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nécessité sociale plus encore qu'une institution politique; » et il faut des journaux aux hommes de notre temps, comme il fallait aux Romains les jeux du Cirque. Or, comme il est plus facile, après tout, de réunir une demi-douzaine d'écrivains que de rassembler de toutes les parties du monde quelques centaines d'autruches, de girafes, de lions ou d'hippopotames, nous sommes sous ce rapport beaucoup plus favorisés que ne l'était le peuple-roi pour son amusement favori. Le journal est devenu le pain quotidien des nations modernes; et, pour satisfaire à cet insatiable besoin de polémique et de curiosité, il se montre si actif, si infatigable, si inventif, que, semblable à ces voitures à heures fixes, qui partent, soit qu'il y ait des voyageurs, soit qu'il n'y en ait il pense, juge, critique et donne les nouvelles chaque jour, lors même qu'il n'a rien à penser, à juger, à annoncer et à critiquer.

pas,

Quoi qu'il en soit, et après avoir traversé bien des fortunes diverses que nous aurons à retracer; après avoir subi bien des vicissitudes de servitude et de licence; après s'être sali par bien des faiblesses, des lâchetés et même des crimes; après s'être honoré par quelques actes de vertu, de courage et de dévouement, le journal est arrivé à être ce que nous le voyons aujourd'hui, dans les deux Amériques et dans la plus grande partie de l'Europe: le plus puissant vulgarisateur et le plus prodigieux instrument de

circulation d'idées qu'il y ait jamais eu dans le monde. Déjà ce quatrième pouvoir, comme il aime orgueilleusement à s'appeler lui-même dans les pays où il y en a trois autres, a mis le pied en Asie, en Afrique, et même dans la Nouvelle-Hollande et dans la Polynésie; et l'on peut prévoir que, dans un temps peu éloigné, il n'y aura pas sur tout le globe un seul point où il n'ait quelque représentant. En ce moment, il a près de cinq mille organes, qui régentent la politique, les lettres, les sciences et les arts, et qui se font entendre de quelques centaines de millions d'hommes: car chacun de ces organes a cent fois plus de voix que la Renommée aux cent bouches de l'antiquité; et cette chétive création de l'imagination des anciens a été dépassée de beaucoup par l'invention moderne du journal. Par bonheur, cette puissance est divisée en une multitude de courants opposés et agit en sens divers, sans quoi elle entraînerait tout.

CHAPITRE II.

Les Acta diurna, ou journaux romains.

I.

Je viens d'appeler le journal une invention moderne; et, tel qu'il est, il doit en effet son existence à l'art de l'imprimerie. Je n'ignore pas cependant que, dans un mémoire plein d'une spirituelle érudition, un membre distingué de l'Académie des inscriptions a attribué aux Romains l'honneur de l'origine des journaux. Nous devons le remercier de sa modération, car rien ne l'empêchait en vérité de faire remonter à une époque plus reculée encore les titres de noblesse du journalisme, de nous les montrer se perdant, comme on dit, dans la nuit des temps, et, avec un peu de bonne volonté, d'en retrouver des traces jusque chez les Babyloniens ; ce qui, pour

1. Il paraît, en effet, que les Babyloniens avaient des historiographes nationaux chargés d'écrire jour par jour le récit des événements publics. Ce fut d'après ces matériaux que Bérose composa son Histoire de Chaldée. (Voy. Josèphe, dans sa Réponse au grammairien Apion, I, VI.)

le dire en passant, aurait pu être le sujet d'un rapprochement ingénieux entre le journalisme et la tour. de Babel.

Dans la première partie de ce mémoire, M. Victor Le Clerc caractérise d'une façon très-nette les Annales des Pontifes, et signale les rapports et les différences qu'il y avait entre les Annales et les Acta diurna ou journaux. On lit en effet dans Cicéron que le grand pontife P. Mucius, dont il fut le contemporain, écrivait tout ce qui se passait dans le cours de l'année, et qu'il transcrivait ensuite ce travail sur une table blanchie, qu'il exposait dans un lieu apparent de sa maison, afin que chacun, dans le peuple, pût en prendre connaissance'. Et, dans un autre endroit, le même écrivain nous apprend que les Annales contenaient tout ce qui regardait les auspices, les cérémonies, les comices, les appels, le sénat, les affaires militaires, et tout ce qui fait l'objet des lois 2.

Il y avait donc sous ce rapport une grande ressemblance entre les Annales et les Acta diùrna, qui s'occupaient aussi de toutes ces choses. Mais les Annales différaient essentiellement des Acta, en ce qu'elles ne transmettaient en général à l'avenir que les faits les plus mémorables de l'histoire, tandis que les moindres

1. De l'Orateur, II, XII: « Res omnes singulorum annorum litteris mandabat, referebatque in album, et proponebat tabulam domi, ut esset potestas populo cognoscere. »

2. Tusculanes, IV, I.

détails, s'ils étaient de nature à inspirer un intérêt même éphémère, trouvaient place dans les journaux '. Une autre différence, et celle-là est capitale, consistait dans la publication quotidienne, qui, au dire de Suétone, fut adoptée pour les Acta diurna à partir de la dictature de Jules César 2. Enfin, les annales remontaient à une très-haute antiquité, tandis que les journaux ne paraissent pas être de beaucoup antérieurs à Jules César, si même ils l'ont précédé.

En résumé, et pour suivre le rapprochement un peu hasardé peut-être entre Rome et la France, qu'a indiqué M. V. Le Clerc, les Annales me semblent être le Bulletin des lois des Romains, et les Acta diurna étaient leur Gazette, ou du moins quelque chose qui s'en rapprochait, et en tenait lieu jusqu'à un certain point.

II.

Il y aurait à mentionner ici les extraits des journaux romains cités dans l'appendice des Prælectiones

1. Cicéron, Lettres familières, II, VIII, et VIII, vII; Suétone, Vie de Jules César,, LV; Juvénal, II, 136, IX, 84. Cette différence semble aussi indiquée par Tacite dans le passage suivant : « Le second consulat de Néron vit peu d'événements dignes de mémoire, à moins qu'on ne veuille louer le vaste amphithéâtre qu'il fit élever au champ de Mars; mais ces détails doivent être abandonnés aux journaux de la ville, et les faits plus graves réservés pour nos annales. » (Annales, XIII, XXXI.) 2. Suétone, Vie de Jules César, xx.

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