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Matilde n'avoit, ni la force de la retenir,ni celle de lui dire adieu. Je rougis, lui dit-elle, de la foibleffe que je vous fais paroître; & j'ai honte qu'une maladie qui me met près de la mort, ne m'ait point guérie d'une paffion que je détefte. Mais enfin, je l'avoue, votre mariage avec le Comte de Retelois eft peut-être la feule chofe qui peut me fauver la vie. Cependant je ne vous preffe point de l'achever; il ne feroit pas jufte que vous me la confervaffiez aux dépens de votre bonheur: c'eft à moi de mourir, puifque je ne fuis point aimée.

Eléonore ne lui répondit qu'en l'embraffant enco re une fois, & elle alla prendre congé du Comte & de la Comteffe de Tufcanelle, toute en larmes. Elle leur dit qu'elle ne pouvoit plus foutenir la douleur de voir souffrir Matilde. Elle revint chez le Comte de Retelois lui dire la même chofe, & elle le pria de l'emmener hors de Mouzon. Il y confentit avec une joye extraordinaire, & lui dit qu'ils fe mettroient en chemin dès l'après-dinée. Jufques-là elle étoit occupée de Matilde, ou plutôt l'effort qu'elle avoit fait fur elle-même, avolt fuf. pendu tous fes mouvemens. Mais, quand elle fe vit prête à partir, qu'il fallut même fe priver de la trifte fatisfaction de lui dire le dernier adieu, de peur qu'il ne la vint troubler dans des réfolutions qui la défefpéroient, fa douleur ne fe contint plus."

Injufte Amie! s'écria-t-elle, n'as-tu point pitié des maux que tu me fais fouffrir? Es-tu contente? Nous perdons toutes deux le Duc de Mifnie; & quand je lui donne peut-être le coup de la mort, je n'ai fur toi que le cruel avantage d'en être aimée, & de l'aimer mille fois plus que tu ne l'ai

mes.

Matilde fe trouva dans quelque forte de repos, quand Eléonore fut partie; mais ce repos qu'elle avoit fi peu mérité, n'étoit point parfait. Ce n'é.

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toit

toit proprement qu'une inquiétude moins vive, qui faifoit aufli que fon mal n'étoit gueres moins preffant. Eléonore retourna à Retel. Le Comte la conjura de le rendre enfin heureux. Elle y confen. tit; & il fut conclu qu'il l'épouseroit à deux jours de-là.

Le Duc de Mifnie fut bientôt ce départ. Il ne tarda gueres à les fuiyre; & il apprit peu de temps après qu'il fut à Retel, que le jour de leur mariage étoit arrêté. La conjoncture prefloit. Il jugea qu'Eléonore refuferoit de le voir, s'il le lui faifoit redemander, & que même cette entrevue étoit difficile; qu'enfin il ne la feroit pas changer de réfolution, quand il la verroit. Cependant il voulut lui parler, entraîné par fon désespoir, plu, tôt que par aucune espérance. Ce Duc ayant fait épier le temps qu'Eléonore feroit feule, le trouva plus aifément qu'il ne l'avoit prévu. Le mariage du Comte de Retelois fe devoit célébrer à une de fes maifons de campagne qui n'étoit qu'à une lieue de la ville, & Eléonore y alla le jour précédent, pour jouir de fa douleur avec quelque liberté, au moins ce dernier jour.

Les foins du Comte de Retelois, qu'il redoubloit dans la vue du bonheur qu'il étoit fur le point d'obtenir, la mettoient dans une peine infupportable, & lui faifoient sentir par avance celle où elle alloit entrer pour toujours. Il lui sembloit qu'elle n'avoit plus que ce jour à vivre. L'idée du Duc de Mifnie ne la quittoit point; elle se le représentoit plus aimable & plus amoureux que jamais. Quoiqu'elle ne l'eût pas fait avertir de fon départ, elle croyoit bien qu'il n'étoit pas loin d'elle. Il lui marquoit la violence de fon amour, en renonçant à Matilde, malgré toutes les raifons qu'il avoit de s'attacher à fa fortune; & dans le temps qu'il n'avoit prefque plus rien à espérer de fon côté, elle alloit lui donner une douleur mortelle, Comment fuffire

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à toutes ces réflexions? Elle en étoit accablée, & elle ne les démêloit qu'à peine.

Le Duc de Mifnie s'étant déguisé pour être moins remarqué, marchoit fur fes pas. Elle fe fit defcendre dans une grande allée qui aboutifsoit au château, & qui étoit coupée par quantité de petites routes, dans lesquelles elle s'enfonça. Ses fem. mes demeurerent dans la grande allée, & le Duc de Mifnie fe gliffa par un autre côté jusqu'à l'en. droit où étoit Eléonore.

