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DE MÉDECINE.

(NOVEMBRE 1850.)

I.-MÉMOIRES ET OBSERVATIONS.

UN MOT SUR LE DIAGNOSTIC DE LA PARALYSIE CÉRÉBRALE ET DE LA PARALYSIE dépendante de la moelle épinière; par le docteur F.-C. DONDERS, professeur à l'Université d'Utrecht, membre correspondant de la Société.

Si l'on tranche la tête à un animal, à une grenouille par exemple, il demeure tranquille et sans mouvement, car la volonté ne peut plus exercer son influence sur les muscles du tronc et des membres. Les muscles ont cependant conservé leur ton (tonus), leur irritabilité, et une irritation exercée à la peau, se traduit par un mouvement réflexe ; c'est au moyen des nerfs sensitifs que l'irritation est communiquée à la substance grise de la moelle épinière, laquelle la transmet aux nerfs du mouvement. Si l'on détruit la moelle épinière, en promenant par exemple à travers le canal rachidien d'une grenouille une fine aiguille à tricoter, l'animal reste également immobile, car alors la volonté, bien qu'existante encore, ne peut plus être transmise aux muscles du tronc et des membres. Ces expériences, que chacun peut facilement répéter, prouvent que la volonté est sous la dépendance du cerveau, que le ton, l'irritabilité musculaires et les mouvements réflexes se trouvent sous celle de la moelle épinière.

Dans les deux cas il y a paralysie; mais celle-ci est différente dans sa manière d'ètre, et cette différence correspond à la différence de siége de la lésion. Dans le premier cas, l'irritabilité musculaire et les mouvements réflexes persistent et c'est dans le cerveau qu'il faut chercher la lésion; dans le second, ils sont tous deux détruits en même temps que le mouvement volontaire, et la moelle épinière a cessé de fonctionner. Voilà les bases sur lesquelles Marshall Hall a fondé la distinction de la paralysie dépendant d'une lésion cérébrale de celle qui survient à la suite de la lésion de la moelle épinière. Si la lésion, cause de la paralysie, a son siége dans le cerveau, les mouvements réflexes persistent et les muscles conservent leur ton; ce qui n'est plus le cas si c'est dans la moelle épinière elle-même que se trouve la cause de la paralysie : on dirait alors que les cordons nerveux sont eux-mêmes lésés dans leurs fonctions, qu'ils sont ou fortement comprimés, ou coupés. Au point de vue physiologique, ce principe n'est pas douteux; les lois, sur lesquelles se fonde

cette distinction, ont été établies d'une manière incontestable par les recherches de Marshall Hall, de J. Müller et de Van Deen. D'autres recherches ont suffisamment démontré que ces lois sont applicables aux animaux qui occupent le haut de l'échelle animale, par conséquent rien ne nous empêche de les appliquer à l'homme. Marshall Hall a, du reste, communiqué une foule de faits qui prouvent que l'irritabilité et le mouvement réflexe persistent dans le membre paralysé, quand la cause de la paralysie a son siége dans le cerveau, et qu'ils ne disparaissent que lorsque la cause siége dans la moelle rachidienne ou dans les nerfs eux-mêmes. Marshall Hall va plus loin: il prétend que ces phénomènes non-seulement sont conservés dans le membre paralysé, mais encore qu'ils s'y montrent même d'une manière plus évidente que dans le membre sain. Celle augmentation de l'irritabilité musculaire dans les membres paralysés se manifesterait déjà lorsqu'on administre la strychnine, puisque, dans la plupart des cas, c'est dans ce membre qu'on observe d'abord des contractions spasmodiques. Ségalas pense que ce fait est facile à expliquer : « Il est facile de concevoir, dit-il, que les muscles sains, soumis à la fois à l'empire du cerveau et à l'action du poison, résistent à celle-ci plus que les muscles paralysés qui, soustraits à l'influence cérébrale, ne sont plus commandés que par le poison. Ollivier (d'Angers) (1) a fait remarquer à ce sujet que cette explication ne rend nullement compte des douleurs violentes qui se déclarent, à l'occasion de l'administration de la strychnine, dans les parties paralysées, sans que les parties saines éprouvent le moindre trouble. Marshall Hall ne se contente pas non plus de cette explication: selon lui, l'augmentation de l'irritabilité musculaire pourrait être attribuée au défaut d'influence de la volonté sur une certaine partie de la moelle rachidienne, de même qu'on voit diminuer cette irritabilité par des mouvements volontaires prolongés (lassitude). Spiess (2) en donne une explication qui concorde assez avec celle de Ségalas, saus être cependant aussi vague. Lorsqu'il y a, dit-il, mouvement volontaire, on a la force d'opposer la volonté aux phénomènes de réflexion et aux contractions involontaires, et c'est pour cette raison seule qu'ils se montrent moins dans le membre qu'on meut volontairement. Je pense cependant que Spiess n'a signalé ici qu'une seule des causes de ces phénomènes et l'objection d'Ollivier (d'Angers) demeure dans toute sa force; d'ailleurs j'ai observé moimême que lorsqu'on administrait la strychnine, les contractions convulsives se montraient seulement dans le membre paralysé, même pendant le sommeil, et alors bien certainement la volonté ne s'opposait pas aux mouvements.

