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Deuxième rapport.

Le cinq mars mil huit cent soixante-dix, nous Amand Beaupoil, docteur en médecine de la Faculté de Paris, membre-lauréat de plusieurs Sociétés savantes françaises et étrangères, en vertu d'une ordonnance, en date de ce jour, de M. le juge d'instruction de l'arrondissement de Chinon, et après avoir préalablement prêté entre ses mains le serment voulu par la loi, avons procédé à l'autopsie du cadavre de l'enfant de la fille Masson, de manière à pouvoir répondre aux questions suivantes :

1o Le cadavre soumis à l'examen est-il celui d'un enfant né dans la nuit du 3 au 4 mars, présent mois ?

2o Cet enfant est-il né vivant et viable?

3. S'il est né vivant, combien de temps a-t-il vécu ?

4o La mort du dit enfant est-elle naturelle ?

5o Est-elle, au contraire, le résultat de violences ou de tout autre moyen d'attenter à la vie?

6o A quelle époque remonte cette mort?

Je pratique sur le cou une incision parallèle à la direction de la trachéeartère. Les tissus sous-cutanés sont noirs, gorgés d'un sang très-noir, fluide, qui coule en abondance. Le larynx et la trachée sont violemment contusionnés, noirs et pleins de sang, ainsi que les muscles environnants. Il a fallu une pression des plus fortes et prolongée pour produire cet état.

L'ouverture de la poitrine offre un tout autre aspect. A l'incision, il ne s'écoule pas de sang et les chairs sont blanches. Les poumons et le cœur sont à peine rosés; on les dirait privés de sang. La section des gros vaisseaux, nécessaire pour enlever ces organes de la cavité thoracique, donne à peine du sang.

La masse totale des poumons et du cœur, plongée dans un vase profond rempli d'eau, surnage de telle façon qu'une portion reste au-dessus du niveau du liquide, et que, quand on essaie de la faire couler au fond, elle revient aussitôt à la surface. La même expérience, recommencée sur des portions séparées du poumon, donne le même résultat.

Le tissu cardiaque, au contraire, va au fond de l'eau.

A la coupe et surtout à la pression exercée par les doigts au-dessous du liquide, le poumon donne une crépitation caractéristique et fait crever de nombreuses bulles d'air à la surface de l'eau. Séparés du cœur, les deux poumons pèsent environ 100 grammes. Les deux poumons tout entiers ont bien certainement largement respiré et l'enfant a dû crier.

Le cœur est exsangue, trop pâle. Ses cavités sont vides de sang et son tissu est un peu mou.

La fille Françoise Masson reconnaît alors qu'elle est accouchée vers onze heures du soir; que l'enfant est venu vivant; qu'il a respiré et crié; qu'elle l'a

serré à la gorge avec sa main gauche pour l'étrangler, et qu'ensuite elle est allée le cacher dans le grenier, sous le foin.

Conclusions. Fort de nos observations, entièrement confirmées en dernier lieu par les déclarations de la fille Françoise Masson, nous affirmons :

1° Que le cadavre soumis à notre examen est celui d'un enfant né dans la nuit du 3 au 4 mars, présent mois ;

2o Que cet enfant est né vivant et viable;

3° Qu'il a dû vivre peu de temps, mais assez cependant pour que la respiration ait pu s'établir bien complètement;

4° Que sa mort n'est pas naturelle;

5o Que la mort est due à une compression violente et suffisamment prolongée de la partie antérieure du cou avec les doigts d'une personne vigoureuse ;

6o Enfin, que la mort doit remonter aux premiers instants de la vie de cet enfant.

Fait à Ingrandes (Indre-et Loire), les jour et an que ci-dessus.

A. BEAUPOIL, d. m. p.

Réflexions. Le fait le plus saillant de ce rapport consiste dans la coloration si différente de la tête et du tronc du cadavre examiné, différence qui m'a frappé à première vue et qui m'a fait rechercher immédiatement les traces de la strangulation, à laquelle j'ai de suite rapporté la mort. Ces traces étaient du reste fort peu apparentes à l'extérieur et dissimulées avec soin par la malpropreté du petit cadavre et par la position qui lui avait été donnée.

Cette différence de coloration s'explique aisément si l'on considère que les artères carotides ayant dû fuir sous la pression du doigt et que les artères vertébrales, logées dans l'épaisseur du squelette, n'étant point susceptibles d'être comprimées, le sang continuait d'affluer vers le cerveau, malgré la compression exercée sur le cou de l'enfant, et s'y accumulait, au contraire, par l'effet même de cette pression prolongée, qui empêchait son retour vers la poitrine par l'intermédiaire des veines jugulaires comprises dans l'étranglement. D'où la turgescence de toute la tête, l'écoulement du sang par le nez, etc..... D'ou encore, d'autre part, l'état exsangue du tronc et des membres, puisque le cœur ne recevait plus le sang qui allait se perdre vers la tête et était, en outre, privé de celui qui s'échappait en même temps par le placenta encore adhérent au cordon.

