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je veux faire l'aveu avec toute la réserve et la convenance que je dois à d'honorables confrères.

C'était dans des circonstances que voici : un homme se présentait à ma consultation avec une blennorrhagie des mieux caractérisées. Il m'affirmait qu'il n'avait eu de rapports qu'avec une seule femme, et que cette femme était sa femme ou sa maîtresse. Cet homme était inquiet ou alarmé. Il conduisait avec lui la femme auprès de laquelle il avait puisé son mal; et celle-ci, proles tant de son innocence, de concert avec le malade, me suppliait de la soumettre au plus rigoureux examen. Cet examen, fait avec toute l'attention et toute la sévérité dont je suis capable, me montrait les organes sexuels de cette femme dans un parfait état de santé. Rien, absolument rien dans les replis les plus profonds de ces organes qui pût expliquer la blennorrhagie de cet homme. Je priais la femme de passer dans une pièce voisine, et, seul avec le malade, j'épuisais tous les moyens possibles, et dont je vous épargne les détails, pour arriver à cette certitude: le malade n'a eu de rapports qu'avec cette femme; c'est dans ces rapports seulement qu'il a pu contracter la maladie qu'il porte.

Je rassurais le mari ou l'amant; j'innocentais la femme ou la maitresse; mais alors je les priais de se rendre complices tous les deux du petit stratagème qu'il me reste à indiquer.

Je les envoyais tous les deux, et séparément, bien entendu, chez tel ou tel de mes savants collègues que je sais être en dissidence profonde avec moi sur la question de la blennorrhagie. Je disais au malade: posez nettement cette question; ma blenmorrhagie est-elle syphilitique? Je disais à la femme demandez hardiment: ai-je pu donner la blennorrhagic à un homme?

Le couple me revenait, l'homme avec un diagnostic écrit ainsi formulé: blennorrhagie syphilitique, suivait le traitement ad hoc; la femme avec cette indication: l'état parfaitement sain des organes permet d'affirmer que madame n'a pu communiquer une maladie qu'elle n'a pas.

Ce n'est pas un fait unique et isolé que

(1) Il y a des faits plus extraordinaires encore que ceux relatifs à des blennorrhagies contractées auprès des femmes saines. En voici un dont l'analogie ne s'est peut-être pas présenté à M. Ricord, et sur l'authenticité duquel il ne m'est pas possible d'élever le moindre doute.

Un homme de trente ans, médecin, vivait dans la continence depuis plus de six semaines, et ses derniers rapports sexuels n'étaient pas suspects. Une circonstance fortuite lui permit de passer une journée presque tout entière en tête-à-tête avec une jeune femme qu'il aimait. Depuis six

je vous signale, mon cher ami; cette expérience, je l'ai renouvelée plusieurs fois et assez souvent, avec des variantes, pour corroborer mes convictions et pour rassurer ma conscience (!).

Que signifient ces faits? Que la cause de la blennorrhagie ne peut pas être toujours connue; que cette maladie peut être produite par les causes communes à toutes les inflammations, s'il y a prédisposition; mais que l'agent le plus spécial de la blennorrhagie est le muco-pus fourni par les muqueuses génito-urinaires enflammées.

Cette manière de voir me paraît plus rationnelle, beaucoup plus philosophique que celle qui rapporterait la blennorrhagie dite vénérienne à une sorte de demi-virus imaginé par notre très-savant confrère et habile syphilographe, M. Baumès. Pour ce praticien, la blennorrhagie est comme une dégénérescence du chancre; elle peut donner lieu à une infection constitutionnelle syphilitique, plus faible cependant que celle produite par le chancre, mais sans pouvoir, néanmoins par voie de contagion ou d'inoculation, reproduire celui-ci : « On peut

donc prévoir, ajoute M. Baumès, la plus » grande similitude entre les symptômes » constitutionnels qui sont la suite de l'une » et de l'autre de ces maladies; et, en effet, » l'expérience prouve que la différence » entre ces symptômes git, non dans leur »> nature, mais seulement dans leur degré » d'intensité, dans leur gravité et dans leur siége qui, après la blennorrhagic, s'étend généralement à moins de tissus, à moins » d'organes différents qu'après le chan» cre.» (Baumès, Précis théorique et pratique sur les maladies vénériennes, t. 1, p. 259.)

