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la direction revient au plus ancien, et la parole est donnée d'abord au plus jeune. Les bases du diagnostic et du traitement étant arrêtées, la consultation sera rédigée par écrit, aussi par le plus jeune ou par celui que les consultants s'accorderont à charger de cet office. Dans cette pièce importante devront figurer les éléments du diagnostic et le détail des prescriptions thérapeutiques; elle a pour objet de servir de guide au médecin ordinaire et de rappeler les circonstances du fait si, plus tard, il en était besoin. Cet écrit doit rester entre les mains du médecin traitant, lequel en remettrait copie à la famille du malade, si celleci le désirait.

Dans les visites à deux, qui sont, à vrai dire, des consultations journalières, les choses doivent se passer de la même manière. C'est le médecin ordinaire qui est chargé d'écrire les formules. L'un des visiteurs ne doit modifier le diagnostic, tirer des pronostics ou prescrire de nouveaux remèdes, qu'après s'être concerté avec son confrère, sous peine de voir surgir des malentendus, des contradictions, qui inquiètent ou embarrassent le malade et compromettent la dignité de l'art. Le médecin consultant doit cesser ses visites dès qu'il reconnaît que sa présence est superflue, ou que son concours n'est plus désiré. Sous aucun prétexte, il ne doit consentir à voir le malade à l'insu du médecin ordinaire. Nous avons dit qu'il ne pouvait remplacer celui-ci qu'à son corps défendant.

Nous devons dire quelques mots des consultations dans le cabinet. La retraite du médecin est un sanctuaire où règne exclusivement le maître du lieu. Tout malade qui en franchit l'entrée a droit aux secours qu'il vient réclamer. Dans le cas où le patient a un médecin en titre, le consultant doit faire ressortir à ses yeux les inconvénients et les dangers d'un traitement en partie double, et l'exhorter à soumettre la consultation à celui qui le traite habituellement. C'est dans le cabinet que le médecin peut, à son gré, faire et défaire les réputations, restituer ou accaparer les malades, agir enfin avec probité ou félonie, selon l'élévation ou l'infimité de son caractère. La consultation de cabinet doit toujours être écrite et relater les circonstances du fait, d'abord parce qu'elle sert de guide au malade, ensuite parce qu'elle peut servir de memento en cas de consultations ultérieures; enfin, parce que le malade à qui vous ne donnez que des paroles ne sort pas complétement satisfait. La consultation de cabinet doit toujours être une œuvre châtiée, car il arrive souvent qu'elle est soumise à de nombreuses appréciations, et qu'elle sert de base à l'o

pinion plus ou moins favorable qu'on se fera de la science et même de la moralité du médecin. C'est pourquoi l'on ne devra s'y prononcer qu'avec beaucoup de prudence et de réserve, un premier examen laissant parfois beaucoup de chances à l'erreur.

Il arrive souvent aux médecins en réputation d'être consultés de loin et par écrit; c'est ce que l'on appelle répondre à un mémoire à consulter, ou traiter par correspondance. Ce genre de consultation est sujet à beaucoup d'inconvénients. Et d'abord, il faut récuser, en général, les détails rédigés par les malades eux-mêmes, en tant qu'ils sont entachés d'ignorance, de fausses appréciations et souvent d'exagération. Il convient d'exiger un rapport du médecin traitant, et encore il arrive souvent que l'on éprouve la privation d'une foule de détails três-importants, relatifs à l'extérieur, aux allures, au genre d'esprit du malade, à mille particularités de fine observation que la plume ne peut rendre. Aussi devra-t-on se montrer encore plus réservé, s'il est possible, dans ce cas que dans le précédent.

Nous aurions, pour compléter notre œuvre, à parler des devoirs du médecin dans હૈ les diverses conditions particulières, c'està-dire dans les divers emplois médicaux qu'il peut occuper, tels que ceux de professeur, de médecin des armées de terre et de mer, des hôpitaux, des asiles d'aliénés, des eaux minérales, des prisons, de médecin légiste, de médecin communal, etc. Mais indépendamment de ce que les devoirs du médecin, dans ces diverses positions, ne diffèrent pas essentiellement de ce qu'ils sont dans la vie commune, à part les règles disciplinaires et le mécanisme de ces fonctions, ce sont là des attributions spéciales, exceptionnelles, dont quelques-unes même ont leurs codes spéciaux. C'est ainsi qu'il y a des manuels à l'usage des militaires, et que j'ai moi-même écrit un traité de Médecine navale pour les médecins de la marine.

