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dirent qu'elles l'avoient laiffée feule. Il monta-avec une agitation & un trouble qui ne fe peut comparer qu'à celui qu'eut Madame de Cleves, quand on lui dit que Monfieur de Nemours venoit pour la voir. La crainte qu'elle eut qu'il ne lui parlât de fa paffion, l'appréhenfion de lui répondre trop favorablement, l'inquiétude que cette vifite pouvoit donner à fon mari, la peine de lui en rendre compte ou de la lui cacher, toutes ces cho. fes fe préfentérent en un moment à fon efprit, & lui cauferent un fi grand embarras, qu'elle prit la réfolution d'éviter la chofe du monde qu'elle fouhaitoit peut être le plus. Elle envoya une de fes femmes à Monfieur de Nemours, qui étoit dans fon antichambre, pour lui dire qu'elle venoit de fe trouver mal, & qu'elle étoit bien fâchée de ne pouvoir recevoir l'honneur qu'il lui vouloit faire. Quelle douleur pour ce Prince, de ne pas voir Madame de Cleves, & de ne la pas voir, parce qu'elle ne vouloit pas qu'il la vit! Il s'en alloit le lendemain, il n'avoit plus rien à espérer du hazard; il ne lui avoit rien dit depuis cette converfation de chez Madame la Dauphine, & il avoit lieu de croire que la faute d'avoir parlé au Vidame avoit détruit toutes fes efpérances; enfin il s'en alloit avec tout ce qui peut aigrir une vive douleur.

Si-tôt que Madame de Cleves fut un peu remife du trouble que lui avoit donné la pensée de la vi. fite de ce Prince, toutes les raifons qui la lui a. voient fait refufer difparurent, elle trouva même qu'elle avoit fait une faute; & fi elle eût ofé ou qu'il eût encore été affez à tems, elle l'auroit fait rappeller.

Mefdames de Nevers & de Martigues, en fortant de chez elle, allerent chez la Reine Dauphine, Monfieur de Cleves y étoit. Cette Princeffe leur demanda d'où elles venoient: elles lui dirent qu'el. les venoient de chez Monfieur de Cleves, où elles avoient

avoient paffé une partie de l'après-dînée avec beau. coup de monde, & qu'elles n'y avoient laiffé que Monfieur de Nemours. Ces paroles, qu'elles croyoient fi indifférentes, ne l'étoient pas pour Monfieur de Cleves, quoiqu'il dit bien s'imaginer que Monfieur de Nemours pouvoit trouver fouvent des occafions de parler à fa femme. Néanmoins la pen. fée qu'il étoit chez elle, qu'il y étoit feul, & qu'il fui pouvoit parler de fon amour, lui parut dans ce moment une chofe fi nouvelle & fi infupportable, que la jaloufie s'alluma dans fon cœur avec plus de violence qu'elle n'avoit encore fait. Il luifut impoffible de demeurer chez la Reine: il s'en revint, ne fçachant pas même pourquoi il revenoit, & s'il avoit deffein d'aller interrompre Monfieur, de Nemours, Si-tôt qu'il approcha de chez lui, il regarda s'il ne verroit rien qui lui pût faire juger fice Prince y étoit encore: il fentit du foulagement en voyant qu'il n'y étoit plus, & il trouva de la douceur à penser qu'il ne pouvoit y avoir demeuré long-tems. Il s'imagina que ce n'étoit peut-être pas Monfieur de Nemours, dont il devoit être jaloux & quoiqu'il n'en doutât point,: il cherchoit à en douter; mais tant de chofes l'en avoient perfuadé, qu'il ne demeuroit pas longtems dans cette incertitude qu'il defiroir. Il alla d'abord dans la chambre de fa femme, & après lui avoir parlé quelque tems de chofes indifférentes, il ne put s'empêcher de lui demander ce qu'elle avoit fait, & qu'elle avoit vu; elle lui en rendit compte. Comme il vit qu'elle ne lui nommoit point Monfieur de Nemours, il lui demanda en tremblant, fi c'étoit tout ce qu'elle avoit vu, afin de lui donner lieu de nommer ce Prince, & de n'avoir pas la douleur qu'elle lui en fit une fineffe. Comme elle ne l'avoit point vu, elle ne le lui nomma point; & Monfieur de Cleves, reprenant la parole avec un ton qui marquoit fon affliction:

