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souvent obtenues par des remèdes que l'expérience de tous les siècles a condamnés et qui même révoltent la raison et le sens commun? Tout homme qui pense avoir trouvé un spécifique contre telle ou telle maladie finit presque toujours par voir, dans quelques cas donnés, son emploi couronné de succès, fût-ce même un agent des plus pernicieux : ce qui, jusqu'à un certain point, nous donne l'énigme et nous explique pourquoi des méthodes contraires améliorent et guérissent des affections qui se ressemblent, d'où des esprits légers concluent que toutes sont bonnes. La cause de cette erreur ne peut nous être inspirée que par notre ignorance, par le défaut d'étude et de connaissance de la marche spontanée des maladies les plus naturelles. Autrement nous saurions que cette bonne nature, cette excellente mère qui continuellement veille à notre conservation, possède des ressources infinies, inépuisables, souvent ignorées des plus clairvoyants; ressources qui surmontent et les obstacles opposés par les remèdes et par la maladie, même au moment où on est tenté de désespérer.. Et encore, devons-nous être surpris qu'une personne placée par sa haute position au milieu d'une alimentation substantielle, abreuvée jusqu'à satiété de mels fortement épicés, aromatisés, parfumés; habituée à des boissons trèsexcitantes, se trouve parfaitement bien d'une diète et d'un régime sévères fidèlement observés pendant quelques jours; nous disons quelques jours, car plus longtemps prolongés, cette diète et ce régime auraient certainement des inconvénients. Si ce mémoire ne s'y opposait, si la crainte de retomber dans des répétitions fastidieuses ne nous retenait, nous pourrions multiplier à l'infini les exemples de ce genre.

Les toxicographes, depuis un temps immémorial, nous avaient habitués à considérer l'acide arsénieux à la dose de trois à quatre grammes, la strychnine, l'acide cyanhydrique, etc., etc., à cinquante centigrammes, comme beaucoup plus susceptibles d'occasionner des accidents foudroyants qu'un quadrillionième ou un décillionième étendu de ces mêmes agents. Erreur, mille fois erreur, Hahnemann l'affirme, tout en se gardant de le prouver. Croyez-le sur parole; faites comme lui et ses adeptes, agissez avec des idées préconçues, ayez une tendance marquée à l'exagération et comme eux vous aurez des hallucinations. Résumons-nous et disons que le vague d'une semblable théorie ne peut reposer entièrement que sur l'imagination du malade ; et que, pour guérir, il faut posséder la foi: Crede, et salvus eris. Quelle différence avec une doctrine rationnelle ! d'un côté la clarté et de l'autre les ténèbres. Après tout, ne nous désolons pas. Déjà la médecine a eu à lutter contre la cabale des astrologues et de beaucoup d'autres sectes d'illuminés. Peut-être sommes-nous encore condamnés à voir après l'homœopathie une autre doctrine destinée à renchérir sur les turpitudes de celle-ci, et qui forcera les hommes bien pensants à se poser cette éternelle question: Comment peut-on s'arrêter à de semblables extravagances! »

Vers le commencement de ce siècle parut l'illustre Pinel qui essaya de marcher sur les traces de Sauvages et, qui réellement fit avancer la science, en ce sens, qu'il provoqua de toutes parts de nouvelles recherches. Certaines

fièvres furent classées parmi les inflammations; d'autres prirent rang dans l'asthénie, et un autre groupe alla se fondre dans l'ordre: irrégularité des fonctions.