Elle rêvoit profondément. Ses larmes couloient fans qu'elle le fentit. Son Amant la regardoit, & goûtoit une douceur propre à le défefpérer. Enfin ilfe jetta à fes pieds. Sa vue la furprit, quoiqu'elle eût presque espéré de le revoir encore. Que fai tes-vous? lui dit-elle d'une voix foible. Je viens mourir à vos pieds, lui dit ce Duc, puifque vous voulez ma mort. Ne me reprochez rien, lui répondit-elle. Matilde m'a 'contrainte de faire ce que je lui promettois trop long-temps. Mon devoir avoit befoin de ce fecours, que je n'aurai plus, reprit-elle en la regardant, & ma foibleffe in'accompagnera toujours. Ne me voyez donc jamais. Je me permets encore aujourd'hui le plaifir de vous avouer tout le pouvoir que vous avez fur moi; mais je vais époufer le Comte de Retelois pour me justifier, & pour me punir. Si Matilde ett vivante, allez l'époufer, en lui portant la nou. velle de mon mariage. Je n'ai pas la force de vous en prier plus long-temps, ni de vous voir, fans m'expofer à rompre encore mon projet. En difant cela, elle le quitta brufquement. Et vous avez bien la force de me fuir & de me défespérer ? lui dit-il en fe levant avec tranfport pour la fuivre, & en l'obligeant à s'arrêter. Mais, conti. nua-t-il, je ne fuis plus en état de ménager rien: je vais me jetter aux pieds du Comte de Retelois : je vais lui apprendre tous mes malheurs; peutêtre

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être aura-t-il moins de dureté que vous n'en avez. Ah Ciel! que voulez-vous faire? reprit-elle. Ne fuis-je point affez malheureufe par l'attachement que j'ai pour vous, fans avoir encore votre em portement à craindre? Hé, s'il m'étoit poffible de n'être point à un autre, ne favez-vous pas que je n'y aurois point été? Jamais on n'a eu plus d'inclination que j'en ai eue pour vous. Le devoir, l'amitié, la néceffité, m'arrachent à vous, & me jettent dans un autre engagement; mais ils ne m'en confoleront pas, & vous m'occuperez fans celle. Après cette affurance vous pouvez avertir le Comte de Retelois que je vous aime; je ferai contrainte de vous defavouer, & je ne l'en épouferai pas moins; mais vous aurez le plaifir de lui ôter peut-être l'estime qu'il a pour moi, & vous m'ôterez auffi la douceur que j'aurois eue d'être contente de ce que j'aimois, en le regrettant toute ma vie. Là-deffus elle fe retira, & le laiffa appuyé contre un arbre, où il demeura long-temps. 11 ne voyoit aucun remede à fes maux; fe croire aimé d'Eléonore, & avoir de la confidération pour elle, n'en étoient pas les moindres.

Il paffa la nuit à faire des projets pour empêcher le mariage d'Eléonore; mais ces projets ne pou voient s'exécuter malgré elle, & il en voyoit l'extravagance auffitôt qu'il les envifageoit. Les noces fe firent le lendemain; & cet Amant voulant s'af furer de tout fon malheur, & voir encore Eléonore, alla fe montrer à les yeux pendant qu'on célébroit la cérémonie de fon mariage. Il lui jetta un regard qui exprimoit toute fa rage & toute fa tendreffe: elle tourna les yeux fur lui d'une maniere languif. fante & paffionnée, & fembla vouloir le dédomma. ger par fes regards de tout ce qu'elle lui faifoit perdre. Enfin elle les en détourna, parce qu'elle je vit pâlir. En effet il s'évanouit; mais on n'y fit pas d'attention, parce que les habits qu'il avoit

pris pour fe déguifer, empêchoient de penfer qu'il fût un homme confidérable, & on fe contenta de le fecourir.

Eléonore, de fon côté, fentit défaillir fes forces, & elle fut contrainte de s'appuyer fur ceux qui étoient auprès d'elle; mais la cérémonie é. toit achevée, & on crut que c'étoit une fuite de fon indifpofition.

Le Duc de Mifnie retourna à Mouzon, & étoit dans un tranfport fi violent qu'il ne ménagea rien. Il alla trouver Matilde. La Comteffe de Tuscanelle n'étoit pas chez elle dans le moment qu'il y arriva, & Matilde donna ordre qu'on le laiffât entrer. Hé bien, lui dit-il, êtes-vous contente? Eléonore a épousé le Comte de Retelois, vous voilà vengée, Vous m'avez caufé la fureur où je fuis, jouiffez-en fi vous pouvez: haïllez-moi pour me délivrer de votre tendreffe, qui m'a été fi fatale que je ne faurois plus vous en favoir gré. Je ne perdrois point la confidération qu'on vous doit, fi ję n'avois tout perdu, jufqu'à ma raifon. Adieu pour jamais, ajouta-t-il, nous nous fommes fait de trop grandes injures l'un à l'autre pour nous pouvoir fouffrir.

Le Duc de Mifnie fe retira en achevant ces paro les, qui furent un coup de foudre pour Matilde. Elle demeura dans un profond filence, & jettoit des regards funeftes qui n'avoient aucun objet dé, terminé. Sa Mere la trouva dans le mortel accablement où la fuite du Duc de Mifnie l'avoit mife. Elle n'avoit, ni la force de pleurer, ni celle de fe plaindre; mais elle en avoit affez pour fentir tous fes malheurs.

Matilde paffa le jour fans donner prefque aucune marque de vie; & fur le foir fa fiévre, qui étoit un peu diminuée par la treve que le départ d'Eléonore avoit donnée à fes inquiétudes, augmenta fi con. fidérablement, qu'on jugea qu'il étoit impoffible R 4

qu'elle

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