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592 ELEONORE D'Y VRE' E.

qu'elle y réfiftat. Son imagination lui repréfentoit fans ceffe le Duc de Mifnie préfent & irrité: elle l'accabloit d'injures; elle lui demandoit pardon. Son Pere & fa Mere étoient à fes côtés fondant en larmes, elle ne connoiffoit ni l'un ni l'autre, & tout lui paroiffoit le Duc de Mifnie.

Après quatre jours la fiévre la quitta, parce que fon corps étoit entiérement affoibli. Elle conjura le Comte & la Comteffe de Tufcanelle de ne point pleurer une mort qui étoit le feul remede d'une paffion malheureufe, & de la pardonner au Duc de Mifnie en fa faveur. Elle les pria encore de parler quelquefois d'elle avec lui s'il fe pouvoit, & de lui dire qu'avant que de mourir elle avoit ceffé de le hair. Ils ne lui répondoient que par des pleurs & des cris. Enfin elle les obligea de la laiffer feule, & elle mourut dès la nuit avec moins de chagrin qu'elle n'avoit vécu.

Le Duc de Mifnie étoit parti précipitamment de Mouzon pour fuir Matilde, & il retournoit en Allemagne pour s'éloigner des lieux où étoit la Comteffe de Retelois. Il y apprit cette mort fans y être fenfible. Il portoit dans le cœur une douleur dont rien ne pouvoit le diftraire, & qui l'empêcha même de fentir la ruine entiere de fa fortune, que la Comteffe de Tufcanelle caufa.

La Comteffe de Retelois pleura autant fon amie que fi elle n'avoit pas été fa rivale, & vécut avec le Comte comme une perfonne dont la vertu étoit parfaite, quoiqu'elle fût toujours malheu. reufe par la paffion qu'elle avoit dans le cœur.

FIN.

EXTRAORDINAIRE

TRADUITE DE L'ESPAGNOL.

E m'en allois à Milan dans le deffein de paffer

voyage, en changeant de voiture, je m'étois mis fur l'eau, en convenant avec mon Muletier, d'un village où il devoit me rejoindre; mais le coquin me trompa vilainement, & je ne trouvai, ni lui, ni cheval, ni mulet; deforte qu'il me fallut continuer ma route à beau pied fans lance. Je marchois done affez triftement; & après avoir arpenté tout le jour les plaines de la Lombardie, je ne favois où donner de la tête, lorfque j'apperçus de loin un Cavalier qui traverfoit le chemin, ayant un Fau con fur le poing. Ce Cavalier m'ayant apperçu de fon côté, s'arrêta pour me donner le temps de le joindre; ce qui ne fut pas fi-tôt fait, parce que dans l'abattement où j'étois, je ne marchois pas d'un air fort délibéré. Dès qu'il me vit à portée de l'en. tendre, il me demanda fi je n'étois pas Soldat Efpagnol. A quoi ayant répondu qu'il ne fe trompoit pas, il me prévint de lui-même, comme s'il eat deviné l'embarras où j'étois, & me dit que javois encore bien du chemin à faire avant que de pouvoir trouver gite; que fi je voulois le fuivre dans une Maifon de campagne qu'il avoit dans le voisinage, il me donneroit le couvert jus qu'au lendemain. Quoique la profonde mélancolie où je le voyois plongé, ne me parût pas de bon augure,

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augure, la néceflité me fit cependant accepter la propofition. Je me déterminai même d'autant plus aifément, que je fis réflexion qu'il n'y a gueres de rifque à courir avec des gens de condition, tel que me paroiffoit & qu'étoit effectivement ce Gentil homme.

Nous entrâmes chez lui par un jardin affez grand, mais fort mal en ordre. L'herbe y croiffoit de tou. tes parts comme dans une campagne en friche, & rien ne reffembloit mieux à une Terre en Décret. Quand nous fumes à deux pas de la maison, il en fortit quelques valetsqui vinrent au-devant de nous, mais tous d'un air abattu, la trifteffe peinte fur le vifage, & fans dire un feul mot. La maifon étoit affez belle; mais on n'y trouvoit rien qui ne quadrât parfaitement avec le fombre chagrin & le morne filence qui fe remarquoit, & dans le Maître, & dans le domeftique. Un fpectacle fi extraordinaire ne Jaiffoit pas de me donner quelque forte d'inquié tude, & je ne favois que penfer de tout ce que je voyois. Le Gentilhomme paroiffoit porter dans fon cœur un fonds de mélancolie la plus noire. Il ne parloit que rarement à fes gens, & il le faifoit ordinairement par geftes, & d'un air brufque & chagrin. Enfin l'heure du fouper vint, de quoi j'avois grand befoin, n'ayant pas mangé depuis le matin; deforte que, malgré les inquiétudes du Maître & celles de toute fa maifon, je ne laiffai pas de manger de grand appétit, mais cependant dans un filence profond, autant de ma part que de celle du Gentilhomme; & je peux dire que la regle, à cet égard, n'eft pas mieux obfervée dans un Réfectoire de Chartreux. Je n'avois garde de m'in, gérer d'ouvrir la converfation; c'étoit à lui à le faire, s'il le jugeoit à propos. Quand on eft en maifon étrangere, & avec gens au-deffus de foi, il faut s'accommoler à leur humeur, & fur-tout ne témoigner aucune curiofité fur leurs affaires. Qu'ils