Nous allons ici, sous forme d'appendice, produire quelques considérations sur les devoirs du médecin envers les pharmaciens; sujet très-chatouilleux, sur lequel nous aurons cependant le courage de dire notre pensée.

Les pharmaciens ne sont plus des apothicaires, de même qus les chirurgiens ne sout plus des barbiers. Un honorable niveau s'est établi entre toutes les sciences qui tiennent à l'art de guérir. Du médecin au pharmacien, il n'y a donc plus de hiérarchies, il n'y a que des rapports harmoniques, ce qui n'exclut pas les droits et les devoirs réciproques.

Le premier de ces droits et de ces devoirs,

c'est que chacun restera dans les limites de ses attributions. Eh bien! il faut le dire: tous les pharmaciens font de la médecine; personne ne l'ignore, eux-mêmes en conviennent, et je ne sais trop comment on pourrait y remédier. Non-seulement les pharmaciens font de la médecine, mais encore ils disposent de la réputation des médecins, puissance dangereuse qui pourrait entraîner le praticien à de coupables faiblesses, s'il ne portait haut, comme on dit, le sentiment de ses obligations. . Des médecins, doués des plus grands talents, qui ont reçu une édu»cation distinguée, voient fréquemment » leurs succès dépendre des apothicaires, et l'obligation qu'ils ont à ces derniers est >> souvent reconnue d'une manière que » tout homme d'honneur devrait vouer à » l'indignation. » (GREGORY, Devoirs du méd.). Ainsi, quoi qu'il puisse advenir, le médecin devra rester dans les termes d'une bienveillance mutuelle avec le pharmacien, de peur d'encourir, par trop d'intimité, l'accusation de le courtiser ou de pactiser avec lui.

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J'ai dit pactiser, car il est malheureusement avéré que des médecins ont parfois contracté je ne sais quelles associations dont le but est un lucre coupable, que flétrit la morale et que les lois punissent comme criminel. Ce méfait n'est pas d'invention moderne, et FRED. HOFFMANN disait déjà : « C'est un procédé odieux et infâme que de >> s'accorder avec un apothicaire et d'en ti»rer une rétribution. >>

D'autres manœuvres ont quelques rapports avec la précédente; telle est celle qui consiste à rendre un pharmacien dépositaire d'un remède mystérieux, désigné seulement ou par le nom de l'auteur, ou par une dénomination spéciale, un signe de convention, un chiffre, etc.

Dussé-je encourir la disgrâce et l'anathème de la pharmacie tout entière, je me crois obligé de proclamer un principe qui, d'ailleurs, est au fond de la conscience de tous, du médecin, du public, et du pharmacien lui-même : c'est que l'intérêt le plus sacré du médecin étant, avant tout autre, celui du malade, le praticien serait gravevement coupable si, dans l'unique but de complaire aux pharmaciens, il prescrivait des remèdes superflus et plus ou moins dispendieux.

De ce principe, il résulte que le médecin doit connaître approximativement la valeur vénale des substances qu'il emploie.

Le médecin doit leuir expressément à l'exécution scrupuleuse de ses prescriptions, et s'opposer à ce que le pharmacien y substituedes succédanés sans son consentement formel.

En cas de difficultés ou d'obscurités dans l'exécution ou la rédaction des formules, le médecin doit s'entendre avec le pharmacien, et savoir gré à celui-ci des observations qu'il croirait devoir lui soumettre,

Le médecin doit laisser au public le libre choix du pharmacien, dont la réputation doit être pour lui chose aussi sacrée que la réputation d'un confrère même. S'il est consulté sur le choix à faire, le médecin désignera le pharmacien le plus voisin da domicile du malade, à moins qu'il n'ait contre ce pharmacien des griefs légitimes, c'est-à-dire fondés uniquement sur son incurie et son incapacité reconnue.

Quant aux devoirs du pharmacien envers le médecin, ils reposent sur la réciprocité même; il ne nous appartient pas de les lui dicter.