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C'est là une véritable doctrine de justemilieu. Cette théorie pure n'est justifiée ni par les faits, ni par l'observation, ni par l'expérience; il ne lui manque qu'une condition, des preuves.

Jusqu'ici donc, et c'est bien là mon opinion, la blennorrhagie simple reste complétement étrangère à la syphilis, quant aux causes qui peuvent la produire.

Mais, a-t-on objecté, le pus du chancre, c'est-à-dire le virus syphilitique, peut pro

heures du matin jusqu'à sept heures du soir, il fit de vains efforts pour vaincre la résistance de cette femme, dont la vertu ne succomba pas. Mais pendant toutes ces heures, ce confrère resta dans jours après il fut pris d'une blennorrhagie des un état d'excitation sans intermittence. Trois plus violentes, des plus douloureuses et qui dura quarante jours.

Assurément voilà le type d'une blennorrhagie non syphilitique.

(Note de l'Union médicale.)

duire la blennorrhagie. Cette opinion est fort ancienne; elle a été soutenue depuis les premiers temps de l'apparition de la vérole en Europe; et très-légitimement elle peut être encore soutenue aujourd'hui. Mais, qu'est-ce à dire? S'appuiera-t-on sur les observations des anciens? Elles sont incomplètes et insuffisantes; impossible avec elles de remonter scientifiquement de la cause à l'effet. Invoquera-t-on des expériences semblables à celles de Harrisson, qui conclut à la production d'une blennorrhagie par l'introduction dans l'urèthre du pus fourni par un chancre, sans savoir ce qu'il avait physiquement déterminé? Non, mais plus simplement et plus logiquement nous concluerons à la possibilité de la production de la blennorrhagie non virulente par le pus du chanere, en considérant ce pus, ainsi qu'on l'avait fait avant moi,

cause ou les causes de la blennorrhagic, quel que soit son siége dans les deux sexes, diffèrent de la cause spécifique, du virus qui produit fatalement le chancre, les conséquences de la blennorrhagie doivent toujours différer de celles du chancre; et cependant beaucoup de véroles constitutionnelles sont attribuées à la blennorrhagie!

Ce sont ces questions, mon cher ami, qui feront le sujet de ma prochaine lettre. Nous verrons aussi s'il est possible d'établir un diagnostic différentiel entre deux affections qu'on veut systématiquement confondre.

Vous me permettrez d'abord de vous dire un mot sur l'incubation de la blennorrhagie.

(L'Union médicale.)

TRAITEMENT RADICAL DE LA SCIATIQUE.

(Suite et fin. Voir notre cahier de juin, page 557.)

comme pouvant agir à la manière des irri- DE LA CAUTÉRISATION DE L'OREILLE COMME tants simples. Une femme ayant des chancres à la période inoculable, pourra ainsi déterminer chez un homme une blennorrhagie qui ne s'inoculera pas. On pourra ainsi se rendre compte des observations de Swediaur et d'autres, en supposant qu'ils n'aient pas commis quelque erreur de diagnostic, attendu que ces observateurs ne se servaient ni du speculum, ni de l'inoculation, observations qui prouvent que des hommes porteurs de chancres ont communiqué la blennorrhagie à des femmes.

Voici ce que l'observation clinique enseigne et ce que l'expérimentation peut démontrer. Il n'est pas rare de voir des malades, qui, d'abord affectés d'un chancre du gland ou du prépuce, sont successivement pris de balanite ou de balanoposthite déterminée par l'action irritante du pus du chanere. Mais alors, tandis que le chancre donne du pus inoculable, le pus fourni par la balano-posthite ne l'est pas (nous verrons plus tard que, pour que le pus du chancre agisse spécifiquement, il faut des conditions qui ne se rencontrent pas toujours.)

Fidèle donc à ma première conclusion, réduisant à leur juste valeur ces premières objections, j'affirme que quand Harrisson a produit des blennorrhagies avec le pus du chancre, ou bien ce pus a agi à la manière des irritants simples, ou bien il a produit un chancre urethral, ce qu'il n'avait pas vérifié. Comme nous verrons de même, plus tard, que lorsque Hunter a produit un chancre avec du prétendu pus blennorrhagique, c'était au produit d'un véritable chancre urethral qu'il avait cu affaire.