Depuis la publication de la nosographie philosophique, d'immenses recherches eurent lieu sur les cadavres; l'anatomie pathologique révolutionna la médecine et apporta de notables changements dans la théorie médicale de tous les systèmes qui avaient paru depuis les temps les plus reculés. Toutefois la pathologie interne n'a pas retiré de la multitude des nécropsies tout le fruit que les Bonnet, les Morgagni, etc., qui les premiers avaient donné l'impulsion vers ce genre d'étude, s'en étaient promis. Et la cause en est de ce que le mot maladie n'avait pas encore eu un sens bien déterminé et que les sympathies qui enchaînent les organes les uns aux autres et les rendent solidaires les uns des autres, étaient imparfaitement connues. C'est ainsi que le laborieux Morgagni fait souvent provenir de l'encéphale des phénomènes qui certainement appartiennent aux affections de la cavité ventrale. Dans les altérations rencontrées à l'autopsie, un assez grand nombre se trouvent rapportées à des symptômes qui leur sont étrangers; et souvent il s'attache de préférence aux lésions secondaires et consécutives plutôt qu'à celles qui sont la cause principale des phénomènes observés. Les désordres du foie, de la rate, de la veine-porte, etc., sont attribués aux fièvres, au lieu de l'être à l'irritation de la muqueuse digestive, toutes les fois que les viscères des voies alimentaires se trouvent concurremment affectés avec eux; c'est ainsi que les effets sont pris pour la cause. Au reste, cette erreur, selon nous, se trouve partagée par le plus grand nombre de ses successeurs et même parmi nos contemporains. La membrane qui tapisse le tuyau digestif se trouve-t-elle seule affectée, alors les douleurs contusives des membres qui en surgissent sont rapportées aux signes d'une maladie essentielle et universelle. On admettait et on admet encore malgré l'évidence des faits que le siége des fièvres réside toujours dans les nerfs ou dans les tubes sanguins, idées qui se rapprochent de celles du père de la médecine. Et toutes les fois qu'une matière hétérogène ou vénéneuse est admise comme productrice des maladies qui nous occupent, on lui fait parcourir les vaisseaux artériels, veineux et lymphatiques, et comme devant s'infiltrer, véritable vapeur subtile, jusque dans l'intérieur du tissu nerveux ; et la douleur, considérée comme générale, représente la nature opprimée; la fièvre et les convulsions dépeignent la réaction, le bouleversement, la résistance de cette même nature offensée, d'où découle la nécessité de la part du principe, de la force vitale de mûrir, d'opérer la coction de la matière morbifique. Et si le sujet ne peut surmonter les obstacles suscités par ce travail, on ne fait aucun effort pour rattacher tous les phénomènes observés aux lésions cadavériques qu'offrent les organes altérés; ou bien on les attribue gravement aux effets de la fièvre. Au reste, aux yeux de certains esprits, toute autre manière de procéder s'écarterait trop du dogme fondamental du vieillard de Cos; et les fièvres continuent, même en dépit des lésions organiques, à être considérées comme essentielles.

Une série de causes physiques et morales venant de l'extérieur ou prenant naissance dans l'organisme concourent certainement à leur production. Mais on peut en dire autant d'une foule d'autres maladies. Leurs prodrômes en diffèrent-ils? et dans la plupart des phlegmasies, n'observons-nous pas également plusieurs périodes aussi tranchées? Quels que soient leur forme, leur marche, leurs types, leurs caractères benins ou pernicieux, il n'est que trop prouvé aujourd'hui, qu'elles sont loin, dans la plupart des cas, d'affecter à la fois et uniformément tout l'organisme. Si, dans la majorité des fièvres dites idiopathiques, les sécrétions sont diminuées, augmentées, perverties, suspendues; si on observe le trouble de l'appareil circulatoire, le dérangement des fonctions digestives, très-souvent seules réellement affectées, et celles de la respiration; si les organes des sens s'éloignent de leur condition normale ; si les facultés intellectuelles sont troublées, surexcitées, affaiblies, etc.; si, disons-nous, lant de phénomènes divers s'offrent à notre observation, n'est-ce pas parce qu'un ou plusieurs viscères d'une haute importance se trouvent profondément lésés et lésés matériellement ? lésions qui éveillent énergiquement les influences sympathiques. Puis en admettant le trouble des fonctions générales, il resterait encore à prouver que toutes sont altérées au même degré, et qu'aucune ne continue à remplir normalement le rôle que la nature lui a départi. Les auteurs qui nous restent à examiner vont sans doute jeter quelque clarté sur celle question.

