je vous supplie; mille choses à nos amis ; recevez les remerciements et les salutations de mademoiselle Le Vasseur, et d'un homme dont le cœur est plein de vous.

Je ne puis m'empêcher de vous réitérer que l'idée d'adresser Dà B est une chose excellente; c'est une mine d'or que cette idée entre des mains qui sauront l'exploiter.

488. A MILORD MARÉCHAL.

Motiers, le 21 août 1764.

Le plaisir que m'a causé, milord, la nouvelle de votre heureuse arrivée à Berlin par votre lettre du mois dernier, a été retardé par un voyage que j'avois entrepris, et que la lassitude et le mauvais temps m'ont fait abandonner à moitié chemin. Un premier ressentiment de sciatique, mal héréditaire dans ma famille, m'effrayoit avec raison. Car jugez de ce que deviendroit, cloué dans sa chambre, un pauvre malheureux qui n'a d'autre soulagement ni d'autre plaisir dans la vie que la promenade, et qui n'est plus qu'une machine ambulante! Je m'étois donc mis en chemin pour Aix dans l'intention d'y prendre la douche et aussi d'y voir mes bons amis les Savoyards, le meilleur peuple, à mon avis, qui soit sur la terre. J'ai fait la route jusqu'à Morges pédestrement, à mon ordinaire, assez caressé partout. Eu traversant le lac, et voyant de loin les clochers de Genève, je me suis surpris à soupirer aussi lâchement que j'aurois fait jadis pour une perfide maîtresse. Arrivé à Thonon, il a fallu rétrograder, malade et sous une pluie continuelle. Enfin me voici de retour, non cocu à la vérité, mais battu, mais content, puisque j'apprends votre heureux retour auprès du roi, et que mon protecteur et mon père aime toujours son enfant.

Ce que vous m'apprenez de l'affranchissement des paysans de Poméranie, joint à tous les autres traits

pareils que vous m'avez ci-devant rapportés, me montre partout deux choses également belles; savoir, dans l'objet le génie de Frédéric, et dans le choix le cœur de George. On feroit une histoire digne d'immortaliser le roi sans autres mémoires que vos lettres.

A propos de mémoires, j'attends avec impatience ceux que vous m'avez promis. J'abandonnerois volontiers la vie particulière de votre frère si vous les rendiez assez amples pour en pouvoir tirer l'histoire de votre maison. J'y pourrois parler au long de l'Écosse que vous aimez tant, et de votre illustre frère et de son illustre frère, par lequel tout cela m'est devenu cher. Il est vrai que cette entreprise seroit immense et fort au-dessus de mes forces, surtout dans l'état où je suis; mais il s'agit moins de faire un ouvrage que de m'occuper de vous, et de fixer mes indociles idées qui voudroient aller leur train malgré moi. Si vous voulez que j'écrive la vie de l'ami dont vous me parlez, que votre volonté soit faite; la mienne y trouvera toujours son compte, puisqu'en vous obéissant je m'occuperai de vous. Bonjour, milord.

489. A Mae LA COMTESSE DE BOUFFLERS.

Motiers, le 26 août 1764.

APRÈS les preuves touchantes, madame, que j'ai eues de votre amitié dans les plus cruels moments de ma vie, il y auroit à moi de l'ingratitude de n'y pas compter toujours; mais il faut pardonner beau

coup à mon état : la confiance abandonne les malheureux, et je sens, au plaisir que m'a fait votre lettre, que j'ai besoin d'être ainsi rassuré quelquefois. Cette consolation ne pouvoit me venir plus à propos après tant de pertes irréparables, et en dernier lieu celle de M. de Luxembourg, il m'importe de sentir qu'il me reste des biens assez précieux pour valoir la peine de vivre. Le moment où j'eus le bonheur de le connoître ressembloit beaucoup à celui où je l'ai perdu ; dans l'un et dans l'autre, j'étois affligé, délaissé, malade : il me consoła de tout; qui me consolera de lui? Les amis que j'avois avant de le perdre; car mon cœur, usé par les maux, et déjà durci par les ans est fermé désormais à tout nouvel attachement.

Je ne puis penser, madame, que dans les critiques qui regardent l'éducation de M. votre fils, vous compreniez ce que, sur le parti que vous avez pris de l'envoyer à Leyde, j'ai écrit au chevalier (*) de L***. Critiquer quelqu'un, c'est blâmer dans le public sa conduite; mais dire son sentiment à un ami commun sur un pareil sujet, ne s'appellera jamais critiquer, à moins que l'amitié n'impose la loi de ne dire jamais ce qu'on pense, même en choses où les gens du meilleur sens peuvent n'être pas du même avis. Après la manière dont j'ai constamment pensé et parlé de vous, madame, je me décrierois moi-même, și je m'avisois de vous cri

(*) Sans doute le chevalier de Lorenzy. La lettre dont il s'agit ici n'a point été publiée.

tiquer. Je trouve à la vérité beaucoup d'inconvénient à envoyer les jeunes gens dans les universités; mais je trouve aussi que, selon les circonstances, il peut y en avoir davantage à ne pas le faire, et l'on n'a pas toujours en ceci le choix du plus grand bien, mais du moindre mal. D'ailleurs une fois la nécessité de ce parti supposée, je crois comme vous qu'il y a moins de danger en Hollande que partout ailleurs.

Je suis ému de ce que vous m'avez marqué de messieurs les comtes de B*** : jugez, madame, si la bienveillance des hommes de ce mérite m'est précieuse, à moi, que celle même des gens que je n'estime pas subjugue toujours. Je ne sais ce qu'on eût fait de moi par les caresses heureusement on

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ne s'est pas avisé de me gâter là-dessus. On a travaillé sans relâche à donner à mon cœur et peutêtre à mon génie, le ressort que naturellement ils n'avoient pas. J'étois né foible, les mauvais traitements m'ont fortifié : à force de vouloir m'avilir, on m'a rendu fier.

Vous avez la bonté, madame, de vouloir des détails sur ce qui me regarde. Que vous dirai-je ? rien n'est plus uni que ma vie, rien n'est plus borné que mes projets; je vis au jour la journée sans souci du lendemain, ou plutôt j'achève de vivre avec plus de lenteur que je n'avois compté. Je ne m'en irai pas plus tôt qu'il ne plaît à la nature; mais ces longueurs ne laissent pas de m'embarrasser, car je n'ai plus rien à faire ici. Le dégoût de toutes choses me livre toujours plus à l'indolence et

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