fotent

foient gais, qu'ils foient triftes, il faut fuppofer qu'ils ont leurs raifons pour l'un ou pour l'autre, & s'en tenir-là.

Après que le fouper fut fini, & que les valets le furent retirés, le Gentilhomme ceffa d'être muët, & d'un ton de voix baffe & fépulcrale il dit ces paroles en foupirant: Heureux ceux qui naissent dans une condition obfcure! Ils paffent leur vie bien ou mal, fans s'embaraffer de ce qu'on peut dire ou penfer d'eux. Le pauvre Soldat, quand il a rempli fon devoir, va fe repofer fans aucun fouci. F'en dis autant de l'Artifan, & de tout ce qu'il y a de gens de cette forte, qui, après avoir fini leur journée, vont fe cou cber fans inquiétude. Mais il n'en va pas de même de ceux qui, par leur naiffance ou leur fortune, fe trouvent exposés aux yeux du Public, ayant autant de juges de leurs actions, qu'il y a de gens qui ont la vue attachée fur eux. En proye à leurs murmures, &victimes de leurs médifances && de leurs foupçons, tout eft pris en mauvaife part. Enfuite, fe tournant. vers moi, j'ai fouhaité, dit-il, Monfieur, de chercher quelque foulagement à ma jufte douleur, par la confidence que je veux vous faire de ce qui en fait le trifte fujet: non que j'aye faute d'amis dans le fein de qui je puiffe répandre les fentimens de mon cœur; mais ce que j'ai à vous confier, est de telle nature, qu'on aime mieux en faire part à un étranger, qu'à des perfonnes qu'on voit tous les jours, & qu'on auroit enfuite pour témoins perpétuels de fon malheur & de fa confufion. Auffi puis-je vous affurer qu'aucun de mes domeftiques ne connoît le motif de mon affliction; & fi vous les voyez fi triftes & fi abattus, leur trifteffe ne vient que de celle où ils me voyent, fans qu'ils en fachent davantage.

Je vous dirai donc, Monfieur, que je fuis affez. accommodé des Biens de la fortune pour vivre heu.. reux, fi le bonheur ne dépendoit que des richeffes..

Mon inelination ne m'a jamais porté à fréquenter le Grand Monde, ni à entrer dans les Charges pu bliques. J'aime la folitude de la campagne, & j'y pafle ma vie dans les exercices qui conviennent à un Gentilhomme. Un peu d'agriculture, un peu de jardinage, la pêche, la chaffe, c'eft à quoi j'at employs fort agréablement plufieurs années, ayant d'ailleurs affez bonne table, & recevant avec plai fir les Etrangers qui me faifoient l'honneur de paf fer par chez moi. Les premieres années de ma jeu. neffe fe font paffées de la forte, fans que je fon. geaffe au mariage, que j'avois toujours regardé comme une charge trop pefante, & incompatible avec la maniere de vivre que j'avois prife, & où je trouvois tant de douceur. Mais, comme on ne peut éviter fa destinée, il arriva qu'un jour que j'allois à la chaffe, avec un faucon fur le poing, mon cœur fut frappé foudainement de la vue d'un objet qui me laiffa une impreffion fi tendre & fi vive, que rien n'a jamais pu l'effacer, & que rien ne le pourra jamais. Je paffois proche des Fauxbourgs de Cremė, lorfque je vis paroître, à la porte d'un jardin, un des plus beaux vifages qui fe foient peut-être jamais vus. Je voulus dans mon premier tranfport aller joindre la perfonne; mais elle rentra auffitôt dans le jardin, en fermant la porte für elle. Enchanté au point que je l'étois de ce charmant objet, je n'eus point de patience que je ne fuffe informé de fa con. dition, de fon caractere, de fon humeur, & de tout ce qui pouvoit la regarder. Après des perquifitions fort exactes, je fus que cette jeune perfonne n'étoit point mariée, qu'elle appartenoit à des gens de baffe extraction, mais que d'ailleurs elle étoit d'une fageffe extrême. Je me flattai, malgré cette derniere circonftance, qu'à force de préfens & de promeffes, il ne feroit pas difficile d'en venir à bout & de la réduire. J'employai pour cela quelques femmes, que j'engageai à fe rendre chez elle

pour

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