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pour la tåter. Elles y allerent en caroffe, fous pré. texte de vouloir fe promener dans le jardin; mais elles eurent beau la tourner de toutes les manieres, & employer tout leur art pour la preffentir de loin, elle éluda toujours toutes leurs propofitions, & fe tint dans une réferve qui leur ôta tou. te espérance d'en rien obtenir. Malgré l'inutilité de cette tentative, comme ma paffion ne me laif. foit point de repos, je réfolus d'aller tenter l'avan. ture en perfonne; & parce que la vue d'un homme auroit pu effaroucher la jeune perfonne, j'engageai les mêmes perfonnes que j'y avois déjà envoyées, à m'y mener avec elles, déguifé en femme, ce qui me fut d'autant plus aifé, que je n'avois point encore de barbe, & que j'avois d'ailleurs une fleur de jeuneffe qui laiffoit peu de différence entre moi & les femmes qui m'accompagnoient. Cette vifite acheva de me perdre; car me voyant auprès d'elle fous ce déguisement, elle eut pour moi des manieres encore plus polies que pour les autres, & m'em, brafa de nouveau par le charme des paroles obli geantes qu'elle me dit, en me louant fur ma beau té, fur ma douceur, & en écartant avec adreffe tout ce qui avoit l'air un peu trop libre. Je revins donc de cette vifite plus charmé & plus enflam❤ mé qu'auparavant, & je fus fi touché d'avoir trouvé tant de beauté avec tant de vertu dans un état fi pauvre, tant d'efprit & d'enjouement avec tant de réferve, que cela, joint à mille autres perfections que je découvris en elle, me força enfin à recourir au dernier remede, & à l'époufer malgré l'inéga lité de nos conditions. Je le fis, & je me retirai avec elle dans cette Terre, où nous avons vécu enfemble dans l'union la plus tendre & la plus parfaite, fans qu'il y ait eu de part ni d'autre un in ftant d'altération. Les jours que j'allois à la chaf fe, & que je revenois un peu tard, je la trouvois à mon retour, les yeux encore mouillés de larmes, dans

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dans l'appréhenfion qu'il ne me fût arrivé quelque accident; deforte que fon attachement & ía tendreffe, dont elle me donnoit tous les jours de nouvelles marques, redoubloient de plus en plus mon affection. Six années que j'ai paffé dans ce contentement, peuvent bien être enviées par tout ce qu'il y aura jamais d'époux. Enfin, Dieu a permis qu'un trait d'ingratitude qui ne pouvoit partir que d'un cœur bas & mal né, ait miné de fond en comble de fi heureux commencemens.

Il y avoit dans ces Cantons un homme de peu de chofe, mais qui ne laiffoit pas d'avoir quelque forte d'efprit, & quelques talens qui fervoient à couvrir beaucoup de mauvaifes qualités. Il fe mêloit un peu de Mufique & de Poefie: il fe prifoit beaucoup plus qu'on ne faifoit dans le lieu qu'il habi. toit. Je l'attirai chez moi, pour me tenir compaghie dans la folitude où je vivois avant mon ma riage je l'habillai, je lui donnai ma table, & je le traitai avec tant de confidération & d'égards, qu'il étoit auffi maître que moi dans ma maison. Avant & depuis mon mariage, lorfque j'allois à la chaffe, il y venoit avec moi, monté fur un de mes che vaux; & quand il en étoit las, il s'en retournoit avant moi à la maison. Il n'en usa cependant ainfi que depuis que je fus marié, parce qu'alors il étoit en liberté, & avoit le loifir de caufer avec ma fem me. Cela pouvoit naturellement me donner quelque foupçon, mais le peu de mérite du perfonnage fit que je n'en pris aucune allarme: il étoit petit, malfait, avoit de vilaines dents, des mains groffie. res; homme fans manieres, fans mœurs, & fans vérité. Quoique je fuffe fort éloigné de prendre au cun ombrage d'un homme de ce caractere, je ne laiffai pas cependant, plus par égard pour la bienféance, que pour aucune autre raison, de lui faire enten. dre qu'il me feroit plaifir de ne point quitter la

