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dont la réparation est devenue impossible. Dans ces cas là-même, ainsi que dans les bubons indolents suppurés, il est préférable, selon nous, d'ouvrir la tumeur avec le caustique de Vienne, moyen dont nous avons recommandé l'emploi dans un Mémoire publié, en 1840, dans le Recueil des travaux de la Société de médecine d'Indre-et-Loire.

Quoique ce soit là le traitement généralement adopté, il est pourtant vrai qu'il ne saurait toujours mettre à l'abri de certains inconvénients qui, tels que l'ulcération des plaies, les suppurations longues, les fistules rebelles, les décollements étendus et les cicatrices vicieuses, méritent bien d'être pris en considération, et il était par conséquent à désirer que l'art pût parvenir à s'en garantir. Or, un grand pas est peut-être fait dans cette voie d'améliorations par l'application de l'injection iodée au traitement du bubon suppuré. Nous pouvons même dire que cette méthode nouvelle se présente déjà avec la garantie d'un assez grand nombre de succès pour attirer l'attention des praticiens.

Faisons d'abord remarquer que c'est M. le docteur J. Roux, de Toulon, dont nous avons eu déjà l'occasion de citer l'expérience à l'occasion des hydarthroses, qui a le premier préconisé ce traitement. L'idée d'y recourir fut suscitée à ce praticien distingué par l'analogie qui lui sembla exister entre le bubon suppuré et certaines cavités closes contre lesquelles l'injection iodéeest avantageusement pratiquée.

Toutefois, comme la route qu'il allait parcourir lui paraissait nouvelle, puis. qu'il faisait à des tumeurs chaudes l'application d'une méthode réservée jusque-là aux tumeurs froides et aux kystes non enflammés, il dut prudemment procéder avec lenteur, et préluder par quelques essais pour déterminer quelle serait l'action probable d'une injection iodée dans un bubon suppuré. Dans ce but, il commença par recouvrir les surfaces vives de vastes bubons ulcérés, de plumasseaux trempés dans une solution iodée au tiers, l'application étant recommandée deux fois par jour. Ensuite, il injecta la solution d'iode sous les décollements étendus d'autres bubons ulcérés. Ces pansements / ayant été plutôt favorables que nuisibles, il crut pouvoir se permettre l'injection des bubons suppurés, et bientôt il put faire connaître le résultat de ses quinze premiers opérés par cette méthode.

Ces faits qui se rapportent à toutes les variétés de bubons sous-cutanés ou profonds, démontrent d'abord qu'aucun accident médiat ou immédiat n'a résulté de l'injection iodée, et ensuite que la guérison parfaite, ne laissant après elle qu'une cicatrice légère, a été obtenue dans un espace de temps qui a varié de huit à vingt-six jours, et dont la moyenne a été de douze jours. A l'injection succédait une inflammation comme dans l'hydrocèle, puis la tuméfaction disparaissait, et enfin arrivait la cicatrisation définitive.

Peu de temps après la publication du travail de M. Roux, M. le docteur Marmy, chirurgien à l'hôpital militaire de Strasbourg, produisait, dans la Gazette médicale de Strasbourg, un Mémoire sur ce même sujet; mais ce confrère donnait à l'action des injections iodées pour la cure des bubons une

explication différente de celle de M. Roux. Tandis que, selon ce dernier, les injections iodées impriment aux surfaces morbides une modification inflammatoire substitutive, M. Marmy dit préférer cette médication parce qu'elle active les organes de l'absorption, ceux-là même qui sont le siége du mal; puis parce qu'elle peut agir par ses propriétés qui la placent à côté des préparations mercurielles en tant que médicament anti-syphilitique.

