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maladie, sa marche, les divers phénomènes qu'elle présente, ses aberrations n'exigent pas que nous connaissions l'essence de la vie, pas plus que celle de la cause morbide. Le plus important est de chercher à attacher un sens précis à ce mot nature ou essence, puis d'abandonner les causes premières. Dans une affection pathologique, tout ce que nous devons nous efforcer de découvrir, c'est l'organe qui le premier est devenu souffrant, de quelle manière, et quelles sont les indications curatives les plus convenables pour qu'il cesse de souffrir; ou, si nous sommes dans l'impuissance d'y apporter remède, de bien constater l'incurabilité du tissu lésé. Eh bien! l'observation, l'expérience et le raisonnement nous conduisent à la solution de ces questions, et nous ne devons rien espérer au delà. Possédons-nous la notion de la curabilité d'une maladie, alors nous procédons avec sûreté au traitement, sinon nous nous dispensons autant qu'il est en nous d'administrer des remèdes inutiles, parfois même nuisibles, pour nous en tenir uniquement à verser sur les derniers moments d'un malheureux patient, le baume de la consolation. Demander plus, c'est vouloir l'impossible, c'est convoiter une chose dont on n'a nulle idée.

La cause de nos erreurs, disent les grands maîtres, est souvent la précipitation. Croyons-les, et ne nous hâtons pas trop de juger les idées les plus abstraites et les plus composées par celles qui sont les plus simples. Et pour ne point sortir de notre sujet, disons: en anatomie, tout est connu, le jugement est sûr, ou au moins on peut aisément le rectifier. La physiologie offre des difficultés plus grandes : les organes étudiés dans la science précitée ont une action. D'où provient-elle? comment est-elle produite? Solution difficile, qui demande une plus grande attention, un travail intellectuel plus profond, parce qu'ici la certitude diminue et que l'esprit ne peut avancer que par une suite de déductions. Un muscle se contracte par la condensation de ses fibres, ses deux extrémités tendent à se rapprocher lorsqu'il entre en action; mais les changements moléculaires qui déterminent tout cela? leurs rapports avec les causes premières? Quels sont les modes d'action d'une séreuse, d'une muqueuse, d'un nerf, bien que celui-ci soit connu comme agent conducteur du sentiment et du mouvement? Mais de quelle manière se fait cette transmission? quel en est l'esprit? quelle est sa manière d'être ? Que d'inconnu, que de ténébreux, que de mystérieux dans toutes ces choses! Comment se rendre compte des fonctions intimes d'un sécréteur, d'un dépurateur, d'un excréteur? Que dirons-nous enfin du grand sympathique, lui qui, tant de fois, a été l'objet d'études profondes, presque toujours sans résultat? Combien, disons-nous, tous ces problèmes sont insolubles. Ici plus de jugement direct, c'est à une série de déductions, toutes plus difficiles les unes que les autres, qu'il faut recourir, et encore court-on grand risque de s'égarer.

Si nous abordons la chirurgie, nous y trouvons des faits que nos sens saisissent, parce qu'ils sont palpables. Cependant nous y rencontrons encore des cas où plane l'incertitude. Nous avons vu de grands maîtres en défaut dans quelques circonstances. Mais si nous descendons dans la pathologie interne, nous avons encore un plus grand besoin d'appeler à notre secours la déduc