La cour d'assises d'Indre-et-Loire, dans son audience du 7 juin 1870, a condamné Françoise Masson à sept années de travaux forcés. Je n'ai point à apprécier la sévérité de cette peine; mais je puis rechercher le mobile du crime, parce que cet examen rentre dans la grande question de l'assistance publique. La fille Françoise Masson avait déjà eu un premier enfant. Elle avait sollicité auprès de l'administration départementale les secours accordés aux filles-mères indigentes pour les aider à élever leur premier enfant. M. le maire de Saint

Patrice lui avait fait espérer que ces secours lui seraient accordés si elle se conduisait bien; et, en apparence, sa conduite était régulière; elle ne courait plus le bal et la veillée; elle restait sous l'oeil de ses parents, qui s'étaient montrés fort irrités de sa première faute. Pourtant l'arrêté de M. le préfet tardait à venir, car on voulait être certain de son repentir; mais M. le maire lui avait dit que les secours seraient prochainement accordés. Françoise Masson avait donc tout intérêt à dissimuler sa nouvelle grossesse. Enfin l'heure fatale approche... Françoise s'échappe furtivement pendant la nuit de la chambre de ses parents, dans laquelle elle couche; elle se rend sous le hangar où la délivrance s'opère... l'enfant jette son vagissement à travers les ténèbres de la nuit dans la direction d'oreilles indiscrètes, car le hangar est ouvert du côté de la grande route de Tours à Saumur, à cinquante mètres à peine de cette route très-fréquentée et à cent mètres environ du chemin de fer, parallèle à la route et sans cesse parcouru par les gardiens de nuit... Françoise Masson a intérêt qu'on n'entende pas son enfant crier; elle veut l'en empêcher... elle le saisit à la gorge... Oh! mais, elle serre trop fort et trop longtemps !!!...

Malgré l'intelligence très-bornée de Françoise Masson, tel a été, je crois, l'ordre d'idées qui a dû la faire agir. Le mobile n'est pas capable d'innocenter le crime. Il semblerait prouver, au contraire, que les sacrifices faits par notre administration départementale pour secourir et moraliser les filles tombées ont, chez cette nature bestiale, développé l'hypocrisie et la dissimulation jusqu'au crime.

NOTE SUR UN cas d'eczéma dartreux CHRONIQUE, OCCUPANT TOUTE LA SURFACE DU corps, guéri au moyen de l'arséniate de fer ; par le docteur ANT. VALERIUS, membre correspondant de la Société, à Arlon.

Parmi les maladies de la peau, l'eczéma est incontestablement l'une des plus importantes, non-seulement par sa fréquence, mais encore par sa durée souvent fort longue et sa grande tendance à récidiver. Le praticien a donc le plus grand intérêt à posséder des règles bien établies pour se diriger dans le traitement de cette affection. Ces règles, la science ne les a pas encore formulées. En effet, qu'on lise les auteurs qui ont écrit sur la maladie dont il s'agit, et l'on se convaincra, sans peine, des divergences nombreuses qui existent entre les méthodes de traitement qu'ils indiquent.

Pour les uns l'eczéma est toujours une affection locale, qui réclame toujours un traitement local. Pour les autres, à la tête desquels se trouve un des premiers dermatologistes de l'époque, M. Bazin, de Paris, il faut distinguer deux classes d'eczéma, la première comprenant les eczémas dus à une cause externe et la seconde les eczémas qui sont sous la dépendance de maladies constitutionnelles ou diathésiques. Le traitement des eczémas de la première espèce

doit être local et varier d'après la nature de la cause qui les a développés. Au contraire, le traitement des eczémas de la seconde espèce doit être interne et varier d'après la nature des diathèses dont ils ne constituent qu'une des manifestations ou un des symptômes.

M. Bazin admet trois espèces d'eczémas par cause interne : l'eczéma scrofuleux, l'eczéma arthritique ou rhumatismal et l'eczéma dartreux. Dans son cours professé, en 1851, M. Ricord admettait encore une quatrième espèce d'eczéma, savoir l'eczéma syphilitique.

Le diagnostic des diathèses scrofuleuse, arthritique et syphilitique est, en général, facile à établir. Quant à celui de la diathèse dartreuse ou herpétique, il s'établit par exclusion. En effet, quand on s'est assuré qu'un eczéma n'est pas dû à une cause externe, il sera évidemment d'origine dartreuse lorsque le sujet qui le porte n'offre aucun des symptômes des diathèses scrofuleuse, arthritique ou syphilitique.

Nous croyons que les idées de M. Bazin seules sont l'expression de la réalité et à l'appui de notre manière de voir, nous avons publié l'histoire de deux cas d'eczéma dartreux que nous avons rencontrés dans notre pratique.