Mais si l'inoculation a prouvé que la

Nous citerons plus loin cette observation avec la traduction que nous avons faite de l'ar

La cautérisation de l'oreille a été pratimandables dont il suffira de rapporter les quée par des auteurs anciens très-recomtextes pour prouver qu'il s'agit ici d'une tradition purement médicale, dont les médecins auraient bien tort de laisser le monopole aux médicastres.

Nous commencerons par citer l'autorité que nous fait connaître notre confrère de Bastia ; c'est la plus récente.

Si vous vous donnez, dit M. Lncciana, la peine de voir la 3e édition de G. B. Monteggio, 1820, vous trouverez, volume fer, page 122, § 499, que dans le premier volume d'un journal médico-chirurgical de Parme, COLLA annonce qu'un prêtre guérissait la sciatique par le moyen d'une brûlure derrière l'anthélix ; que cette méthode de traitement fut suivie avantageusement par le chirurgien CESCONI ; qu'elle avait été précédemment mise en pratique par Zacuto Lusitano, d'après le conseil d'un individu qui avait demeuré longtemps au Japon (1). En consultant Colla, vous trouverez un fait qui tiendrait à établir la sympathie qui existerait entre l'oreille et les nerfs des extrémités inférieures. Monteggio dit qu'il pourrait ajouter unc observation faite par lui d'une sciatique en état de récidive, et que la douleur ne se limitait pas seulement à la jambe, mais qu'elle se faisait sentir à la fois au tronc, au cou, et enfin à l'oreille correspondante, de manière à courber fortement le malade vers la partie affectée. »

ticle entier de Zacutus Lusitanus, qui est le témoignage capital dans cette question.

Ici se terminent les documents que nous a fournis notre confrère de Bastia. Nous y joindrons deux pièces d'une haute importance pour la solution de la question. Nous extrayons textuellement la première de la Bibliothèque de médecine et de chirurgie de THEOPHILE BONET, livre dernier de l'Entopyrie ou de la cautérisation dans les maladies internes, chapitre IV, Des incommodités des hanches.

« Vallesius, en son commentaire sur les Epidémies, dit que les Sarrasins se servent familièrement du cautère en la sciatique, et Mercatus les recommande en ce cas, disant qu'en ces affections des jointures et douleurs des autres parties qui ne tiennent pas entièrement de la goutte, mais qui se forment des excréments de la partie insensiblement amassés ou qui viennent d'une fluxion lente; qu'alors c'est un grand remède d'ouvrir la veine qui est au milieu de l'oreille avec un fer chaud il faut avouer son conseil avec d'autant plus de fondement qu'il est conforme à Hippocrate, lequel, au sixième des Épid., parlant des Ischiatics, dit que dans les fluxions qui descendent sur la hanche, il faut ouvrir les veines qui sont derrière les oreilles, comme aussi celles qui sont au milieu; ainsi on ne s'écartera pas du sentiment de ces grands personnages si on se sert de la cautérisation quelques-uns aussi appliquent le feu en cet endroit en la douleur des dents. »

Zacutus Lusitanus semblerait être, d'après Monteggio, le promoteur de la méthode dont les maréchaux-ferrants de Corse sont aujourd'hui les seuls dépositaires. Le médecin portugais en parle, en effet, d'une manière très-explicite en deux endroits de ses œuvres. Dans le premier il ne s'agit guère que d'une simple citation d'Hippocrate avec une remarque curieuse sur laquelle nous allons revenir plus loin. Mais le second passage est tellement important que nous allons en donner la traduction exacte, en priant le lecteur de faire, quant aux théories, la part des idées qui ont régné depuis Hippocrate jusqu'au temps de l'auteur, et même jusqu'à notre siècle qui leur a substitué d'autres théories, lesquelles courent le risque de ne pas vivre aussi longtemps que leurs devancières. Ce paragraphe, extrait de la seconde partie du second volume qui porte le titre pompeux de Zacuti Lusitani praxis medica admiranda (liber 11, p. 84), a pour titre : Observatio CLXIX. Ustio venarum retrò aures, ischiaticis utilissima.