Et Monfieur de Nemours, lui dit-il, ne l'avezvous point vu, ou l'avez-vous oublié ? Je ne l'ai point vu en effet, répondit- elle: je me trouvois mal, & j'ai envoyé une de mes femmes lui faire des excufes. Vous ne vous trouviez donc mal que pour lui, reprit Monfieur de Cleves; puifque vous avez vu tout le monde, pourquoi des diftintions pour Monfieur de Nemours? pourquoi ne vous eft-il pas comme un autre? pourquoi faut-il que vous craigniez fa vue? pourquoi lui laiffez• Vous voir que vous la craignez? pourquoi lui fai tes-vous connoître que vous vous fervez du pou voir que fa paffion vous donne fur lui? Oferiezvous refufer de le voir, fi vous ne fçaviez bien qu'il diftingue vos rigueurs de l'incivilité? Mais pourquoi faut-il que vous ayez des rigueurs pour lui? D'une perfonne comme vous, Madame, tout eft des faveurs, hors l'indifférence. Je ne croyois pas, reprit Madame de Cleves, quelque foupçon que vous ayez fur Monfieur de Nemours, que vous puffiez me faire des reproches de ne l'avoir pas vu. Je vous en fais pourtant, Madame, repliquat-il, & ils font bien fondés: pourquoi ne le pas voir s'il ne vous a rien dit? Mais, Madame, il vous a parlé: fi fon filence feul vous avoit témoigné fa paffion, elle n'auroit pas fait en vous une fi grande impreffion; vous n'avez pu me dire la vérité toute entiere, vous m'en avez caché la plus grande partie; vous vous êtes repentie même du peu que vous m'avez avoué, & vous n'avez pas eu la force de continuer. Je fuis plus malheureux que je ne l'ai cru; & je fuis le plus malheureux de. tous les hommes. Vous êtes ma femme, je vous aime comme ma maîtreffe, & je vous en vois aimer un autre: cet autre eft le plus aimable de la Cour, & il vous voit tous les jours, il fçait que vous l'aimez : Hé j'ai pu croire, s'écria-t-il, que vous furmonteriez la paffion que vous avez pour

lui? il faut que j'aye perdu la raifon, pour avoir cru qu'il fût poffible. Je ne feai, reprit triftement Madame de Cleves, fi vous avez eu tort de juger favorablement d'un procédé aufli extraordinaire que le mien; mais je ne fçai fi je me fuis trompée d'avoir cru que vous me feriez justice ? N'en doutez pas, Madame, repliqua Monfieur de Cleves, vous vous êtes trompée, vous avez attendu de moi des chofes auffi impoffibles, que celles que j'attendois de vous. Comment pouviez-vous espérer que je confervaffe de la raifon? Vous aviez donc oublié que je vous aimois éperdûment, & que j'étois votre mari? L'un des deux peut porter aux extrémités, que ne peuvent point les deux ensemble? Hé que ne font-ils point auffi? continua-t-il. Je n'ai que des fentimens violens & incertains, dont je ne fuis pas le maître. Je ne me trouve plus digne de vous, vous ne me paroiffez plus digne de noi. Je vous adore, je vous hais: je vous offense, je vous demande pardon: je vous admire, j'ai honte de vous admirer. Enfin, il n'y a plus en moi, ni de calme, ni de raifon. Je ne fçai comment j'ai pu vivre depuis que vous me parlâtes à Colomiers, & depuis le jour que vous apprîtes de Madame la Dauphine que l'on fçavoit votre aventure. Je ne fçaurois démêler par où elle a été fçue, ni ce qui fe paffa entre Monfieur de Nemours & vous fur ce sujet: vous ne me l'expliquerez jamais, & je ne vous demande point de me l'expliquer; je vous demande feulement de vous fouvenir que vous m'avez rendu le plus malheureux homme du monde.

Monfieur de Cleves fortit de chez fa femme après ces paroles, & partit le lendemain fans la voir; mais il lui écrivit une Lettre pleine d'affliction, d'honnêteté, & de douceur: elle y fit une réponse fi touchante, & fi remplie d'affurance de fa conduite paffée & de celle qu'elle auroit à l'avenir, que comme fes affurances étoient fondées

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fur

fur la vérité, & que c'étoit en effet fes fentimens jā cette Lettre fit de l'impreffon fur Monfieur de Cleves, & lui donna quelque calme; joint que Monfieur de Nemours allant trouver le Roi auffi bien que lui, il avoit le repos de fçavoir qu'il ne feroit pas au même lieu que Madame de Cleves. Toutes les fois que cette Princeffe parloit à fon mari, la paffion qu'il lui témoignoit,. l'honnêteté de fon procédé, l'amitié qu'elle avoit pour lui, & ce qu'elle lui devoit, faifoit des impreffions dans fon cœur qui affoibliffoient l'idée de Monfieur de Nemours; mais ce n'étoit que pour quelque temps, & cette idée revenoit bien-tôt plus vive & plus préfente qu'auparavant.

Les premiers jours du départ de ce Prince, elle ne fentit quafi pas fon abfence; enfuite elle lui parût cruelle. Depuis qu'elle l'aimoit, il ne s'étoit point paffé de jour qu'elle n'eût craint ou espéré de le rencontrer, & elle trouva une grande peine à penfer qu'il n'étoit plus au pouvoir du hazard de faire qu'elle le rencontrát,

Elle s'en alla à Colomiers, & en y allant elle eut foin d'y faire porter de grands Tableaux qu'elle avoit fait copier fur des originaux qu'avoit fait faire Madame de Valentinois pour fa belle Maifon d'Anet. Toutes les actions remarquables, qui: s'étoient paffées du Regne du Roi, étoient dans ces Tableaux. Il y avoit entr'autres le fiége de Mets, & tous ceux qui s'y étoient diftingués étoient peints fort reffemblans. Monfieur de Nemours étoit de ce nombre, & c'étoit peut-être ce qui avoit donné envie à Madame de Cleves d'avoir ces Tableaux.

Madame de Martigues, qui n'avoit pu partir avec la Cour, lui promit d'aller paffer quelques jours à Colomiers. La faveur de la Reine, qu'elles partageoient, ne leur avoit point donné d'envie ni d'éloignement l'une de l'autre; elles étoient amies

fans

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