tion, parce qu'ici les faits sont souvent couverts d'une obscurité profonde et ne se font presque jamais voir ornés de tous leurs attributs. Nous n'avons plus ici ce quelque chose de sensible qui frappe vivement les sens et les yeux. C'est une foule de faits qu'il faut comparer, c'est un triage de symptômes compliqués et souvent très-disparates; c'est enfin une multitude de renseignements indispensables pour dévoiler le siége de la lésion; la déduction est donc de la plus haute importance. Rien donc d'étonnant que l'histoire des fièvres ne soit pas encore arrivée au degré de perfection désirable, elles qui nous offrent tant de sujets de méditations; elles qui se revêtent de tant de formes si diversifiées; elles qui souvent nous présentent un fond obscur et qui se plaisent à nous dérober le siége primitif qui les font surgir. Ne soyons pas surpris si leur étude a demandé tant de travaux et si des hommes éminents, dont la science s'honorera toujours, ont souvent échoué dans leur définition. Car cela tient à la difficulté de résoudre d'une manière satisfaisante les mille problèmes renfermés dans leurs flancs. Faible narrateur des méditations profondes d'esprits supérieurs, admirateur des efforts surprenants tentés par le génie pour arriver à la solution de tant de questions ardues et péniblement élaborées, nous avons cependant osé aborder une tâche si hérissée d'épines, sans nous dissimuler combien elle est au-dessus de notre faible intelligence et sans nous faire illusion sur ce que la médecine et surtout ces maladies exigent de jugements solides. Oui, ne craignons pas de le dire, la pratique de notre art demande une patience et une attention que rien ne doit rebuter, l'habitude de la réflexion et une vie de continuelle méditation; car saisir le siége précis d'une maladie n'est pas toujours toutes roses, et leur liaison entre elles présente encore plus d'obstacles. De quelle obscurité ne sont pas hérissées leurs causes? Dans le cours de ce mémoire, nous l'avons plusieurs fois fait sentir. Pour quelques-unes, pour l'érysipèle par insolation, pour l'ivresse, une indigestion, un empoisonnement par un acide, un alcali; pour une pneumonie, suite palpable d'un refroidissement subit, etc., tous nous serons unanimes. Mais pour d'autres, moins saisissables, dont les causes sont invisibles, que d'obstacles à surmonter pour parvenir à les pénétrer!

Que penser, d'après ce tableau, des philosophes qui usurpant un titre qui ne leur appartient pas, se plaisent à conspirer pour propager leurs erreurs, se font une joie d'engendrer l'esprit de négation qui est la mort du progrès, et remetlent tout en question? A leurs yeux obscurcis par d'injustes préventions, tous les faits, fruits laborieux de profondes méditations et de fortes conceptions sanctionnées par l'expérience d'une suite de siècles, deviennent doute et hésitation. L'art médical est englobé dans le ridicule et le mépris qu'ils cherchent à rendre universels. Rousseau, le sophiste, poussé par une imagination malade et exaltée, se plaît à raviver les sarcasmes que les Montaigne et les Molière avaient vomi contre les médecins leurs contemporains. Voltaire, qui fit tant de bruit littéraire et dont l'esprit fut loin de toujours juger avec impartialité et justesse, ne put s'empêcher non plus de darder son venin salirique et ses traits acérés contre une science dont il ignorait les premiers élé

ments. Des écrivains prévenus n'hésitèrent pas de marcher sur les sophismes et les turpitudes de leurs maîtres dont les oracles faisaient loi; et l'art médical, attaqué de mille manières et sous toutes les formes, sembla prendre une marche rétrograde et son existence être remise en doute. Néanmoins cet esprit de dénigrement ne put l'amoindrir et fut incapable d'ébranler les belles et importantes vérités qu'il renferme. De ce que quelques maladies résistent à la puissance pharmaceutique et hygiénique, est-ce une raison pour en inférer que la médecine est purement hypothétique? Quelle est donc la science qui alors serait parfaite? Quelle est celle dont toutes les lois sont fixes? qui ne présente aucune obscurité et dont tous les dogmes sont infaillibles? Les médecins ne peuvent créer, notre science ne s'y prête pas. Notre but est la conservation de la santé et la curation des maladies. Mais que pouvons-nous lorsque des organes totalement désorganisés s'offrent à notre observation? Est-ce justice de chercher à semer l'abjection sur une profession qui demande des études si longues, si étendues, si variées et une pratique encore plus difficile? Le vulgaire doit-il ajouter foi aux paroles d'esprits incapables et incompétents qui s'arrogent le droit de décider en juges souverains sur les diverses branches médicales qu'ils n'ont pas étudiées, et qui veulent faire admettre comme vraies les hallucinations de leurs cerveaux en délire ou prévenus; de ces hommes qui ont la prétention de résumer en eux la connaissance profonde de toutes les sciences? Quelle idée peut-on se faire de Voltaire lorsqu'il nous parle avec emphase des lois de la physique qu'il ignore? Quelle peut-être l'autorité de Rousseau l'hypochondriaque en histoire naturelle? Les Hippocrate, les Galien, les Van-Helmont, les Boerhaave, les Stahl, les Morgagni, les Barthez, les Cabanis, les Laënnec, les Broussais et mille autres aussi illustres, n'ont-ils donc rien fait pour immortaliser la médecine? Les immenses travaux de ces hommes célèbres ne sont-ils pas une preuve irréfragable de ce que l'esprit humain peut faire pour le soulagement de l'humanité souffrante? Cela vaut bien les déclamations satiriques et erronées de ces génies présomptueux qui se croient aptes à raisonner sur tout, même sur ce dont ils ne possèdent que la superficie. Arrêtons-nous sur ces sophistes incompréhensibles et n'allons pas plus loin; aussi bien leur philosophie s'écroule, et déjà ils ne sont plus que des ombres.