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Hippocrate recommande souvent dans » le cours de ses ouvrages la section des » veines situées derrière les oreilles, pour

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guérir les douleurs ischiatiques. Les mo » dernes, qui ont très-rarement essayé » cette pratique, ne savent comment expli» quer l'utilité de l'application d'un cautère » en ce point. Quant à moi, j'ai eu plus » d'une fois l'occasion d'en constater les » avantages, surtout lorsque j'avais à com» battre une fluxion tombée de la tête sur » la hanche, laquelle est la cause ordinaire » des douleurs ischiatiques, ainsi que l'enseigne Hippocrate (Epidémies, livre II, » sect. 5; Traité des glandes, no 10). Fernel, s'appuyant sur l'autorité d'Hippocrate, s'efforce, dans le livre 6 dc sa Pathologie; de prouver que l'arthrite provient toujours » de la tête, opinion absurde que de nombreux » auteurs ont déjà réfutée avec quelque vi» vacité. Quoi qu'il en soit, je fus un jour

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appelé auprès d'un Portugais de distinc» tion qui se plaignait d'une douleur atroce » à la hanche. Je prescris des remèdes cor» roborants, chauds; car la maladie prove» nait d'une fluxion pituiteuse de la tête; je passe ensuite aux purgatifs, aux sudorifiques; je scarifie, je cautérise la partie >> douloureuse. Mais le mal résiste, et le » malade désespéré, consulte tour à tour les enchanteurs, les sorciers, les femmes et » toute la plèbe des charlatans, qui lui font >> faire force remèdes. De mon côté, voyant qu'Hippocrate recommande, tant dans ⚫son Livre des épidémies (1) que dans le » Livre de l'air, des lieux et des eaux, la » section des veines situées derrière les » oreilles contre cette maladie rebelle, parce » qu'on intercepte ainsi la voie par laquelle » l'humeur descend de la tête à la hanche, » je fis à mon malade l'éloge de cette pratique; mais il ne se trouva point de chirurgien qui pût faire cette section des » veines de la manière que le recommande Avicenne pour les maladies de la tête. Je » fus donc obligé de faire moi-même cette » opération et je scarifiai la peau derrière

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les oreilles ; mais sans succès pour le ma>>lade. Sur ces entrefaites, ce dernier reçut » la visite d'un de ses amis qui avait séjourné dans le Japon; il en profita pour >> lui demander s'il n'aurait point entendu » parler dans ce pays de quelque remède qui pût le soulager. Le voyageur qui ai» mait à s'occuper de médecine, demanda à » voir la cuisse souffrante, qui était celle de » gauche; mais il n'y avait aucune enflure. » Le malade lui dit que ses accès doulou>> reux étaient constamment précédés de » tintements d'oreille et de migraine, preuve ⚫ certaine que la fluxion venait de la tête. On y vit l'indication d'un cautère au bras

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(4) Cum adsunt fluxiones, venæ in auribus posteriores scindendæ sunt, etc.

gauche; ce cautère coula pendant un mois, » mais sans soulager le malade. Rien n'y ⚫ pouvant mais, le voyageur console son » ami et lui promet de venir le lendemain » lui appliquer un remède qui sera une » sauvegarde contre le retour d'un si grand » mal. Le lendemain, en effet, dès le petit » matin, il lui cautérise, en ma présence, » la peau en arrière des oreilles avec un sarment de vigne enflammé; cette cautérisation est répétée à de courts intervalles » pendant deux heures. Après la chute de » l'eschare, qui survint au bout de près de deux jours, il coula une sérosité limpide, » et au vingtième jour le malade se trouva » tout à fait guéri par l'établissement de » cette excrétion, que son ami lui assurait » être fort en usage chez les Persans, tant » pour cette maladie que pour toutes celles qui proviennent de fluxions venues de la tête. De peur que, par suite de la cicatri»sation de l'ulcère et de la suppression de la sécrétion le mal ne vint à récidiver, je maintins encore pour longtemps la suppu»ration en ce point. J'ai depuis lors employé le même moyen avec un admirable » succès dans nombre d'affections de la tête » et dans d'autres fluxions. >>

On voit, d'après ce qui précède, que l'opération désignée par Hippocrate sous le nom de section des veines situées derrière

les oreilles, n'est pas aussi constamment efficace que la cautérisation, et c'est sans doute pour cela qu'on lui a substitué cette

dernière. Mais puisque nous avons cité Hip

pocrate, nous ne pouvons ne pas parler de l'inconvénient grave, s'il n'était chimérique, que le père de la médecine attribue à cette opération, et que Zacutus Lusitanus rapporte à l'ustion. Voici le passage de cet auteur avec la citation qu'il fait d'Hippo

crate :