Ici se borne la tâche que nous nous sommes imposée c'était uniquement d'effleurer un sujet extensible à l'infini, et qui a déjà fourni matière à de nombreux volumes. Nous n'avons abordé que les points capitaux, et nous en avons omis beaucoup non moins inportants, sans doute. Puissions nous avoir donné une idée suffisante de l'esprit qui doit diriger le médecin dans sa conduite au sein de la société. Le sens droit et la conscience du praticien lui dicteront le reste. En disant ce que doit être le médecin, je n'ai pas eu la vanité de prétendre esquisser mon propre caractère. Nul ne peut avoir la prétention d'atteindre à ce beau idéal que j'ai voulu définir. Notre unique ambition doit être d'en approcher le plus près possible.

« Homo sum, et nihil humani a me alienum puto.»

Académie de médecine de Paris.

Suite de la séance du 1er octobre 1880.

M. DANYAU continue: Tantôt on aura méconnu un rétrécissement du bassin. médiocre peut-être, mais néanmoins suffisant pour arrêter la tête et frapper l'utérus d'inertie. Quel bien pourrait faire, ou plutôt quel mal ne fera pas le seigle ergoté dans un cas où l'insuffisance des contractions tient à une pareille cause! Tantôt la résistance de l'orifice utérin aura été mal appréciée, et loin de céder au seigle ergoté, l'obstacle grandit, quand il aurait suffi, pour le vaincre, d'une saignée faite à propos, d'une fumigation, d'un bain, ou seulement d'une intelligente expectation. Il y aura eu erreur complète sur la présentation, elle était vicieuse, et le scigle n'a fait qu'augmenter les difficultés et les dan

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gers; là il s'agissait d'une présentation naturelle, mais la partie fœtale était défléchie, inclinée, retenue transversalement dans le bassin, et ces détails si importants de diagnostic ont échappé à un observateur superficiel, fort étonné ensuite que le réveil et la suractivité des contractions utérines restent sans effet. Une autre fois, pour citer un exemple encore, ce sera contre un volume excessif du fœtus, contre une hydrocéphalie méconnue, etc., etc., que le seigle luttera vainement au grand préjudice de la mère ou de l'enfant, sinon de tous les deux. Et qu'on ne croie pas purement gratuites ces suppositions et quelques autres qu'il nous serait facile de produire. Nous pourrions invoquer le témoignage des faits; ils attestent la fréquence des erreurs que nous venons de signaler et leurs fâcheuses conséquences. Il n'est pas d'accoucheur, souvent appelé pour les cas difficiles, qui n'ait maintes fois constaté la légèreté extrême et l'aveugle facilité dont se plaint aujourd'hui M. le préfet de la Seine.

Qui pourrait mettre en doute la désastreuse influence d'une telle pratique sur la vie des enfants? Personne assurément, personne surtout parmi les partisans déclarés et éclairés du seigle ergoté. C'est que, malgré leur confiance, ils sont loin de procéder avec cette témérité. Praticiens expérimentés, explorateurs habiles, fidèles observaleurs des règles prescrites, ils n'administrent le seigle qu'après un très-scrupuleux examen, n'ignorant pas que c'est amener les choses à un point véritablement critique, et qu'une fois le seigle donné, une terminaison prompte, spontanée ou artificielle, importe au salut de l'enfant. Ne perdant jamais de vue la nature des contractions produites par l'ergot, le spasme permanent, l'état tétanique de la matrice qui succède si souvent à l'usage de ce moyen, la gêne, la suspension de la circulation utéro-placentaire qui en est la conséquence, et, comme dernier effet, l'asphyxie possible, complète ou incomplète, du fœtus, ils ne se décident, les conditions fussent-elles favorables, qu'après avoir épuisé les moyens plus simples de remédier à l'inertie utérine et se gardent également d'une précipitation funeste et d'une trop tardive prescription. Familiers avec l'auscultation qui leur révèle d'une manière si sûre l'état de la circulation fœtale, ils l'observent attentivement, et s'ils la trouvent déjà plus ou moins profondément troublée, ils s'abstiennent, dans l'intérêt de l'enfant comme dans celui du seigle lui-même; le moment favorable est arrivé; l'extraction immédiate est indiquéc. Ont-ils, au contraire, jugé opportun d'administrer l'ergot, et ce ne sera ja