Ainsi donc, diverses voies ont été suivies dans l'étude de la médecine. Ici la philosophie a joué le principal rôle ; là, la chimie, les sciences abstraites, les calculs algébriques; ailleurs, le solidisme, l'humorisme, le dogmatisme, l'empirisme, le vitalisme, l'autocratisme, l'alchimie, etc., etc., l'expérience seule ou alliée à une ou à plusieurs de ces théories. Certes, la philosophie a jeté une vive lumière sur les diverses branches de l'art de guérir. Mais ce n'a été que lorsqu'elle s'est trouvée dépouillée des sophismes qui, trop souvent, ont emprunté le masque de cette science. La vraie philosophie, personne ne l'ignore, est l'antagoniste des discussions oiseuses, stériles et ténébreuses, c'est elle qui refrène l'imagination, repousse les hypothèses, stimule le génie, coordonne les faits et les compare pour en faire ressortir avec réserve des

principes généraux; tandis que le sophisme ne s'alimente que de conjectures, d'idées abstraites et erronées, se complaît dans des expressions que réprouve le sens commun et s'insinue traîtreusement jusque dans le sanctuaire. La chimie appliquée à la pathologie, à la thérapeutique, etc., leur a toujours été un auxiliaire peu fructueux, quelquefois même dangereux et doit en être bannie dans beaucoup de cas, parce que tout ce qu'elle nous enseigne n'est le plus souvent qu'illusion, déception et obscurité. Les mathématiques ne peuvent s'adapter à la question qui nous occupe, attendu que les lois qui régissent les corps inorganiques diffèrent de celles qui président à la matière animée. Le solidisme, l'humorisme etc., reposent sur des lois encore mal assurées et trop obscures pour que le médecin ait en eux une entière confiance. Nous ne parlons point de l'alchimie, des systèmes bizarres et extravagants que nous avons esquissés; la raison nous dit assez le cas que nous devons en faire. Soyons observateurs sans idées préconçues; ne dédaignons pas l'empipirisme sans pourtant rejeter le dogmatisine, ayons une théorie, qui est une production du génie qui voit la nature telle qu'elle est et qui raisonne d'après l'observation. Il n'y a que le médecin praticien et observateur qui seul puisse la créer. Mais les rêves ne sont pas des théories, ce ne sont que des systèmes qui tous expriment le fruit de l'imagination qui les fait plier et agir selon son caprice. La pratique ne peut reposer sur une fiction, ce serait de l'empirisme de la plus mauvaise espèce. (La fin au prochain No.)

II. REVUE ANALYTIQUE ET CRITIQUE.

Médecine et Chirurgie.

DE L'ÉLECTRICITÉ EN THÉRAPEUTIQUE, par M. le Dr JULES MASSÉ.

