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plaie ou l'abcès à l'abri de la putréfaction. Est-il nécessaire d'ajouter qu'il ne servirait à rien d'y avoir recours, si l'on n'avait pas soin d'éloigner au préalable de la plaie tout agent de putréfaction.

Aussi, avant de panser une blessure infligée par quelqu'un d'autre que le chirurgien lui-même, faudra-t-il toujours commencer par la laver à fond avec un liquide jouissant de propriétés antiseptiques bien constatées; à cet effet on peut employer indifféremment l'eau de chlore, une lotion d'acide sulfureux ou bien une forte solution d'acide phénique ou de chlorure d'alumine. Mais quand le chirurgien opère sur une surface qui ne présentait pas auparavant de lésion de continuité, il est à même d'empêcher l'introduction dans la plaie de tout élément actif de putréfaction, en opérant dans une atmosphère antiseptique. Celle-ci s'obtient facilement, en pulvérisant à l'aide de l'appareil de Richardson (pour l'anesthésie locale) une solution aqueuse d'acide phénique. Pour rendre plus parfaite la pulvérisation du liquide, il est bon d'avoir la partie inférieure du tube qui plonge dans l'eau presqu'entièrement bouchée, en n'y ménageant que des ouvertures extrêmement petites. Lorsqu'il ne s'agit que d'une petite opération, cet appareil remplit parfaitement son objet, pourvu que l'on ait la précaution de filtrer le liquide à pulvériser à travers un mouchoir de batiste ou autre tissu analogue, afin de le dépouiller de toutes les impuretés de nature à occasionner l'obturation des petits pertuis ménagés dans le bec de l'instrument, accident qui en maintes circonstances pourrait être suivi d'effets désastreux.

On peut sans danger, ainsi que nous l'avons reconnu récemment, réduire considérablement le degré de concentration de la solution d'acide phénique à employer au moyen du pulvérisateur; il est démontré, en effet, qu'une partie d'acide pour cent d'eau fournit une atmosphère antiseptique en tout point suffisante.

Nous avons réalisé par cette découverte un progrès réel, ne fût-ce déjà qu'au point de vue de l'opérateur, comme je puis l'assurer pour en avoir fait l'expérience. Quand je me servais d'une solution d'acide phénique dans la proportion de 1 pour 40, j'avais toujours les mains rudes et irritées, mais depuis que la proportion est réduite à 1 pour 100, je ne ressens plus rien aux mains et je puis, en outre, respirer à mon aise dans l'atmosphère produite par la pulvérisation de ce liquide. En second lieu, le malade s'en trouve fort bien aussi, car plus l'application antiseptique est faible, de quelque façon qu'elle ait lieu, moins elle produit d'irritation sur les tissus. Considéré, au point de vue de son action proprement dite, l'agent antiseptique est toujours nuisible; c'est un mal nécessaire que l'on subit parce qu'il est compensé par de grands avantages. Ce serait, en effet, se tromper étrangement que d'attribuer l'utilité de l'acide phénique à une influence spécifique particulière. Non-seulement la théorie, mais l'expérience nous en fournissait la preuve.

Il fut un temps où j'employais l'acide non dilué et en agissant de la sorte je produisais inévitablement non pas une simple irritation, mais un certain degré de cautérisation. J'eus recours ensuite à une solution concentrée d'acide phénique dans l'huile, pais à une solution assez forte de cet acide dans l'eau ; actuellement nous en sommes arrivés par gradations à ne plus nous servir, comme nous l'avons dit, que d'une partie d'acide pour cent parties d'eau, et encore n'en faisons-nous usage que sous forme de poussière médicamenteuse en évitant absolument d'imbiber les tissus avec ce liquide ou d'en injecter dans les plaies à l'aide d'une seringue, comme nous le faisions autrefois. Or, la beauté des résultats obtenus se trouve être en raison directe de la faiblesse de la solution employée et de l'opportunité moins grande que nous lui offrons d'agir sur les tissus, à condition, bien entendu, de ne pas dépasser la limite extrême au delà de laquelle elle perd ses propriétés antiseptiques.