mais sans être sûrs de pouvoir terminer l'accouchement au premier signe d'urgence et sans avoir tout préparé à cet effet, leur oreille vigilante constate, à des intervalles rapprochés, l'état des braits du cœur fœtal. Ces bruits conservent-ils leur rhythme normal, leur force et leur régularité, l'accouchement est abandonné à lui-même, et la nature continue d'agir sous l'influence du seigle. Leur fréquence devient-elle excessive, ou au contraire s'abaisse-t-elle beaucoup, de 140 à 100 ou 90 p., en même temps leur régularité est-elle troublée, leur force diminuée, résultats malheureusement assez communs et que n'exclut pas absolument l'absence de toute action expulsive bien évidente, le moment d'agir est venu; une plus longue attente serait funeste, l'enfant est extrait sans retard.

Avec cette prudente réserve, sous ce contrôle incessant d'une oreille exercée, quand on est toujours prêt à agir, suffisamment sûr de soi et légalement autorisé, quand d'ailleurs on n'use que de doses modérées à des intervalles convenables, 2 et 3 grammes par exemple, en trois ou quatre prises à vingt minutes ou demi-heure de distance, le seigle ergoté peut être administré sans danger pour la vie de l'enfant.

Mais cette innocuité n'est pas constante; on vient de voir à quelles conditions elle peut être obtenue. Elle n'est pas surtout de longue durée; un temps assez court, un couple d'heures quelquefois, une heure le plus souvent, et dans quelques cas même une demi-heure, suffisent pour rendre son action très-funeste à l'enfant. Nous avons dit comment. Nous ajouterons que l'emploi le plus rationnel ne met pas toujours à l'abri d'un péril qui, une fois déclaré, réclame une vive décision, une prompte et habile intervention. Mais souvent rien n'est prêt, le temps se passe en préparatifs, et cependant de plus en plus compromis, l'enfant succombe; ou bien, comptant plus sur le seigle que sur l'habileté de sa main, l'accoucheur, jeune encore, espère toujours, hésite, ne réclame que tardivement un avis, ou plus hardi sans être plus adroit, tente, mais sans succès, une application de for-. ceps.

Placées dans cette situation délicate, les sages-femmes sortent-elles plus heureusement du pas difficile dans lesquelles elles se sont engagées? moins bien encore assurément. D'abord il n'est pas douteux que si beaucoup d'entre elles consultent scrupuleusement les indications et les contre-indications et s'y conforment, il en est quelques-unes moins consciencieuses, qui, mues par l'espoir de se suffire à elles-mêmes, abusent singulièrement du seigle ergoté. Une

fois entrées, sans conseil et sans coutrôle, dans cette voie périlleuse, elles vont jusqu'au bout, soit qu'elles répugnent absolument à toute intervention étrangère, soit que, pleines d'une aveugle confiance, elles attendent tout du remède et ne se lassent pas d'attendre, soit que chez elles à un mauvais sentiment se joigne l'ignorance des effets délétères du seigle et de l'auscultation qui permet de les constater et de les suivre. L'enfant est expulsé sans doute après un temps plus ou moins long, et le mérite de cette expulsion leur appartiendra tout entier; mais il a cessé de vivre ou naît dans un état d'asphyxie dont il est impossible de le tirer. Les sages-femmes plus instruites et mieux pénétrées de leurs devoirs, celles-même qui ne donnent le seigle ergoté qu'à propos, réussiront sans doute dans bon nombre de cas; mais placées dans des conditions moins favorables que les accoucheurs, elles seront exposées à perdre des enfants qu'ils auraient sauvés. En effet, l'unique voie de salut ne leur est-elle pas fermée? La loi, précise à cet égard, ne leur interdit-elle pas l'usage du forceps? En supposant qu'elles aient vu le péril et qu'elles se soient hâtées de réclamer les conseils et l'assistance d'un accoucheur, auront-elles la certitude que le secours, qui ne peut être efficace qu'à la condition d'être prompt et quelquefois immédiat, leur arrivera en temps opportun? Ainsi périront des enfants qui, sous une direction entièrement libre et maîtresse d'elle-même, seraient nés vivants. Pourquoi dès lors, dans leur intérêt comme dans celui des femmes confiées à leurs soins, les sages-femmes, avant d'administrer le seigle ergoté, ne réclameraientelles pas, si les circonstances le permettent, l'avis d'un accoucheur qui, appelé au partage d'une responsabilité qu'il aurait acceptée, se tiendrait prêt à agir à la première manifestation du danger?

