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564. — A M. MOULTOU.

Motiers, le 18 février 1765.

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Ce qui arrive ne me surprend point, je l'ai toujours prévu, et j'ai toujours dit qu'en pareil cas il falloit s'en tenir là. Au lieu de faire tout ce qu'on peut, il suffit de faire tout ce qu'on doit, et cela est fait. On ne sauroit aller plus loin sans exposer la patrie et le repos public, ce que le sage ne doit jamais. Quand il n'y a plus de liberté commune il reste une ressource, c'est de cultiver la liberté particulière, c'est-à-dire la vertu. L'homme vertueux est toujours libre; car, en faisant toujours son devoir, il ne fait jamais que ce qu'il veut. Si la bourgeoisie de Genève savoit remonter ses principes, épurer ses goûts, prendre des mœurs plus sévères , en livrant ces messieurs à l'avilissement des leurs, elle leur deviendroit encore si respectable, qu'avec leur morgue apparente ils trembleroient devant elle; et comme les jongleurs de toute espèce et leurs amis ne vivront pas toujours, tel changement de circonstances étrangères pourroit les mettre à portée de faire examiner enfin par la justice ce que la seule force décide aujourd'hui.

Je vous prie de vouloir bien saluer MM. Deluc de ma part, et leur dire que je ne puis leur écrire. Comme cela n'est plus nécessaire ni utile, il n'est pas raisonnable de l'exiger. On ne doit pas m'en

vier le repos que je demande, et je crois l'avoir asşez payé.

Tâchez de m'envoyer, avant votre départ, ce dont vous m'avez parlé, non pour en faire à présent aucun usage, mais pour prendre d'avance tous les arrangements nécessaires pour en faire usage un jour. J'aurois même autre chose, et d'un genre plus agréable, à vous proposer; mais nous en parlerons à loisir. Je vous embrasse.

565.- A M. LE PRINCE L.E. DE WIRTEMBERG.

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Motiers, le 18 février 1765.

A l'arrivée de M. de Schlieben et de Maltzan, je les reçus pour vous prince; ensuite je les gardai pour eux-mêmes, et j'achetai une journée agréable à leurs dépens. J'en ai si rarement de telles, qu'il est bien naturel que j'en profite; et, sur les sentiments d'humanité que je leur connois, ils doivent être bien aises de me l'avoir donnée.

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Ils sont attachés au vertueux prince Henri par des sentiments qui les honorent pleins de tout ce qu'ils venoient de voir auprès de vous ils ont versé dans mon cœur attristé un baume de vie et de consolation. Leurs discours y portoient un peu de ce feu qui brille encore dans de grandes âmes; et j'ai presque oublié mes misères en songeant de qui j'avois l'honneur d'être aimé.

En tout autre temps, je ne craindrois pas une brouillerie avec la princesse pour me ménager l'ayantage d'un raccommodement; mais, en vérité, je

suis aujourd'hui si maussade, que, n'ayant point mérité la querelle, à peine osé-je espérer le pardon. Dites-lui toutefois, je vous supplie, que l'amour paternel n'est pas exclusif comme l'amour conjugal; qu'un coeur de père, sans se partager, se multiplie, et qu'ordinairement les cadets n'ont pas la plus mauvaise part. Mon Isabelle est l'aînée, devoit être la seule ; mais sa sœur est bien ingrate d'oser me traiter de volage, elle qui d'abord m'a forcé de l'être, et qui me force à présent de ne l'être plus.

et

Si j'ai fait quelques vers dans ma jeunesse, comme ils ne valoient pas mieux que les vôtres, j'ai pris pour moi le conseil que je vous ai donné. Les Benjamites, ou le Lévite d'Ephraïm, est une espèce de petit poème, en prose, dé sept à huit pages, qui n'a de mérite que d'avoir été fait pour me distraire quand je partis de Paris, et qui n'est digné en aucune manière de paroître aux yeux du héros qui daigne en parler.

566.

A M. D'IVERNOIS.

Motiers, le 22 février 1765.

Où êtes-vous, monsieur ? que faites-vous? comment vous portez-vous ? Votre absence et votre long silence me tiennent en peine. C'est votre tour d'être paresseux : à la bonne heure, pourvu que je sache que vous vous portez bien, et que mádame d'Ivernois, que je supplié d'agréer mon res

pect, veuille bien m'en faire informer par un bulletin de deux lignes.

Le tour qu'ont pris vos affaires, messieurs, et les miennes, la persuasion que la vérité ni la justice n'ont plus aucune autorité parmi les hommes, l'ardent désir de me ménager quelques moments de repos sur la fin de ma triste carrière, m'ont fait prendre l'irrévocable résolution de renoncer désormais à tout commerce avec le public, à toute correspondance hors de la plus absolue nécessité, surtout à Genève, et de me ménager quelques douleurs de moins, en ignorant tout ce qui se passe, et à quoi je ne peux plus rien. Les bontés dont vous m'avez comblé, et l'avantage que j'ai de vous voir deux fois l'année, me feront pourtant faire pour vous si vous l'agréez, une exception, au moyen de laquelle j'aurai le plaisir d'avoir aussi, de temps en temps, des nouvelles de nos amis, auxquels je ne cesserai assurément point de m'intéresser.

Votre aimable parente, la jeune madame Guyenet, après une couche assez heureuse, est si mal depuis deux jours, qu'il est à craindre que je ne la perde. Je dis moi, car sûrement, de tout ce qui l'entoure, rien ne lui est plus véritablement atta-, ché que moi; et je le suis moins à cause de son esprit, qui me paroît pourtant d'autant plus agréable qu'elle est moins pressée de le montrer, qu'à cause de son bon cœur et de sa vertu; qualités rares dans tous les pays du monde, et bien plus rares encore dans celui-ci.

Pour moi, mon cher monsieur, je ne vous dis rien de ma situation particulière; vous pouvez l'imaginer. Cependant, depuis ma résolution, je me sens l'âme beaucoup plus calme. Comme je m'attends à tout de la part des hommes, et qu'ils m'ont déjà fait à peu près du pis qu'ils pouvoient, je tâcherai de ne plus m'affliger que des maux réels, c'est-à-dire de ceux que ma volonté peut faire, ou de ceux que mon corps peut souffrir. Ces derniers me retiennent actuellement dans les entraves que je tiens de votre charité, mais qui ne laissent pas d'être fort pénibles. J'attends avec empressement de vos nouvelles, et vous embrasse, mon cher monsieur, de tout mon cœur.

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J'APPRENDS, messieurs, que vous êtes en peine des lettres que vous m'avez écrites. Je les ai toutes reçues jusqu'à celle du 15 février inclusivement. Je regarde votre situation comme décidée. Vous êtes trop gens de bien pour pousser les choses à l'extrême, et ne pas préférer la paix à la liberté. Un peuple cesse d'être libre quand les lois ont perdu leur force; mais la vertu ne perd jamais la sienne, et l'homme vertueux demeure libre toujours. Voilà désormais, messieurs, votre ressource: elle est assez grande, assez belle pour vous consoler de tout ce que vous perdez comme citoyens.

Pour moi, je prends le seul parti qui me reste,

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