En continuant à prendre pour exemple un vaste abcès du psoas, supposons que je veuille en renouveler seul le pansement; l'emploi du pulvérisateur me sera dans ce cas d'une extrême utilité. J'en dirige le jet sur la surface du corps, dans l'angle que forme la peau avec le pansement au moment où je soulève la gaze. A défaut d'un aide à qui je puisse confier le soin de produire l'atmosphère antiseptique, il m'est facile de faire manoeuvrer moi-même le pulvérisateur en plaçant le flacon de celui-ci contre la face palmaire du pouce et en tenant le ballon sur lequel il faut presser entre le côté opposé du flacon et les doigts de la même main. Je puis ainsi couvrir toute l'étendue de l'incision d'un brouillard antiseptique aussi longtemps que je le désire, c'est-à-dire tant que je n'ai pas étendu sur la partie un linge imbibé de la solution phéniquée au 100o et auquel nous avons donné le nom de protecteur. Celui-ci une fois en place, on peut suspendre, sans danger, l'emploi du pulvérisateur pour y revenir, après avoir enlevé les matières qui salissent les parties voisines, à partir du moment où le protecteur est ôté jusqu'à l'application définitive du pansement.

Quoique l'instrument de Richardson suffise amplement pour les petites opérations, cependant le nuage qu'il fournit n'est pas d'un volume suffisant pour couvrir de larges surfaces comme celles résultant de l'amputation ou de la désarticulation de la cuisse. Aussi pour les cas de ce genre me suis-je fait faire un appareil qui, sous sa forme actuelle laisse encore, je m'empresse de le dire, beaucoup à désirer, tant sous le rapport de son poids que de ses dimensions, mais qui, malgré ces imperfections, remplit d'ailleurs fort bien son office. Il est construit sur le principe du petit instrument dont on se sert pour parfumer les appartements « atmospheric odorator, » et qui, paraît-il, présente l'avantage de réduire, mieux que tout autre, les liquides en très-fine poussière. Ce résultat s'obtient par deux tubes disposés à angle droit, dont l'un, destiné au passage de l'air, est d'un calibre plus grand que l'autre, destiné au passage de l'eau ; l'ouverture du tube par lequel passe l'air est située juste en face du

centre de l'orifice du tube par lequel monte le liquide que l'on veut pulvériser. Sans entrer dans tous les détails de construction de mon appareil, il suffira de dire qu'il est muni de deux pulvérisateurs analogues à celui qui vient d'être décrit, bien qu'ils en diffèrent essentiellement sous certains rapports. Chacun d'eux est fixé à l'extrémité d'un tuyau en caoutchouc, qui les met en communication avec le gros de l'appareil et permet de les mouvoir indépendamment l'un de l'autre, de façon à pouvoir en diriger le jet, si c'était nécessaire, sur des points opposés de la localité où se pratique l'opération. (Deux appareils de Richardson, manœuvrés par deux assistants, atteignent le même but, quoique moins efficacement.)

J'ai employé plusieurs fois cet appareil pour pratiquer différentes opérations, entre autres mes deux dernières amputations, l'une à la cuisse, l'autre au bras, n'utilisant, dans les deux cas, qu'une solution d'acide phénique à 1 p. c. pour la production de l'atmosphère antiseptique et pour le lavage de mes éponges; toutefois, quand celles-ci étaient imbibées de sang, j'avais la précaution, que je vous recommande d'imiter, de les laver d'abord dans l'eau pure, de les plonger ensuite un moment dans une forte solution (1 pour 40) et de les presser enfin dans la solution faible avant de les utiliser de nouveau.