Il y a quelque chose de juste dans ces explications, car elles signalent une cause vraie, mais elles pêchent parce qu'elles sont trop exclusives: nous verrons d'ailleurs que, prises ensemble et réunies, elles nous paraissent encore insuffisantes.

(1) Traité de la moelle épinière, page 861.

(2) Physiologic des Nervensystems, mit besonderer Berücksichtigung pathologischer Zustande. 1844. S. 207.

L'augmentation de l'irritabilité musculaire paraît aussi se manifester par une excitation galvanique légère des muscles paralysés, et dans plusieurs des faits communiqués par Marshall Hall on a pu déterminer des mouvements réflexes dans le membre paralysé par des irritations produites à la peau et qui, répétées sur le membre sain, restaient sans influence.

Quoi qu'il en puisse être de l'explication de ces phénomènes d'irritabilité exagérée, les observations faites sur les individus malades concordent si bien, dans les faits communiqués par Marshall Hall, avec les résultats de la physiologie expérimentale, qu'il est très-difficile de ne pas admettre la distinction qu'il a établie entre la paralysie cérébrale et celle qui reconnaît pour cause une lésion de la moelle.

J'examinerai ici brièvement quelles sont les raisons d'une si grande divergence d'opinion entre Marshall Hall, Reid, Todd, Duchenne et autres auteurs. D'abord, au point de vue physiologique, je dois examiner la question si réellement l'irritabilité est augmentée par la séparation de la moelle épinière du cerveau. Si l'on mesure le degré d'irritabilité d'après la facilité avec laquelle de légères irritations produisent des contractions, on a sans doute raison; mais si le degré d'irritabilité doit indiquer celui de l'action de la moelle épinière, alors je dois positivement soutenir le contraire. Le ton, le degré restant de contractilité des muscles, donnent la mesure de cette action; ils diminuent rapidement après la cessation de l'influence cérébrale. Il est possible que chez les animaux que l'on décapite ou chez lesquels on sépare la moelle épinière du cerveau, il est possible, disons-nous, que, dans les premiers moments, une irritation exercée à la surface de la moelle coupée, produise une augmentation de ton ou d'irritabilité; mais ceux-ci diminuent bientôt dans les muscles, et ainsi vient aussi à cesser l'action de la moelle: c'est ce dont on peut facilement se convaincre par les expériences.

Sans la substance grise de la moelle il ne peut y avoir de ton pour les muscles qui reçoivent leurs nerfs de cette partie; aussi le degré de ton est déterminé par le degré d'action de la substance grise, mais cette action elle-même reçoit secours de deux côtés; du côté du cerveau, par les fibres se dirigeant vers le centre, qui, comme toutes les fibres nerveuses, sont toujours en action et sur lesquelles la volonté ne peut avoir d'autre influence que d'en augmenter l'action; du côté de la périphérie, par les fibres sensitives se dirigeant vers le centre, qui fonctionnent également toujours, sont excitées par les influences extérieures, et dans lesquelles des excitations plus fortes ne provoquent qu'une augmentation d'action.

Vient-on maintenant à briser la connexion qu'ont les parties centrales de la moelle, affectées au mouvement, soit avec le cerveau, soit avec la périphérie au moyen des nerfs sensitifs, alors il en résulte nécessairement une diminution d'action, qui se manifeste dans le ton des muscles. Aussi voyons-nous ce ton décroître à l'instant où la volonté cesse de pouvoir régir les mouvements, comme si les nerfs sensitifs avaient été coupés. C'est ce qui explique comment, lors d'un épanchement de sang dans le cerveau, le ton diminue avec

le mouvement volontaire, comment dans les cas de lésion des nerfs sensitifs ce qui est surtout bien visible quand on coupe chez les animaux les racines postérieures de la moelle — le mouvement volontaire perd de sa fermeté et de sa force, fait qui a porté, mais à tort, plusieurs auteurs à attribuer aux racines postérieures une influence immédiate sur les mouvements.

C'est précisément celle diminution d'action de la moelle qui rend les muscles plus sensibles aux légères excitations, soit extérieures, soit intérieures et produites par l'usage de la strychnine. Ainsi ce phénomène se montre, non