Le praticien qui vient de parcourir les différents travaux publiés sur l'électricité employée en thérapeutique, tombe dans une étrange perplexité! il éprouve une sorte d'éblouissement intellectuel et l'embarras d'un homme qui,demandant conseil à un aréopage de savants, entendrait répondre oui et non, avec la même conviction et la même ardeur. Effectivement on reste effrayé des opinions contradictoires que l'on rencontre dans ces divers ouvrages. Que de théories, que d'explications, que de procédés opératoires! Pour les uns, l'électricité est la panacée universelle; pour les autres c'est un fluide mystérieux, dont il faut laisser l'étude à la physique, mais que le bon sens et la prudence défendent d'employer en médecine. Celui-ci n'a de confiance que dans la machine électrique et dans les bains électriques et la

stimulation des étincelles que cet instrument lui permet d'employer; un autre ne comprend que l'électro-puncture et l'effet des courants électro-chimiques que cette méthode met à sa disposition; un troisième ne voit que la galvanisation cutanée et les secousses musculaires qu'elle imprime; un quatrième ne veut entendre parler que de l'appareil électro-magnétique et des merveilles qu'on en obtient tous les jours. Celuici, avec MM. Andral et Ratier, déclare que l'électricité est, en thérapeutique, un moyen souvent dangereux, et, la plupart du temps insignifiant, un moyen qui impressionne vivement les malades par l'emploi des instruments qu'il nécessite, et qu'en résumé, il ne deviendra jamais d'une application vulgaire, parce qu'il est difficile d'une part de se faire une idée des précautions nécessaires pour en assurer le succès, et que de l'autre le prix des appareils s'opposera toujours à ce que les médecins puissent

généralement se les procurer. Celui-là, avec M. le docteur Fabré Palaprat, trouve que l'électricité peut être d'un si grand secours dans la thérapeutique qu'elle compte des succès, et dans la cataracte, et dans la syphilis et contre le tœnia. Un autre, avec M. La Baume, après avoir plaisanté sur l'électro-puncture de chinoise origine (ce sont les Chinois qui nous ont donné l'idée de l'acupuncture, et M. de Sarlandière qui le premier l'a fait servir à l'introduction des courants électriques), un autre dis-je, prétend que l'électricité est une si grande ressource offerte au praticien, que, grâce à ce nouveau moyen, non-seulement il a guéri les scrofules, le scorbut, les maladies mercurielles, mais qu'il a obtenu des succès incontestables dans les inflammations purulentes et jusque dans la phthisie. C'est à peine si, au milieu de toutes ces voix passionnées s'élèvent quelques paroles graves et consciencieuses comme celle de M. le docteur Andrieux : « Dans l'état actuel des connaissances, l'électricité produite par différents appareils peut être introduite dans le domaine de la thérapeutique, non pas comme un moyen spécifique, applicable à tous les cas sans distinction, mais comme un agent physique extrêmement puissant, dont les effets peuvent être prévus, calculés, modifiés et dirigés avec plus de facilité et de précision que ne le peuvent être la plupart des médicaments connus. Le professeur Rostan, depuis l'article qu'il publia en 1823 dans le Dictionnaire de médecine, est revenu sur des craintes que lui avait tout d'abord inspirées ce nouveau moyen thérapeutique et il l'emploie même souvent; M. Guérard, dans son article du Dictionnaire en 30 vol., article beaucoup plus scientifique que pratique, ne paraît pas ajouter une bien grande confiance aux usages thérapeutiques de l'électricité. Cet agent si remarquable d'ailleurs, nous dit-il, a éprouvé le sort de tous ces remèdes qui, à l'époque de leur apparition, ne trouvent aucune maladie rebelle et néanmoins ne tardent pas à tomber dans le plus grand discrédit. »

Pour mon compte je crois qu'une grande partie des insuccès doit être attribuée, soit à l'inopportunité de l'application du moyen, soit à l'inexpérience des expérimentateurs. Depuis près de douze ans, j'ai employé l'électricité toutes les fois que son usage m'a paru suffisamment indiqué, et j'ai pensé intéresser mes confrères en leur racontant les résultats que j'en ai obtenus. Attaché depuis longues années à M. le professeur Récamier, c'est lui qui, dans mes tentatives, m'a servi d'appui et de guide: c'est sous son inspiration, sous sa direction,

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