Quoi qu'il en soit de ces points de doctrine, voici comment M. Marmy rapporte les résultats de sa médication : à partir du moment de l'opération, une douleur assez vive se fait sentir dans la tumeur durant un temps qui varie entre une demi-heure et une heure; le lendemain, la tumeur a diminué d'un tiers au moins de son volume primitif: un liquide séro-purulent suinte en abondance par la petite plaie. La durée de cet écoulement varie; il diminue progressivement: jamais il ne reprend les qualités qu'il avait au moment de la ponction et de l'évacuation primitive. L'induration du tissu glanduleux et des tissus ambiants disparaît chaque jour rapidement. Le résultat de la pratique de l'auteur a été de lui offrir les deux tiers de succès complets sur le nombre de ses opérés. Chez d'autres, divers moyens ont dû venir en aide à la médication iodée, notamment les résolutifs locaux.

Cette description et cette proportion de succès obtenus par l'honorable docteur de Strasbourg s'accordent assez bien avec les résultats de notre pratique sur cette question, et c'est pourquoi nous avons cru devoir les relater ici. En effet, peu après la publication du travail de M. J. Roux, c'est-à-dire dans le dernier trimestre de 1846, nous eûmes occasion de traiter, par l'injection iodée au tiers, les bubons vénériens suppurés, chez une vingtaine de malades de l'Hôtel-Dieu d'Aix, et la vérité est que, sans être tout aussi favorables que ceux annoncés par notre confrère, les résultats que nous obtenions nous satisfaisaient, parce qu'ils nous faisaient constater une abréviation réelle dans la durée du mal. Nous étions donc en voie de continuer cette pratique, lorsque nous en fûmes détourné par un événement malheureux survenu chez un de nos malades que nous avions soumis à l'injection iodée, et que nous attribuȧmes, à tort peut-être, à la médication. Qu'on nous permette de relater ici sommairement ce fait :

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Un homme âgé de 30 ans, cocher dans une maison bourgeoise, est reçu à 'l'Hôtel-Dieu le 26 octobre 1846: il est atteint d'un chancre au pénis, et de deux bubons aux aines, l'un et l'autre encore indurés, mais dont le gauche est très-volumineux et moyennement enflammé. Je prescris: le quart, deux pilules de Dupuytren, tisane de saponaire, cataplasmes de lin, ad usum. — Quelques jours plus tard, j'ajoutai des frictions avec une pommade résolutive au proto-iodure de mercure.

10 novembre, tandis que le bubon droit a presque disparu, le bubon gauche, de beaucoup le plus volumineux, s'est mis peu à peu en suppuration. Nous l'ouvrons par ponction avec un bistouri à lame étroite, et, après la sortie du pus, nous faisons une injection iodée au tiers. Il y eut, comme de coutume, une douleur brûlante immédiate, qui se prolongea pendant une heure environ, et puis tout parut aller à bien.

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Mais le 14 novembre, quatre jours après l'injection, nous remarquons avec surprise un engorgement érysipélateux, survenu après un violent frisson sur tout le scrotum et le pénis, avec accompagnement d'une violente réaction générale : saignée, diète, boissons délayantes.

Malgré tous nos soins, l'érysipèle prit un mauvais aspect; la peau des bourses, du pénis devint violacée, puis noirâtre : elle se sphacéla en totalité; la gangrène gagna même du côté du bubon qui avait été injecté. A ces graves symptômes que la fièvre accompagnait toujours, se joignirent plus tard les indices d'une gastro-entérite intense, le ballonnement de l'abdomen, une diarrhée très-rebelle. Enfin, quoi que nous fimes pour sauver cet homme, il succomba le 9 décembre, un mois après l'injection iodée.

Jnsqu'à quel point l'injection iodée peut-elle être considérée ici comme cause des graves accidents qui ont fait succomber ce malade? En remarquant que l'érysipele gangréneux ne s'est développé que trois ou quatre jours après l'injection, qu'il s'est manifesté aux bourses et au pénis avant de s'étendre au bubon, n'y a-t-il pas lieu de penser qu'il y avait chez cet homme une de ces dispositions morbides fâcheuses, prêtes à faire explosion à la moindre occasion, et qu'aggrave souvent encore le séjour dans les salles d'un hôpital? Trois fois depuis cette époque nous avons vu survenir des gangrènes, au scrotum ou au pénis chez des malades traités pour d'autres affections et qui n'étaient soumis à aucune médication iodée. Tout semble donc dénoter qu'il n'y eut que simple coïncidence chez notre malade entre l'injection iodée et les effroyables symptômes qui le firent succomber.