. L'ustion ou la cautérisation des veines » situées derrière les oreilles, en intercep> tant la voie par laquelle l'humeur découle » de la tête à la cuisse, soulage la douleur ⚫ de la hanche; mais cette opération rend » les hommes inféconds. Hippocrate dit en effet à ce sujet : Et ces individus me semblent se perdre eux-mêmes par cette médication; car il y a derrière les oreilles

des veines dont la section cause la stérilité. » (Zacutus Lusitanus, tomus I, de medicorum principum historia, liber tertius, p. 451.)

Nous ne nous arrêterons pas à réfuter cette assertion, qu'Hippocarte ne met en avant que pour expliquer ce qui se passait chez les Scythes. Ces peuples étaient presque toujours à cheval; ils avaient fréquemLent des douleurs de hanches, des sciatiques qu'ils traitaient par la section des veines

qui sont derrière l'oreille, et l'on voyait un grand nombre d'hommes impuissants qui finissaient par prendre les usages et le costume des femmes. Et cette impuissance qui se rapportait sans doute à quelque autre cause que l'histoire n'a point fait connaître, a été mise sur le compte de la section postauriculaire, d'après le sophisme : post hoc, ergo propter hoc.

Le Journal des connaissances médico-chirurgicales, auquel nous empruntons cet article, annonce dans son dernier No que plusieurs expériences ont été tentées dans les hôpitaux de Paris. Sur trois cas de sciatique qui se trouvaient à l'hôpital St-Louis, trois guérisons ont eu lieu presque instantanément. Un des médecins de l'hôpital de la Pitié n'aurait pas été aussi heureux. Il y a eu suspension des douleurs pendant deux heures chez un malade et chez un autre la cautérisation n'a eu aucune action appréciable.

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SUR LE NITRATE D'ARGENT DANS LA JAUNISSE; par le docteur J.-F. PEEBLES. C'est au hasard que je dois la révélation de l'efficacité du nitrate d'argent contre la jaunisse. Un homme, affecté d'un ictère complet depuis deux mois, me consulta pour quelques symptômes du côté de l'estomac. Il était pénétré de cette idée que les mercuriaux lui seraient nécessairement pres

crits pour le traitement de son ictère; et ayant un préjugé fortement enraciné contre cette classe de remèdes, il m'invita à ne pas m'occuper de cette affection qui, en réalité, ne l'inquiétait que fort peu et de de l'estomac. Je lui prescrivis en consém'attaquer exclusivement au dérangement quence le nitrate d'argent cristallisé, qui me parut le mieux indiqué pour cet ordre de symptômes.

Je ne le revis qu'au bout d'une semaine. La jaunisse avait alors entièrement disparu, et le malade avait déjà renoncé au médica. ment, se considérant comme guéri. D'après mon avis, toutefois, il le continua encore quelques jours, et depuis ce moment, il y a aujourd'hui près de trois ans, il n'y a pas eu de retour de l'ictère, et la santé a été excellente sous tous les rapports.

J'ai eu depuis de nombreuses occasions d'attester et de vérifier l'efficacité du nitrate d'argent dans le traitement de l'ictère idiopathique chronique. Je sais bien que divers remèdes ont été préconisés de temps à autre et tenus en grande réputation pour la cure de cette maladie, ou, pour parler plus exactement, de ce symptôme de maladie; et

que parmi ces remèdes il y en a dont la faveur est assez bien justifiće par l'état de nos connaissances actuelles sur la nature de la jaunisse. Tout prévenu que je sois donc contre la nécessité d'ajouter à cette longue liste, toutefois je ne saurais m'empêcher de recommander une médication aussi simple contre l'ictère sans complication, dans le cas, par exemple, où l'indication la plus saillante est de rendre aux téguments leur couleur naturelle et voici mes raisons. D'abord, le traitement est prompt et efficace; en second lieu, il ne produit ni malaise ni trouble d'aucune espèce; et enfin, le remède s'administre à petites doses et sous une forme à la fois commode et agréable. Ces dernières raisons sont plus puissantes en réalité qu'elles ne sembleraient au premier abord; beaucoup de personnes affectées d'ictères n'en sont que peu incommodées, et jouissent souvent d'une santé à peu près normale. Dans ce cas, un remède se recommande fortement par lui-même, quand il opère par une action insensible, et sans déterminer aucun effet désagréable. Nous savons que la jaunisse est dissipée tous les jours par des moyens divers; mais ce serait une clrose assurément désirée par les praticiens et vivement appréciée par les malades que de pouvoir en choisir dont l'efficacité s'accompagnât de la moindre incommodité possible.