chaffe,

chaffe. Depuis ce temps-là il arriva que toutes les fois que j'étois allé à la chaffe, il paroiffoit la nuic fuivante un Fantôme qui mettoit tous les chiens en rumeur, & jettoit l'effroi dans l'ame de tous mes domestiques. Je me levois auffitôt tout fatigué que j'étois, & je courois chercher le Fantôme dans le jardin, dont je ne revenois qu'après en avoir par couru & examiné tous les coins & recoins. Or, -toutes les fois que je fortois de ma chambre pour pareille expédition, ma femme ne manquoit pas de fermer la porte fur elle en dedans, & ne l'ouvroit à mon retour que lorfqu'elle reconnoiffoit à ma voix que c'étoit moi; ce qu'elle faifoit, difoit. elle, par crainte du Fantôme. Cette apparition se renouvella plufieurs fois pendant quelques mois; ce qui me donna lieu de faire une remarque, qui étoit que, lorfque mon homme m'avoit quitté à la chaffe, il n'y avoit point d'apparition la nuit fuivante, & je ne pouvois m'imaginer ce que devenoit le Fantôme, jufqu'à ce qu'un jour étant revenu de la chaf fe, j'ordonnai à un de mes gens de fe tenir la nuit fuivante à la porte du jardin, & d'obferver exacte ment la marche du Revenant. Après cette précau tion, je m'enfermai dans ma chambre avec ma fem. me, bien curieux de voir fi le Fantôme paroîtroit cette nuit comme les précédentes. J'étois dans l'attente, lorfque j'enténdis aboyer les chiens, qui le faifoient avec plus de vacarme qu'à l'ordinaire; parce que le Fantôme qui avoit pris une taille gigantelque, touchoit aux fenêtres & prefque jufqu'au toit. je me levai auffitôt avec le plus de hâte que je pus, & j'allai droit au valet que j'avois mis au guet à la porte du jardin. Ne faites point de bruit, Monfieur, me dit-il dès qu'il m'apperçut; le Fantôme n'est rien autre chofe que votre grand favori Cornelio, qui fait jouer cette machine, parce que, tandis que vous courez au jardin, il va tenir compagnie à Madame,

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parut; & diffimulant le chagrin qui me dévoroit, j'appellai d'un air délibéré, & Cornelio, & mes valets de chaffe, Je fortis aux champs avec eux, & je ne pus rien faire de toute la journée,ni avec mes chiens, ni avec mes oiseaux ; ce que je pris à mauvais augure. Sur le foir, le traitre Cornelio, feignant de fe trouver mal, pour avoir un prétexte de retourner au logis, je l'y envoyai, en le chargeant de dire à ma femme qu'elle ne m'attendît pas cettenuit, parce que je voulois aller après un de mes oifeaux qui s'étoit égaré à trois lieues de-là, & que je comptois de le reprendre fur le matin. Mont homme s'en alla fort content de fa commiffion, & me laiffa dans un grand embarras d'efprit fur le parti que j'avois à prendre.

Dès que je vis que la nuit approchoit, je me défis de mes gens, en les envoyant à la pourfuite de l'oifeau que j'avois perdu. Quand il fut pleine nuit, je me rendis chez moi par une fauffe porte du jardin dont j'avois pris la clef. Je m'en allai. droit à la chambre de Cornelio, & l'ayant ouverte je trouvai qu'il n'y étoit pas : il y avoit feulement fur fa table un bougie allumée, que je pris, & paffai dans une falle qui joignoit fa chambre, où je cherchai de tous côtés, pour voir s'il n'y paroftroit point. Lorfque je fus au bout de cette falle qui rendoit dans une falle baffe, audeffus de laquelle étoit ma chambre & celle de ma femme, je remarquai une échelle appuyée con tre la muraille, & qui terminoit à une ouverture dans le mur, de la grandeur du corps d'un hom. me, & qui étoit couverte d'un tableau du Titien, où étoit repréfenté l'adultere de Vénus avec Mars. Jufques-là je n'avois pu bien croire mon malheur. Je mis d'abord l'échelle à quartier, afin que mon perfide ne la trouvât pas quand il voudroit defcendre. Je montai enfuite avec grand bruit à

ma

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