Nous n'avons jusqu'ici répondu qu'à la première partie de la question qui est adressée à l'Académie par M. le préfet de la Seine. Encore n'avons-nous pas touché quelques points contestés sur lesquels nous reviendrons plus tard. Avant de les aborder et pour compléter ce que nous avons à dire des résultats de la pratique ordinaire, nous examinerons quelle peut être l'influence du seigle ergoté sur la santé des

mères.

A dose médicamenteuse ou, si je puis ainsi dire, obstétricale, c'est-à-dire à petitites doses et prises convenablement espacées, le seigle ergoté ne produit d'autre effet général sur la mère qu'une diminution plus ou moins marquée dans la fréquence du pouls. Encore ce résultat est-il loin d'être

constant. Si quelques expérimentateurs ont observé sur eux et sur d'autres des symptômes d'empoisonnement avec des doses qu'on ne peut pas considérer comme toxiques, administrées d'ailleurs en une seule fois et non pendant une série de jours, si le docteur Cusack a vu chez trois femmes auxquelles le seigle avait été donné à la dose de 1 gramme 112, de la stupeur, des épistaxis, etc., etc.; si Fleetwood Churchill a observé dans plusieurs cas, pour des doses de 3 grammes en trois fois d'heure en heure, une violente céphalalgie, du délire, unc demi-stupeur et un ralentissement très- notable du pouls, ces résultats n'en sont pas moins des exceptions, et doivent même être considérés comme des exceptions trèsrares. Quant à l'ergotisme complet succédant à l'usage obstétrical du seigle, il semble presque impossible, quelles que soient les quantités ingérées; suivant la remarque de M. Arnal, une bonne partie de la substance, quand la dose est considérable et prise dans un très-court espace de temps, ne fait que traverser le canal intestinal et n'est point absorbée. Aussi le fait de M. Levrat Perroton, relatif à une femme en travail chez laquelle l'ergotisme fut porté jusqu'à la gangrène des extrémités, à la suite de plusieurs gros de seigle administrés par une sage-femme, est-il fort remarquable. Mais, unique peut-être, cette exception confirine mieux enrore que les autres la règle générale. D'ailleurs quelques cas assez concluants, dans un autre sens, pourraient lui être opposés ; en particulier celui de J. Paterson, qui, pour provoquer l'accouchement avant terme, fit prendre impunément, à une femme, plus de 100 grammes d'ergot dans l'espace de quelques jours. Tout en tenant compte de quelques faits très-exceptionnels, nous pouvons donc redire ici, avec tous les accoucheurs, que l'usage du seigle ergoté dans la pratique des accouchements, même à des doses un peu fortes et quelquefois de beaucoup supérieures à celles qui sont généralement employécs, n'expose les femmes à aucun accident toxique.

Il ne s'ensuit pas malheureusement qu'il soit pour elles d'une complète innocuité. Les violentes contractions qu'il produit ne sont pas seulement funestes à l'enfant; elles peuvent aussi avoir de bien graves conséquences pour la mère. Dans les cas où le seigle a été administré à contre-temps et à contre-sens, quand le bassin est rétréci, par exemple, n'a-t-on pas vu l'utérus surexcité, luttant de toute son énergie et sans succès contre un invincible obstacle, se rompre tout à coup? La continuité prolongée de ces contractions peut produire sur

les organes maternels des lésions d'un autre genre, moius graves sans doute, mais pourtant bien tristement fâcheuses. Si le long séjour de la tête du foetus dans l'excavation pelvienne suffit, dans quelques cas, pour mortifier plus ou moins profondément les parties molles, que ne doit-on pas craindre du spasme permanent produit par le seigle et de la pression incessante qui en résulte? Ne serait-ce pas à cette cause, bien plus qu'à toute autre, qu'il faudrait attribuer le nombre beaucoup plus considérable qu'autrefois des fistules vésico-vaginales? Si cette plus grande fréquence signalée par un illustre chirurgien est réelle, si une certaine affluence dans les hôpitaux ne tient pas uniquement aux efforts heureux faits dans ces derniers temps pour guérir ces fistules, et à l'espoir si avidement embrassé par les malheureuses qui en sont affligées, de trouver enfin la guérison d'une infirmité autrefois réputée incurable, en un mot si le seigle joue ici, comme nous le pensons, un rôle funeste, n'est-ce pas un motif de plus d'être très-réservé dans l'administration de ce médicament et particulièrement attentif sur ses effets?