Je ne me propose point de faire ici la pathologie de l'ictère; mais comme j'ai déjà déclaré que le nouveau mode de traitement n'est pas d'une application universelle, il est nécessaire que j'expose les principes qui m'ont dirigé dans son emploi. Je me bornerai donc, dans les remarques qui vont suivre, aux donnécs essentielles pour cet objet.

L'ictère est souvent simple. Un individu peut se trouver pris d'une jaunisse complète avant de s'être aperçu d'aucun dérangement notable dans sa santé accoutumée.

On sait qu'une émotion morale suffit pour lui donner naissance. En pareil cas, il y a toujours une prédisposition; et j'ai observé que cette prédisposition consiste en une affection chronique de l'estomac, souvent trop peu marquée pour fixer l'attention du malade. La dyspepsie et l'irritation chronique de l'estomac sont donc les principales causes prédisposantes de cette variété de l'ictère. Les trois quarts des sujets que j'ai eu à traiter étaient adonnés à un usage immodéré du tabac. On se rend facilement compte de la manière dont une telle habitude produit la prédisposition à l'ictère; elle détermine une irritation chronique de la muqueuse gastrique, laquelle irritation, aussi bien que l'ictère qui en

est la conséquence, est rapidement dissipée par l'emploi du nitrate d'argent.

La coexistence de la jaunisse avec les maladies des premières voies est aussi bien connue; elle accompagne généralement l'iléus. La recommandation de remèdes propres à la dissiper et que l'on adresse seulement à l'estomac, n'est pas non plus nouvelle. Dans l'ictère simple chronique et idiopathique, l'estomac est toujours l'organe le plus affecté. Fréquemmeut il a été précédé, pendant plusieurs mois, d'une disposition à rendre les aliments par régurgitation. Alors on voit l'urine se foncer en couleur, tandis que les selles se décolorent. Le trouble de l'estomac s'accroît à mesure que la maladie fait des progrès ; et quand elle a atteint tout son développement, l'aliment le plus léger détermine une sensation extrêmement pénible de distension et de pesanteur dans l'estomac. Ajoutez de la douleur à l'épigastre, s'étendant vers la région du foie qu'elle envahit quelquefois toute entière. C'est dans les cas de ce genre que le nitrate d'argent déploie toute son efficacité.

La manière d'agir de ce médicament dans la cure de l'ictère est facile à concevoir d'après ces données. Elle me paraît surtout clairement manifestée par la rapidité de son action dans le cas suivant.

OBS. Un homme qui, avant l'explosion de l'ictère, avait souffert pendant plusieurs mois d'une tendance à la diarrhée, fut rapidement pris de jaunisse au moment où il commençait à se rétablir d'une pneumonie. La pneumonie avait été traitée par des déplétions locales, par le calomel et l'opium; et il y avait eu une légère salivation. La langue, après avoir été quelques jours sèche et chargée, s'était dépouillée de manière à offrir une surface nette, vernie et très-rouge. Ce fut précisément dans cette conjoncture que la jaunisse se manifesta. Il existait des témoignages non équivoques d'irritation gastro-intestinale. La condition de la surface muqueuse des organes internes devenait ainsi une affection à part, et comme la pneumonie était décidément sur son déclin, on prescrivit le nitrate d'argent pour y mettre ordre.

Le malade en prit deux doses, et en dixhuit heures la coloration jaune des tissus avait disparu, et ce premier résultat fut suivi d'une rapide diminution de la couleur foncée des urines, et du rétablissement des selles dans leurs conditions naturelles. Le troisième jour, il n'y avait plus aucune trace de l'ictère.

Dans ce cas, le nitrate d'argent parait bien avoir guéri l'ictère en modifiant la condition de la muqueuse de l'estomac

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