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CHAPITRE IX.

Les gazettes en France sous la Fronde. Les nouvelles à la main.

I.

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Peu après le temps où se jouait en Angleterre ce grand drame, empreint de la sombre austérité des sectes religieuses, se déroulait en France, sous l'inspiration de passions bien différentes, la tragi-comédie de la Fronde. Jamais la presse ne fut si active; jamais les libelles ne furent colportés et étalés plus librement; jamais la satire, sous toutes ses formes, ne montra plus de hardiesse et de violence. Quelques-uns de ces pamphlets ressortent de mon sujet à titre de publications périodiques. Tels sont : le Courrier français, journal hebdomadaire, en vers burlesques, qui parut pendant trois mois, en 1649; le Babillard, autre journal du même genre, qui n'eut que six numéros; la Gazette du temps, en huit numéros, etc.

Parmi ces gazetiers, Loret fut l'un des plus recherchés. Il avait commencé par être le nouvelliste en titre de Mme de Longueville. Afin de rendre le métier

plus lucratif, les nouvellistes les plus répandus faisaient alors tirer de leurs récits un assez grand nombre de copies manuscrites qu'ils distribuaient à des personnes de qualité et ainsi fit Loret pendant deux ans. Puis, sa vogue augmentant, il fit imprimer ses feuilles, et sa Muse historique, par une bonne fortune unique en ce temps, se soutint pendant quinze années (1650-1665). Loret était d'ailleurs d'une grande réserve sur le chapitre de la politique. Pendant la Fronde, et au milieu du dévergondage universel de la presse, il avait cru un instant pouvoir user de la liberté pour soutenir la cause de Mazarin, du même droit que d'autres s'en servaient pour l'attaquer. Mais il fut menacé d'un décret de prise de corps, et obligé de renoncer, ainsi qu'il le dit luimême, à raisonner

Sur l'état présent des affaires,

Pour n'irriter tels adversaires 1....

Dans un autre endroit, il déplore burlesquement le silence qui lui est imposé :

Ah! que c'est une étrange chose,

Quand on veut jaser, et qu'on n'ose!...

Mais Loret n'avait en aucune façon la vocation du martyre, et il garda un silence prudent. Un autre nouvelliste, Subligny, fournisseur de nouvelles du Dauphin, fit aussi imprimer sa Gazette; mais elle

4. Voy. la Muse historique de Loret, t. III, p. 24.

n'eut ni la vogue ni la durée de celle de Loret; et elle ne le méritait pas. La Muse de Loret, au contraire, sera toujours consultée comme un recueil précieux pour l'histoire de la société du temps.

II.

Les nouvelles à la main ne furent cependant pas supplantées par les gazettes imprimées aussi promptement qu'on pourrait le supposer. Elles avaient en effet l'avantage d'être baucoup plus libres et plus complètes; et cette liberté suffit pour les soutenir. Quelques grands seigneurs continuèrent donc de pensionner des nouvellistes. C'était un meuble de grande maison, et on en avait un, de la même façon qu'on avait un maître d'hôtel et un cocher. Dans un compte manuscrit des recettes et dépenses du duc de Mazarin, on lit:

Au sieur Portail, pour les nouvelles qu'il fournit toutes les semaines par ordre de Monseigneur, et pour cinq mois, à dix livres par mois, cinquante livres '. »

Ce n'est pas payer fort cher un homme dont l'emploi consiste à rechercher ou à inventer les nouvelles de la ville et de la cour, à savoir ce qui est dans la pensée du prince, et même ce qui n'y est pas, à connaître ou à imaginer ce que le roi a dit tout bas à la

1. Voy. Monteil, Histoire des Français, t. VII, p. 372.

reine, et, ainsi que le disait des nouvellistes de son temps un poëte comique latin, à révéler la conversation que Jupiter a eue avec Junon 1.

Ces nouvelles à la main, recueillies pour quelques grands personnages, et dont ils avaient la primeur, étaient ensuite clandestinement répandues, et, malgré les arrêts de défense des tribunaux, elles continuèrent à être fort recherchées dans Paris. Renaudot, dont elles contrariaient la spéculation, leur donna la chasse très-vivement.

Il veut faire pendre, dit Guy Patin dans sa correspondance, tous ces faiseurs de gazettes à la main, d'autant plus qu'ils sont cause qu'il ne se vend guère de sa gazette imprimée. »>

Mais, en dépit de Renaudot, les petites feuilles des nouvellistes circulaient dans Paris, et pénétraient jusque dans les provinces.

• Quant aux gazetiers dont vous me parlez, écrit le prince de Condé, gouverneur de Bourgogne, au premier président du parlement de cette province, Brulart, c'est un mal sans remède. Il n'y a pas longtemps qu'on en a mis à

1. Voy. Plaute, l'Homme aux trois deniers, v. 285–290.

Quod quisque in animo habet, aut habiturus est, sciunt;
Sciunt id quod in aurem rex reginæ dixerit;

Sciunt id quod Juno fabulata est cum Jove;

Quæ neque futura neque facta, illi tamen sciunt.

2. Trois arrêts, du 1er avril 1620, du 18 août 1666, et du 9 décembre 1670, font défense à toutes personnes de vendre aucuns libelles écrits, qualifiés de gazettes à la main, à peine du fouet et du bannissement pour la première fois, et des galères pour la seconde.

3. T. II, p. 178, édit. 1725. Rotterdam.

la Bastille une douzaine tout en un coup; et cela ne les rend pas plus sages. »

Les registres du parlement portent, entre plusieurs autres condamnations, à la date du 9 décembre 1661, sentence contre un nouvelliste, Marcelin de Laage, qui fut condamné à être fustigé et banni de la ville de Paris pour cinq ans, avec défense de récidiver, et ce, à peine de la vie. Sous le coup de ces rigueurs, les gazettes manuscrites finissent par disparaître, et leur trace m'échappe jusqu'au milieu du siècle suivant, en 1753. Les mémoires du temps nous apprennent en effet qu'un cercle de littérateurs et d'hommes du monde se réunissait alors dans le salon de Mme Doublet de Persan; que chacun des assistants était tenu d'insérer sur un registre qui s'y trouvait les nouvelles littéraires ou politiques du jour, et, qu'à la fin de la semaine, on en rédigeait, sous le nom de Nouvelles à la main, un extrait qu'on lançait dans le public'. Les nouvelles à la main se montreront de nouveau, au commencement du XIXe siècle, sous le gouvernement impérial.

1. Ces Nouvelles à la main servirent à composer les Mémoires de Bachaumont sur lesquels nous reviendrons tout à l'heure.

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