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CHAPITRE XIII.

Le journal en Angleterre, de 1660 à 1688, et de 1688 à la révolution

française.

I.

Pendant ce temps, le journal grandissait en Angleterre à l'ombre de la révolution de 1688. Les règnes de Charles II et de Jacques II (1660-1688) lui avaient été peu favorables. Le gouvernement royal avait trouvé, à son retour, dans les lois mêmes du Long Parlement, des armes utiles contre la presse, et il n'hésita pas à s'en servir contre l'ennemi qui les avait forgées. L'acte d'uniformité de 1662, que vint plus tard compléter l'édit de censure rendu sous la seizième année du règne de Charles II (1676), confirma et étendit les ordonnances du Long Parlement de 1643. D'après cette législation, la faculté d'imprimer fut considérée comme une franchise octroyée par la clémence royale. Le privilége de la presse fut concédé à une corporation d'imprimeurs qui ne durent exercer leur profession que dans un très-petit nombre de villes déterminées, et aucune publication ne put être faite sans autorisation

préalable. Aussi le peu de journaux qui continuent d'exister perdent-ils toute importance. Needham, le premier des journalistes de ce temps, quitte dès 1660 sa plume, qu'il avait compromise au service de Cromwell, et disparaît de la scène politique. Lors du fameux complot inventé par Titus Oates, et à l'époque de la discussion du bill d'exclusion, l'opinion parvint cependant à se faire jour de mille manières, en dépit de toutes les restrictions légales; mais ce ne fut pas dans les journaux qu'elle trouva ses principaux et ses plus puissants organes. La situation précaire faite aux journaux par une jurisprudence qui continua de les mettre à la discrétion de la couronne, même après l'abrogation des lois de censure, explique suffisamment cette nullité et cet effacement à peu près complet de la presse périodique.

Il n'en fut plus de même à partir de la révolution de 1688. Malgré les efforts de Guillaume d'Orange, qui paraît avoir subi la liberté de la presse plutôt que lui avoir été favorable, l'édit de 1676 fut aboli en 1694; et les journaux, délivrés du joug de l'autorisation préalable, se multiplièrent et firent violemment irruption dans la politique.

II.

Mais ce fut surtout après la mort de Guillaume (1702), et pendant cette période littéraire à laquelle la reine Anne a donné son nom, que le journalisme

jeta un éclat qu'il n'avait pas encore eu, et conquit une importance toute nouvelle, comme œuvre littéraire et comme instrument politique.

Parmi les journalistes de cette époque, je citerai au premier rang l'auteur de Robinson, Daniel de Foe, écrivain indépendant, qui ne chasse pas aux doyennés, aux évêchés et aux grasses prébendes, comme Swift et bien d'autres, mais qui écrit pour son droit, sa conscience et le bien public. Par malheur, de Foe était non conformiste, et il soutenait avec une ardeur opiniâtre, dans son journal la Revue, les droits de ses coreligionnaires. Les anglicans le firent condamner au pilori et emprisonner.

Dans le parti whig brillait Addison, qui, par une fortune dont les exemples sont rares en Angleterre, se fit de la littérature et du journalisme un échelon pour arriver au ministère. Addison rédigeait le Whig Examiner et le Freeholder, et portait dans les controverses politiques la modération naturelle de son caractère et l'élégante urbanité de son style. Audessous de lui, Richard Steele, moins correct mais plus vif, mêlait la politique et la littérature, dans le Babillard, le Mentor, l'Anglais, le Lecteur, le Plébéien. Sous le même drapeau marcha quelque temps Congreve, d'un esprit fin et délié, mais d'une trempe trop délicate pour ces rudes mêlées de la politique, et qui s'en retira bientôt.

Les tories ne le cédaient pas en talent à leurs

rivaux. Le poëte Prior, l'évêque Atterbury, Saint-John (depuis vicomte Bolingbroke), étaient admirés pour des qualités diverses, et répandaient dans ces feuilles, que le jour amène et que le lendemain emporte, un esprit, une raison et une éloquence qui ont quelquefois été égalés, mais qui ont été rarement surpassés depuis.

III.

Mais, au-dessus de tous ces hommes, il faut placer Swift, le journaliste modèle, et qui possède au degré le plus éminent les qualités spéciales du genre. Moins éloquent que Bolingbroke, moins élégant qu'Addison, Swift est l'écrivain du bon sens par excellence; mais d'un bon sens un peu étroit, et tel qu'il faut être lorsqu'on s'adresse au grand nombre. Son esprit est prompt et caustique; son cœur est froid et inaccéssible à l'enthousiasme; son intelligence est claire et nette, comme son style; son argumentation est vive et serrée, mais sans ornements; sa phrase est si simple et si dépourvue de figures, qu'on pourrait l'accuser de sécheresse et de maigreur. Les larges horizons lui sont inconnus, et, dans les questions qu'il traite, il ne voit que les rapports immédiats et les conséquences prochaines. Il marche d'un pas ferme et sûr, mais terre à terre, sur une plaine unie; et sa pensée n'a pas d'ailes pour s'élever jusqu'aux hautes régions. Dès les premiers mots, on reconnaît en lui l'homme d'affaires, qui dit ce qu'il veut dire, et rien

de plus; qui n'emprunte rien aux grâces; qui cherche à convaincre, mais non à séduire ou à plaire, et qui produit d'autant plus d'effet qu'il n'a pas l'air de chercher à en produire. A cette simplicité, Swift mêle cependant un attrait qui lui est particulier : il excelle à créer des allégories satiriques et à les développer d'une façon vive, originale et imprévue. Mais l'ironie froide et sérieuse est la forme qu'il préfère, et il s'en sert admirablement pour mettre à nu ses ennemis politiques, et les dépouiller de l'éclat emprunté dont ils se parent. Son génie observateur et pénétrant aime en effet à creuser la nature humaine pour y chercher le mal caché, à dérouler les plus honteux replis du cœur, à expliquer le bien apparent par le mal réel, à obscurcir la beauté extérieure des actions par la bassesse des motifs, à montrer l'homme sous l'acteur, et l'ambitieux sous le patriote.

Le principal journal du parti tory était alors le Tory Examiner, qui exerçait une influence considé rable sur l'opinion, et telle qu'on pouvait l'attendre d'une réunion d'écrivains, comme ceux que nous avons nommés. Les articles que Swift y insérait ont été plus tard réunis et publiés dans ses œuvres. Leur ton est celui d'une discussion ferme, nerveuse, modérée toutefois, et portant beaucoup plus en général, — ceci est à remarquer dans un homme du caractère de Swift, sur les choses que sur les personnes 1.

1. Le 32o numéro, qui m'a paru l'un des meilleurs du recueil, pour

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