L'un de ces cas, observé chez une femme, a été publié dans le Journal de la Société royale des sciences médicales et naturelles de Bruxelles (septembre 1865). Il datait de huit ans et je l'ai guéri au moyen de l'arséniate de fer. Le traitement a duré cinq semaines et la quantité d'arséniate administrée pendant ce temps a été de 3 grammes et 30 centigrammes. La guérison s'est parfaitement maintenue jusqu'à ce jour.

Ma seconde observation a été publiée dans les Annales de la Société de médecine d'Anvers (juillet 1868). Elle est relative à un eczéma dartreux que j'ai également guéri par l'emploi de l'arséniate de fer. Le traitement a duré deux mois et la quantité d'arséniate administrée a été de 3 grammes et 1/2. La guérison s'est également maintenue jusqu'à ce jour.

A la suite de cette seconde note, j'ai examiné les avantages et les inconvénients des diverses préparations arsénicales employées en médecine. Je me suis prononcé contre l'usage de toutes celles qu'on est obligé d'administrer par gouttes, à cause des difficultés de dosage qu'elles présentent. Je recommande, au contraire, l'emploi de celles qu'on peut administrer en pilules et, parmi ces dernières, je donne, sous tous les rapports, la préférence à l'arséniate de fer, non-seulement parce qu'il constitue la préparation qui est la mieux tolérée par l'estomac, mais encore parce que la petite quantité de fer qu'il contient paraît exercer une influence des plus salutaires sur la constitution généralement affaiblie des personnes qui souffrent du vice dartreux.

J'ai eu l'année dernière l'occasion d'observer un troisième cas d'eczéma chronique dartreux, mais plus remarquable que les deux premiers, parce qu'il avait envahi toute la surface du corps. J'ai soumis ce nouvel eczéma au même

traitement que les précédents et le résultat que j'ai obtenu, dans un cas aussi grave, ne me paraît plus laisser le moindre doute sur la réalité des principes que je voudrais contribuer à faire prévaloir relativement à la nature et au traitement d'une certaine catégorie d'eczémas.

C'est pour ce motif que je me suis décidé à publier encore cette troisième observation, d'autant plus que je serai ainsi à même de pouvoir présenter quelques nouvelles remarques pratiques sur les préparations arsénicales et le traitement des eczémas, ainsi que de combattre certaines idées émises par M. Devergie dans une publication récente (Sur l'emploi des préparations arsénicales dans la pratique médicale; par M. Devergie), publiée dans les Annales de la Société de médecine d'Anvers (juillet 1870).

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Troisième cas d'eczéma dartreux chronique. Le 14 juillet 1870, le plafonneur C..., âgé de 56 ans, père de sept enfants bien portants, m'a consulté pour une maladie de la peau qui occupait toute la surface du corps. Il y a huit ans, C... a été atteint d'une hydropisie qu'il a traitée par des remèdes domestiques. Cette maladie a duré environ cinq mois et a laissé à sa suite un œdème des extrémités inférieures qui persiste encore aujourd'hui. Elle était due, sans doute, à un appauvrissement du sang qui s'est prolongé longtemps; car le malade est resté dans un état de faiblesse qui l'a empêché de reprendre son travail. Nous ajouterons que C... porte, depuis 25 ans, sur la jambe gauche des ulcères chroniques qui se ferment et se rouvrent à des époques indéterminées. Enfin, qu'en 1868, il a eu un érysipele de la face qui, après une courte durée, a également cédé à des remèdes domestiques.

C... n'a jamais eu d'autres affections cutanées que l'érysipèle dont il vient d'être question et sa maladie actuelle, pour laquelle il m'a consulté. Il est d'un tempérament nerveux-lymphatique.

Lors de ma visite, je l'ai trouvé alité et dans un état de faiblesse assez prononcé. Il m'a déclaré n'avoir jamais eu de syphilis, ni de rhumatisme, ni d'affection scrofuleuse. L'état des fonctions digestives était satisfaisant.

La maladie actuelle de C... date de quatre semaines. Elle a commencé au dos et s'est étendue, depuis deux semaines, à tout le reste de la surface du corps. La peau est rouge et luisante. En certains points, elle sécrète, en grande quantité, un liquide clair et visqueux qui, on se desséchant, forme des squames minces et foliacées, lesquelles tombent facilement et sont remplacées par d'autres. Ailleurs, et notamment aux coudes, aux lombes et aux jambes, elle sécrète une matière séro-purulente qui donne lieu à des croûtes et à des lames purpu. racées. Enfin, la peau est partout le siége d'une démangeaison plus ou moins vive, qui s'exaspère surtout la nuit.

Il résulte de cette description que C... est atteint d'un eczéma universel. Cet eczéma n'est dû à aucune des causes externes qui peuvent développer cette affection.

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