Il ne faut pas, toutefois, assombrir le tableau. Les accidents que nous venons d'indiquer tiennent moins au seigle luimême qu'à la manière de l'administrer et au choix des cas dans lesquels on l'administre. N'en est-il pas au reste de même de la plupart de nos moyens thérapeutiques? Un bon diagnostic, un à propos bien saisi, une indication bien remplie, assurent des succès aux uns, tandis que les autres ne rencontrent que des revers, faute de connaissances suffisantes, de tact et d'attention. En tous cas, le seigle donné pendant le travail, dans l'intention d'accélérer l'accouchement ou pour remplir tout autre but, est absolument sans influence, je veux dire sans influence fâcheuse, sur les suites de couches. Rendrait-il même les accidents puerpéraux plus rares, ainsi qu'on l'a prétendu, et assurerait-il aux femmes un rétablissement plus prompt? nous n'oserions l'affirmer. Qui pourrait dire, en effet, quelle est ici la part des simples coïncidences, et, cette part faite, ce qui resterait de la prétendue influence préventive de l'ergot? Quoi qu'il en soit de ce doute, il est au moins bien démontré que les femmes, une fois accouchées, n'ont rien à redouter de l'usage qu'elles auraient fait du seigle en accouchant.

Forts de cette conviction, les accoucheurs font un large et fréquent emploi du seigle pour prévenir ou arrêter les hémorrhagies qui compliquent ou suivent la délivrance. Son action, presque souveraine en pareil

cas, suffirait pour faire bénir la découverte des propriétés obstétricales d'une substance qui n'a été si longtemps connue que par ses propriétés toxiques. Avant la naissance de l'enfant, le seigle, à côté de ses avantages, a ses inconvénients, ses dangers; ici l'action bienfaisante demeure scule et tout entière, le péril a disparu. La délivrance est-elle accomplie, le seigle est donné sans retard à doses et à distances convenables. Ne l'est-elle pas, au contraire, s'il y a urgence et que le cas soit de ceux qui ne requièrent pas quelque opération préalable, sans retard encore ce médicament est administré. L'enfant vient-il de naitre et s'agit-il, non d'une hémorrhagie à arrêter, mais d'une prédisposition à combattre, d'une action préventive à obtenir, on attend le décollement du placenta et un commencement d'engagement dans l'orifice avant de donner une première dose. Cette opération, recommandée par beaucoup de praticiens, suivie à l'hôpital d'accouchement de Dublin et à la Maternité de Paris, a pour but de prévenir une complication qui pourrait résulter de l'administration un peu prématurée du seigle ergoté, à savoir la rétention du placenta. Si toutefois on tient compte des heureux résultats obtenus tant de fois avec le seigle donné plus tôt encore, et pourtant à une époque très-rapprochée de l'accouchement, les craintes d'une rétention du placenta diminuent beaucoup si elles ne s'évanouissent pas tout à fait. Il est heureux, parce qu'il est beaucoup plus sûr pour le but qu'on se propose d'atteindre, qu'on puisse, sans crainte d'un fâcheux effet, faire prendre une première dose d'ergot quelques instants, un demi-quart d'heure avant l'expulsion désormais assurée de l'enfant. Que de fois n'a-t-on pas eu à se féliciter d'en avoir agi ainsi, soit qu'on cût affaire à une femme qui avait plus ou moins abondamment perdu à un accouchement antérieur, soit qu'on eût à diriger un accouchement qu'on prévoyait devoir être extrêmement rapide, soit au contraire que le travail, près de finir, eût considérablement traîné en longueur et qu'on voulût se prémunir contre une inertie ultérieure de l'utérus.

Dans de telles circonstances, en présence d'un pareil danger, quand le remède, et un remède si puissant, est là, tout prêt, sous la main, n'est-ce pas le devoir le plus impérieux et le plus pressant d'une sagefemme de l'administrer sans retard? Les moments sont précieux; si elle ne peut les mettre à profit, s'il lui faut attendre l'arrivée d'un médecin, l'hémorrhagie, qui n'était qu'imminente, se déclarera, celle qui était médiocre deviendra grave, celle qui

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