pas, ainsi que Marshall Hall semble le croire, parce que l'action de la moelle est réellement augmentée, non pas non plus seulement, comme le prétend Spiess, parce que la volonté s'oppose à la manifestation dans les parties non paralysées de l'influence de l'excitation, mais principalement parce que, dans la condition d'une action minime, celle-ci peut déjà être accrue par une excitation qui serait trop faible pour pouvoir quelque chose dans la condition opposée, celle d'une action normale et énergique ; nous observons tout à fait les mêmes effets dans les nerfs sensitifs : si l'on prive l'œil complétement de lumière, on voit noir, ce qui représente le degré le plus faible d'action; la moindre lumière qui arrivera à l'œil dans cette circonstance, suffira pour distinguer; mais supposons que l'on voie déjà avec une lumière suffisante, alors on s'apercevra à peine de l'adjonction d'une quantité de lumière égale à celle qui était nécessaire pour distinguer les objets alors que l'œil en était totalement privé. Il est évident d'après cela qu'il ne faudra exercer que des excitations galvaniques très-légères pour observer, là où elle existe, cette prétendue irritabilité exagérée, qui n'est autre chose qu'une plus grande sensibilité aux faibles excitations; ainsi, dans la différence même des excitations dont on se sert, nous trouvons déjà une première raison de la différence des résultats observés. Duchenne, qui a cherché à déterminer le degré de force avec laquelle les contractions se manifestaient dans le membre sain et dans celui qui est paralysé, est arrivé à cette conclusion; que dans la paralysie dépendant du cerveau la sensibilité aux excitations est souvent restée à peu près la même. Mais nous croyons qu'on peut trouver l'explication de ce fait dans des modifications organiques de la moelle elle-même, modifications qui, comme nous l'établirons, se montrent assez souvent consécutivement à un épanchement de sang dans le cerveau; la sensibilité ne peut alors rester exagérée, elle doit souvent au contraire diminuer.

Nous parlions tout à l'heure d'une augmentation d'action de la moelle épinière sous l'influence d'une irritation ou excitation exercée à sa surface au point où elle a été divisée par la section, irritation portant donc sur les fibres au moyen desquelles la moelle est liée au cerveau. Eh bien! cette augmentation d'action n'est pas rare dans les maladies et peut se traduire dans les muscles paralysés par un accroissement de ton, par la roideur (rigor) et par la contracture. Ces symptômes s'observent même alternativement avec la paralysie, qui leur succède en définitive, comme dans le ramollissement local du cerveau (Lallemand), ou consécutivement à la paralysie de certains muscles

dont le ton a été diminué, comme dans l'épanchement de sang dans la substance cérébrale ; ils servent alors à prouver qu'il existe un état d'irritation à la périphérie de l'épanchement et le résultat en est un accroissement d'action pour le mouvement dans les parties centrales de la moelle. Ce n'est que dans les paralysies où le système musculaire présentait une augmentation de ton que Todd (1) a trouvé dans le côté malade une réaction plus forte sous l'influence des excitations galvaniques, que dans le côté sain ; dans tous les autres cas, la réaction était toujours moindre. Ceci ne peut pas fournir d'objection contre l'explication des mouvements produits par de légères excitations sous l'influence d'une action affaiblie de la moelle, parce qu'ici comme dans l'intoxication par la strychnine, il y a non-seulement différence d'action sous le rapport de la quantité, mais aussi de la qualité.

On a souvent perdu de vue que Marshall Hall admet seulement la diminution ou la perte de l'irritabilité pour les nerfs naissant de la partie de la moelle siége de la lésion, et non pas pour les nerfs naissant au-dessous. Ainsi Duchenne (2) qui, pour l'examen de l'irritabilité des muscles (qu'il appelle, lui, contractilité électro-musculaire), a recours à la galvanisation localisée, formule brièvement dans les termes suivants la doctrine de Marshall Hall qu'il a examinée :

< 1o Dans les paralysies des membres la différence d'irritabilité entre le côté malade et le côté sain peut servir à établir un diagnostic différentiel entre les paralysies cérébrales et les paralysies spinales.

2o Dans les paralysies spinales, l'irritabilité diminue dans les muscles paralysés.

3. Dans les paralysies cérébrales, l'irritabilité augmente. ›

La seconde de ces propositions surtout n'exprime qu'une partie de l'opinion de Marshall Hall. Ce n'est que dans la partie même de la moelle, siége de l'altération (compression, ramollissement, etc.,) que l'action est détruite ; les nerfs auxquels cette partie-là servent d'organe central, perdent complétement leur action et les muscles auxquels ils se rendent sont dès lors privés de contractilité et de ton. Mais au-dessous de la lésion pathologique, la moelle fournit encore beaucoup de nerfs, et l'action de ceux-ci n'est pas complétement détruite; la volonté, il est vrai, a perdu son influence sur cette partie de la moelle et par conséquent sur les nerfs qui en naissent et sur les muscles qui reçoivent ces nerfs, mais la moelle reste dans les mêmes conditions que si la cause de la cessation de l'influence de la volonté avait son siége dans le cerveau. On peut de nouveau facilement se convaincre de la vérité de cette assertion, en enlevant à une grenouille une portion de la moelle spinale, soit à sa partie moyenne, soit à sa partie supérieure. Ainsi donc la théorie de Marshall Hall n'est pas absolument en contradiction, ainsi que le pense Duchenne, avec ce cas qu'il a rencontré de muscles paralysés avec augmentation d'irritabilité, bien que la cause de la paralysie eût son siége dans la moelle elle-même.

(1) Med. Chir. Transactions. XII. 1847. London medical Gazette. 1848. vol. VII. page 188. (2) Archives générales de médecine, janvier 1850, p. 22.

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