On se sert de la corde à boyau antiseptique pour lier, avant de suspendre l'usage du pulvérisateur, les artères importantes divisées pendant l'opération. Il est absolument nécessaire d'en avoir de bien préparée, mais ne pouvant m'étendre ici sur ce sujet, je me bornerai à dire que la corde à boyau subit une modification physique remarquable quand on la laisse séjourner longtemps dans une émulsion d'eau et d'huile; elle acquiert alors une grande transparence et n'est plus sujette à se ramollir et à devenir glissante au contact de l'eau ou d'une sécrétion aqueuse. C'est grâce à cette circonstance qu'il est possible d'utiliser la ligature animale et que l'on en obtient les meilleurs résultats.

Le spécimen de corde à boyau que je place sous vos yeux est extrêmement fin, n'est-ce pas, beaucoup plus fin que les fils de soie employés ordinairement; eh bien, je n'hésiterais pas cependant à m'en servir pour lier l'artère fémorale dans un moignon. Il va sans dire que vous pouvez, si vous le préferez, en employer d'un calibre plus considérable.

A mon avis, la ligature animale dont les anses sont coupées à proximité du nœud, est un parfait hémostatique; elle a toute la simplicité et tous les avantages de la ligature ordinaire et ne constitue pas, à proprement parler, un corps étranger dans la plaie. S'il ne survient pas de putréfaction, elle est rapidement résorbée et ne contrarie pas plus la réunion par première intention de la plaie que si celle-ci ne renfermait aucune ligature.

C'est très-bien, me direz-vous, mais si la putréfaction se produit? J'avoue que je me suis demandé d'abord avec inquiétude si, dans ce cas, la corde à boyau préparée ne favoriserait pas le retour de l'hémorrhagie en se ramollis

sant. Pour sortir du doute à ce sujet, j'ai eu recours à l'expédient suivant : je fis avec cette corde plusieurs ligatures très-serrées et placées à quelque distance les unes des autres sur un cylindre en caoutchouc, qui fut placé ensuite, durant une semaine, dans du sérum de sang putréfié, maintenu à la température de 90° Fahrenheit. A la fin de cette période, le cylindre subissait encore le même degré de constriction en correspondance des ligatures, preuve évidente que celles-ci avaient conservé leur inextensibilité, malgré l'effort constant de la substance élastique sur les noeuds.

Je ne veux pas prétendre toutefois que les petits bouts de corde à boyau situés dans une plaie envahie par la putréfaction ne soient pas éliminés à l'égal des débris mortifiés du tissu cellulaire ; je veux même admettre la réalité de ce fait, en déclarant cependant que c'est là une simple hypothèse de ma part. En effet, quoique depuis plus de deux ans je n'aie employé que ce genre de ligature, et quoique, dans certains cas, on ne puisse, comme on sait, éviter la putréfaction, je n'ai jamais vu se détacher le nœud en corde à boyau et je ne connais pas d'exemples d'hémorrhagies secondaires ou d'abcès occasionnés par son usage.

J'ai déjà parlé de l'irritation que les lotions phéniquées provoquent dans les tissus. Cette irritation a le grand inconvénient de se traduire par une transsudation très-abondante de sérosité pendant les vingt-quatre premières heures qui suivent l'application du pansement; il importe donc d'aviser au moyen d'éloigner ces matières afin de prévenir la tension qui résulterait de leur accumulation dans l'appareil et qui aurait pour effet d'occasionner une suppuration n'ayant, du reste, rien de commun avec la putréfaction. A cet effet, j'introduis, en guise de drain, à la portion la plus déclive de la plaie, un ruban de toile imbibé d'acide phénique dissous dans environ dix fois son volume d'huile d'olive. Ce ruban est enlevé au bout de un à deux jours sous la protection du brouillard antiseptique; sans cette dernière précaution, la putréfaction ne manque jamais de se déclarer. On utilise parfois aussi avec avantage, dans le même but, un petit tuyau de drainage en caoutchouc convenablement imprégné d'acide phénique.