Nous savons d'ailleurs qu'un de nos collègues de l'Hôtel-Dieu a employé cette année l'injection iodée chez des sujets atteints de bubons suppurés, une trentaine de fois au moins, et que non-seulement il n'a point observé d'accidents chez ces malades, mais qu'il a eu mème lieu de s'applaudir d'avoir eu recours à cette méthode qui lui a toujours paru abréger la durée des adénites, en en accélérant la résolution et la cicatrisation.

Ajoutons que neuf observations de ce mode de traitement, publiées, l'an dernier, par M. le docteur Abeille (1), rassurent d'autant plus sur les suites de l'injection iodée dans ces cas, que ce praticien, loin de se contenter d'une seule injection, en pratiquait une par jour avec une solution à parties égales de teinture alcoolique d'iode et d'eau, sans qu'il ait jamais vu survenir d'accident.

Nous croyons donc, après mùr examen, pouvoir proclamer l'innocuité de celte méthode dans le traitement du bubon suppuré, sans penser pour cela qu'il faille l'employer dans tous les cas ; c'est-à-dire que nous la considérons comme superflue dans les adénites à marche aiguë, parce que l'incision y est généralement suivie d'une cicatrisation assez prompte de la cavité abcédée, pour n'avoir pas à regretter l'injection, qui a toujours l'inconvénient d'une vive douleur : mais nous croyons à son utilité dans les bubons à marche lente,

(1) Voir Revue médicale, mai 1849, page 109.

dans lesquels la suppuration ne s'est que tardivement produite, et qui manquent par conséquent de cette excitation vitale qui hâte la guérison. Dans ces cas, l'injection iodée stimulera avantageusement l'adénite, favorisera la résolution de l'engorgement concomitant, et, provoquant un recollement plus prompt des parois de la poche abcédée, préviendra presque toujours ces décollements interminables qui accompagnent souvent le traitement par incision.

S'il est bien recommandé, dans le traitement de l'hydrocèle, d'éviter la pénétration du liquide iodé dans le tissu cellulaire du dartos, il ne l'est pas moins de veiller ici à ce que l'injection ne pénètre que dans la cavité abcédée, dont la membraue puogénique et l'épaississement des tissus qui l'entourent font office de corps isolant.

Quant au procédé opératoire, M. Roux fait à la peau de l'abdomen un pli parallèle au ligament de Fallope et immédiatement au-dessous de lui, puis ponctionne le bubon par la base de ce pli au moyen d'une sonde cannelée peu longue et terminée en fer de lance; il choisit ce point, afin que le trajet se laisse plus tard pénétrer plus difficilement par le pus qui viendrait à s'écouler au dehors. Le bubon vidé et nettoyé, il injecte ensuite une solution d'iode au tiers dont il ne laisse qu'une faible partie à demeure. M. Marmy fait la ponction avec un trocart à hydrocèle, c'est-à-dire qu'il saisit de la main gauche toute la tumeur, la soulève légèrement, et enfonce horizontalement le trocart à la base de celle-ci, en dehors ou en dedans, suivant la tendance du pus à se porter dans un sens ou dans l'autre. Le pus évacué et la poche lavée par une injection aqueuse, l'auteur introduit dans la seringue, 12 à 15 grammes de teinture d'iode additionnée d'une certaine proportion d'eau : l'injection est alors poussée et laissée pendant environ deux minutes, et pendant ce temps qui est assez douloureux, la tumeur est légèrement malaxée, après quoi on fait écouler, par la canule, le quart ou le tiers de l'injection, afin que, la canule retirée, on laisse ainsi dans le foyer une certaine quantité de liquide iodé, qui suinte lentement par la petite plaie.