Le docteur Caffin commence par nier l'universalité de l'irritation et lui substitue des irritations purement sécrétoires; il cherche à expliquer les fièvres sans penser à les détruire. M. Alard place leur siége dans les vaisseaux absorbants, comme le premier les avait mis dans les vaisseaux chargés des différentes sécrétions. Petit, lui, établit la fièvre entéro-mésentérique dans les intestins et les tissus du mésentère, sans nous dire positivement si elle est essentielle, et sans pouvoir la distinguer nettement des autres fièvres idiopathiques. Mais il fut le premier, et justice lui est due, qui fit connaître exactement les altérations des intestins grêles, suites de ces maladies.

Vers le même temps, le docteur Prost fit paraître un ouvrage dans lequel il reconnut que la fièvre pouvait bien consister dans une inflammation de la muqueuse digestive; mais il ne trouva pas que la rougeur et les ulcérations dont elle se trouve parsemée fussent cause unique et suffisante des symptômes. II prédit pourtant que les altérations rencontrées sur son étendue pourraient devenir un jour la base de la médecine. La fièvre adynamique, ses phénomènes, sont expliqués par l'absence du sang dans les vaisseaux mésentériques, il mêlait l'humorisme au vitalisme, en attribuant à la bile la rougeur de la muqueuse digestive; et ses fièvres restent des entités adynamiques et ataxiques préexistantes aux lésions, et consistant en un trouble de la circulation artérielle, causé par l'excitation directe ou sympathique du système à sang rouge. Ici ce sont les vaisseaux artériels, et là les nerfs qui sont lésés dans le cours de ces maladies. Dans le premier cas, c'est une fièvre synoque, et dans l'autre elle reçoit diverses dénominations fondées sur la nature des altérations qui

lui donnent naissance : c'est-à-dire une fièvre dont le foyer réside dans les tubes vasculaires, et dont pourtant les principaux caractères se trouvent dans les nerfs, explication passablement embarrassante et embrouillée. Les fièvres, suivant cet auteur, conservent leurs caractères phlegmasiques tout le temps que l'irritation ne se propage pas aux organes digestifs ; et tout état fébrile qui se prolonge indique une altération de plus en plus profonde des premières voies ainsi que dans les organes ses annexes. Et dans leur production, il accorde une grande importance aux nerfs et aux ganglions du grand sympathique qui, selon nous, sont loin d'être le siége immédiat des symptômes qu'elles font surgir.

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Le cœur et les ganglions doivent être considérés, selon M. Prost, comme centres vers lesquels convergent toutes les altérations des artères et des nerfs qui les accompagnent, et que le trouble de l'un d'eux décide essentiellement des divers symptômes des fièvres. Ainsi les formes angioténiques, adynamiques et ataxiques proviennent de la lésion principale des tuniques artérielles ou du système ganglionnaire. Tel est, nous croyons, le point fondamental sur lequel s'appuie cet auteur. Mais cette lésion s'enchaine-t-elle à l'état phlegmasique comme cause de sympathies énergiques? Sur cette question, il garde le silence. La cause des fièvres réside-t-elle sur les expansions de ces deux systèmes ? Est-ce sur la muqueuse digestive et dans les points de son étendue qui sont les plus susceptibles, vu leur état pathologique, de mettre en jeu les influences sympathiques? On est en droit d'en douter, puisqu'il nous dit que la maladie, cause de la fièvre, siége le long des nerfs ganglionnaires et dans tout le parcours des tuyaux artériels. Cette manière de considérer le mécanisme de la fièvre est-elle juste? Le grand sympathique possède-t-il la propriété de donner lieu au sentiment? N'est-il pas plus probable que les nerfs cérébro-spinaux, qu'il laisse en dehors, sont les médiateurs de la transmission de l'irritation qu'ils puisent à son foyer primitif, pour la porter sur des parties qui se trouvent aptes à se l'approprier? On sait que les artères sont agents passifs de l'inflammation, à moins qu'elles ne soient elles-mêmes phlogosées, cas qui ne se rencontre que rarement: ce qui n'exclut pas pour cela l'inflammation des petites artères qui alors se confond avec celle des vaisseaux capillaires. Pour le docteur Prost, le tissu cellulaire ne joue qu'un rôle fort secondaire dans la production du mouvement fébrile, et celui du domaine des nerfs encéphaliques n'est pas plus marqué.