Il est regrettable que l'acide phénique ne puisse se trouver en contact direct avec une plaie sans en entraver la cicatrisation; son action sur l'épiderme est surtout très-marquée, ce dont on peut parfois tirer bon parti. Par exemple, après avoir plongé pendant une ou deux secondes le doigt indicateur dans une solution d'acide phénique, l'épiderme du doigt est suffisamment chargé de cet agent antiseptique pour que l'on puisse sans danger l'introduire dans la cavité d'un abcès ou toute autre partie que l'on désire explorer. Un doigt rendu antiseptique de cette façon est souvent un auxiliaire fort précieux. Mais cette action de l'acide sur l'épiderme nuit à la cicatrisation et la gaze antiseptique elle-même, bien qu'elle ne possède en général aucune pro

priété irritante à l'égard de la peau saine ou d'une cicatrice consolidée a souvent pour effet, quand on l'applique directement sur une plaie, d'enrayer la formation d'un nouvel épiderme et de rouvrir parfois les cicatrices encore récentes. Il faut, par conséquent, trouver un agent capable de soustraire la plaie à cette influence nuisible. A cette fin, nous avons généralement utilisé jusqu'à présent un morceau de soie huilée (oiled silk) recouvert d'une couche de vernis copal afin de le rendre encore moins perméable à l'acide phénique. Ce protecteur remplit à souhait son office tant qu'il reste sec, mais aussitôt qu'il s'imbibe, l'eau qui pénètre sa substance favorise le passage de l'acide. J'ai fait bon nombre de tentatives pour me procurer quelque chose de parfait en ce genre. C'est ainsi que j'ai essayé, il y a quelque temps, d'employer la soie huilée recouverte d'une couche de couleur à l'huile, dans l'espoir que les parcelles de pigment adossées les unes aux autres concourraient puissamment à intercepter le passage de l'acide phénique, quoique le principe huileux qui relie ces parcelles entre elles soit perméable à cet acide; et je ne m'étais pas trompé; malheureusement ce tissu avait le défaut d'être trop raide pour l'usage auquel il était destiné. Plus tard, je me suis demandé si le caoutchouc combiné à quelqu'autre substance ne me fournirait pas un protecteur convenable? Le caoutchouc est comme on sait perméable à l'acide phénique, mais mélangé à certaine substance le serait-il encore? Je soumis d'abord à l'épreuve du caoutchouc de couleur qui avait été vulcanisé, mais le soufre qui entrait dans sa composition agissant chimiquement sur les matières sécrétées par la plaie, détermina le développement d'une odeur d'œufs pourris. C'était là un exemple frappant de décomposition sans putréfaction; en effet, il n'y avait pas de trace, dans ce cas, de fermentation putride, et, du reste, la décomposition ne se propageait pas à l'intérieur de la plaie, comme le prouvait le fait qu'il suffisait pour faire disparaître entièrement la mauvaise odeur d'en revenir simplement à l'usage du protecteur en soie huilée.

La nécessité d'éviter la présence du soufre me mettait dans un grand embarras car le mélange d'un ingrédient étranger avec le caoutchouc donne en général un produit ayant l'inconvénient d'être mou et collant à moins qu'il n'ait subi la vulcanisation. La magnésie fait exception à cette règle et, combinée à la gomme élastique pure, elle fournit une substance très-satisfaisante sous le rapport de ses propriétés physiques, aussi est-il regrettable que ce caoutchouc à la magnésie produise, quand on l'applique sur une peau sensible, une démangeaison intolérable et de la rougeur, pour une raison dont j'avoue ne pouvoir me rendre bien compte.

Il me vint enfin à l'esprit qu'il serait peut-être possible de combiner au caoutchouc la laque en écailles (shell-lac) qui semble n'avoir aucune propriété irritante et qui ne se laisse pénétrer que fort difficilement par l'acide phénique? Je fis part de mon idée à des hommes compétents qui la déclarèrent

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