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craindre même de Voltaire. Mais il était difficile de juger toute la littérature contemporaine sans flageller quelque amour-propre irritable ou sans blesser quelques hommes puissants; et, plusieurs fois, Fréron expia ses témérités à la Bastille. Sa feuille fut continuée après lui par son fils, alors écrivain obscur, mais destiné dans un avenir prochain à une sinistre célébrité; et par Brotier, Geoffroy et Royou, le premier, que la fin du siècle devait voir transporter à Sinnamary; le second, futur censeur de la littérature dramatique dans le Journal des Débats; le troisième, qui devait être bientôt, au milieu des orages révolutionnaires, le courageux rédacteur de l'Ami du roi. Les Annales politiques, civiles et littéraires du XVIIIe siècle (1777-1791, 19 vol.), par l'avocat Linguet, célèbre par l'influence de ses plaidoyers et ses querelles avec son ordre, par la versatilité de ses doctrines et la hardiesse de ses paradoxes. Linguet périt sur l'échafaud révolutionnaire, le 27 juin 1794.

Pendant les deux règnes de Louis XV et de Louis XVI, jusqu'en 1789, les journaux publiés en France restèrent dans cette situation équivoque entre une liberté tolérée et l'arbitraire légal, qui laisse peu de place au développement d'une entreprise durable, de quelque nature qu'elle soit. Aussi, au milieu du mouvement général des esprits, et lorsqu'il se publiait sous diverses formes un très-grand nombre d'écrits, qui reproduisaient ce mouvement avec plus ou moins

de talent et plus ou moins de liberté, il est remarquable qu'il ne s'éleva aucun journal de quelque importance pour s'y associer et s'en faire l'interprète. A la veille de 1789, il n'y avait, à vrai dire, aucun journal politique qui eût droit à ce titre, dans le sens que nous lui donnons. Quelques mois après, on les comptait par centaines, et le pays allait se précipiter dans la liberté avec toutes les illusions et toute la fougue de l'enthousiasme et de l'inexpérience.

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On a dit, avec beaucoup de sens, que la révolution française avait été une succession de suicides. Les parlements, la noblesse, le clergé, le roi, l'Assemblée nationale, et enfin la république, se tuèrent tour à tour de leurs propres mains.

L'attitude des parlements offre un des plus frappants exemples de cette imprévoyance générale. Par une singulière contradiction, on vit ces corps qui, depuis trois siècles, réprimaient sans relâche les abus de la liberté d'écrire, invoquer les premiers les états généraux, et demander la liberté de

la presse. Dans leurs remontrances, leurs arrêts, leurs discussions, on les voit saisir toutes les occasions de faire retentir ces mots si doux, si nouveaux et si flatteurs, de nation et de citoyen. D'autre part, ces mêmes parlements se font, sous Louis XVI même, les avocats de la torture, et résistent, tant qu'ils peuvent, à sa suppression même partielle. Leur apporte-t-on un édit royal qui accorde aux religionnaires des libertés fort restreintes, ils ne l'enregistrent que sur des ordres exprès. S'il s'agit de réformer les droits féodaux, d'abolir la vénalité des charges, les épices, la corvée, les jurandes; s'il est question de faire peser également l'impôt foncier sur toutes les terres, ces prétendus tuteurs des peuples se jettent à la traverse. Aveuglés par l'intérêt, les habitudes, l'esprit de corps, ils ferment les yeux aux lumières qui éclairent le pays et qui rayonnent en tout sens, et ils entravent les salutaires innovations qui, consenties à temps, eussent peut-être épargné à la royauté et à eux-mêmes la catastrophe qui devait les engloutir. Aussi, s'ils demandent la convocation des états généraux, et ils entendaient par là une assemblée inutile et impuissante comme celle de 1614, il n'y faut pas voir un désir sincère de les obtenir, mais une tactique contre les ministres et un moyen de forcer le gouvernement à se résigner par peur à la suprématie des parlements, comme à

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un moindre mal. Il manqua aux parlements un Ménénius pour leur rappeler la fable du cheval voulant se venger du cerf et, afin d'accomplir sa vengeance, se donnant l'homme pour maître. Ils en donnèrent en effet une exacte reproduction. Le cheval, ce fut le parlement; le cerf, le ministère; l'homme, les états généraux. L'emploi de Raton se brûlant la patte à tirer les marrons du feu pour le compte d'autrui avait été joué déjà par les parlementaires lors de l'expulsion des jésuites, où, quoique très-peu philosophes, ils s'étaient fait, suivant l'expression de d'Alembert, les exécuteurs de la haute justice philosophique. Ils recommencèrent encore une fois ce rôle de dupes au profit de la Révolution, lorsqu'ils contribuèrent à répandre et à populariser l'idée des états généraux 1.

II.

Comme si ce n'était pas assez d'inconséquence, ces magistrats, qui avaient fait et faisaient encore brûler tant d'écrits, imaginèrent de réclamer la liberté de la presse, et de la proclamer l'unique garantie de tous les droits 2. C'était la popularité

1. « Ceux qui élèvent des questions politiques devraient considérer combien elles se dénaturent en chemin. On ne demande d'abord qu'un léger sacrifice; bientôt on en commande de très-grands; enfin on en exige d'impossibles. Règle générale : les novateurs commencent modestement par des vœux et finissent par des volontés. » (Rivarol.) 2. Arrêté du parlement de Paris du 5 décembre 1788.

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