Plus récemment le docteur Latour, saisissant les idées de ce médecin, attribua au système nerveux ganglionnaire la production de la chaleur animale; et, de l'exagération de cet acte vital, dans un point plus ou moins circonscrit, surgit l'inflammation. D'où il conclut que l'excès de la chaleur universelle est le caractère constant et dominant du mouvement fébrile, celui qui le constitue essentiellement. Et ce phénomène va toujours avec des symptômes plus ou moins nombreux qui en dépendent d'une manière immédiate : tels sont l'accélération des pulsations artérielles, les brisements des membres, la douleur de tête, la soif, l'inappétence, etc. Les contractions du cœur sont sous la

puissance des nerfs cérébro-spinaux que personne ne conteste. Les deux systèmes nerveux s'enchaînent. Lorsque la calorification devient plus active, les contractions du cœur sont plus fréquentes. Un pouls fort, plein et fréquent est l'indice de la fermentation d'une fièvre primitive encore exempte d'inflammation d'aucun organe. Dans un pouls rebondissant, il voit une fièvre trèsintense; dans sa petitesse, sa fréquence et son irrégularité, une vive douleur; et, dans sa lenteur, une affection du parenchyme cérébral qui enlève au cerveau l'exercice de ses fonctions. La soif est la conséquence physique de l'excès de calorification et n'indique pas une inflammation de l'estomac. L'inappétence vient du malaise du fébricitant; la céphalalgie est la conséquence de la compression du cerveau par le sang dans la boîte crânienne inextensible, et est loin d'indiquer positivement la phlegmasie de l'estomac; les douleurs contusives des membres prennent leur source dans l'action réciproque de la calorification et de la sensation qui a eu lieu au moyen des ganglions qui occupent la racine de chaque nerf spinal postérieur et de sa branche de communication avec le tronc du grand sympathique. Les sympathies, comme on le voit, sont, dans cette explication, passablement négligées ou méconnues; aussi l'auteur avoue-t-il que la preuve matérielle de la théorie de la fièvre ne pourrait être que difficilément donnée, attendu qu'on ne peut trouver d'altération appréciable dans un organe qui n'est modifié que dans ses propriétés; puis les altérations phlegmasiques peuvent être aussi bien l'effet que la cause de la fièvre. Ce n'est point l'irritation du cœur qui donne naissance au mouvement fébrile, mais bien l'excès de calorification générale ; et dans la fièvre typhoïde c'est la fièvre qui constitue le danger et non les lésions matérielles des orga. nes digestifs et de leurs dépendances. Suivant le même auteur, la fièvre seule est une maladie, soit qu'elle existe unique, soit qu'elle provienne d'une phlegmasie locale; toujours, elle consiste dans une exaspération de la chaleur vitale dont le foyer réside dans les ganglions et les nerfs qui en dépendent, ganglions et nerfs spéciaux qui sont les réceptacles de la chaleur animale. Cette manière d'envisager le mécanisme de la fièvre est prise en partie dans l'écrivain que nous venons d'analyser. On en retrouve des vestiges dans Hippocrate et des idées à peu près semblables dans Huxham qui n'était pas éloigné d'attribuer aux nerfs un certain rôle dans la production de ces maladies. Seulement M. Latour, tout en conservant l'idée fondamentale de Prost, lui fait subir quelques modifications et donne libre carrière à son imagination. Les quelques objections que nous avons faites plus haut s'appliquent exaclement à cet auteur, qui, nous devons lui rendre cette justice, a savamment développé, sur cette question, les conceptions de ses prédécesseurs, et y a ajouté des vues nouvelles que malheureusement l'expérience n'a pas encore sanctionnées.

Maintenant faisons connaître la définition que donne des fièvres le professeur Chomel. Ce sont des maladies aiguës, caractérisées par le trouble simultané de toutes les fonctions et spécialement de la circulation et de la chaleur, indépendantes de toute affection locale, bien qu'elles puissent exister

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