On trouvera souvent tout aussi convenable de faire la ponction évacuatrice avec un bistouri à lame étroite. Nous n'avons pas procédé différemment nous-même dans les cas où nous avons usé de ce traitement. Un cataplasme est utilement appliqué sur la tumeur, afin de modérer les effets de l'injection iodée.

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Ce traitement local ne saurait, comme on pense bien, dispenser du traitement général que peut nécessiter une affection syphilitique générale.

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ARTICLE II. Abcès froids. Les injections iodées peuvent-elles être avantageusement appliquées au traitement des abcès froids proprement dits (1)? Ce serait par la négation qu'il faudrait répondre à cette question, s'il fallait

(1) Nous entendons parler ici de ces abcès assez analogues à des tumeurs enkystées, qui se développent sourdement, lentement et presque sans douleur, chez des sujets bien

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s'en tenir à l'opinion de M. Velpeau qui avance, dans ses Nouveaux éléments de médecine opératoire, en traitant de l'abcès froid, que jusqu'ici il n'y a point encore d'exemple bien avéré d'abcès froid ou d'abcès par congestion guéri par cette méthode. Mais des faits authentiques ont été depuis lors publiés, qui démontrent qu'il y a lieu de réformer un pareil jugement, puisqu'ils signalent de belles guérisons obtenues par elle.

Il nous paraît d'abord juste de rappeler qu'il conste de la lecture du troisième Mémoire de M. Lugol, Sur l'emploi de l'iode dans les maladies scrofuleuses, que, dès 1830, ce praticien distingué employait les injections iodurées dans les abcès froids préalablement vidés, par une ponction, du pus qu'ils renferment (1). Mais la solution iodurée dont il se servait était faible et moins destinée à développer dans les parois de l'abcès une inflammation adhésive, qu'à faire un lavage utilement modificateur et propre à aider l'action du traitement interne qui était la base de la médication, c'est pourquoi l'injection était répétée à chaque pansement.

Mais la chirurgie est devenue plus hardie sous ce rapport, c'est-à-dire qu'elle n'a pas craint d'injecter dans la poche de l'abcès froid, préalablement débarrassée du pus, non-seulement la solution iodée au tiers, usitée dans l'hydrocèle, mais même la teinture d'iode pure ou seulement mélangée de parties égales d'eau, et c'est à cette hardiesse même qu'elle doit de compter déjà de très-encourageants succès.

Il résulte, en effet, de la lecture d'un intéressant travail publié en 1847 par le docteur G. Borelli (2), qu'à la suite de ce moyen répété un certain nombre de fois sans danger, il a obtenu des guérisons complètes et radicales. L'auteur a même choisi, parmi celles qu'il a recueillies, trois observations confirmatives de cette efficacité, dont l'une est relative à un vaste abcès froid de la région latérale gauche du thorax, la seconde, à un autre abcès de même nature à l'avant-bras gauche et avec complication, et la troisième à un abcès froid de la région sous-épineuse de l'épaule gauche. Les injections étaient faites avec la teinture d'iode sans mélange.

Mais nous n'avons qu'à ouvrir les journaux de médecine publiés en France, pour y trouver plusieurs faits de guérisons semblables, dont quelques-uns sont même antérieurs au travail du praticien italien. La pratique ne peut que gagner à en rappeler ici plusieurs.

1. Un homme d'une quarantaine d'années portait à la nuque un abcès froid du volume des deux poings: M. Jobert le ponctionna avec un trois-quarts, et,

portants en apparence, mais dont la constitution est généralement lymphatique, souvent scrofuleuse ou cacochyme, tumeurs qui sont d'ailleurs idiopathiques, c'est-à-dire qui se sont spontanément produites dans les lieux mêmes où on les rencontre.

(1) L'observation onzième de ce Mémoire est, en effet, ainsi intitulée : Abcès froid, gros comme les deux poings, au côté gauche du col. Ponction; injections iodurées; pansements iodures; eau minérale iodurée. Guérison en six semaines.

(2) Annali univ. di med., février et mars 1847.

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