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Ces malheureux se réjouirent trop tôt d'avoir échappé à une mort qui avait frappé la cinquième partie de ceux qui habitaient l'usine avec eux. Quelle horrible déception ne fut pas la leur! Une nuit était à peine écoulée depuis qu'ils avaient éprouvé cet amendement inexplicable, que tous furent atteints plus ou moins fortement d'une paralysie des extrémités inférieures; et pour que rien ne manquât à leur malheur, à cette abolition de la contractilité musculaire vint se joindre une exaltation des plus vives de la sensibilité cutanée. Qu'on se peigne la déplorable situation de ces infortunés, dont la peau irradiait en tous sens les plus atroces douleurs, et qui, en même temps, étaient condamnés dans leurs lits à l'immobilité la plus absolue!

Il ne me fut pas donné de suivre le traitement de ces différents malades (1) dont quelques-uns, après avoir vu leur position s'améliorer, se firent transporter au plus vite loin d'un endroit qui leur avait été si funeste. Un seul périt dans une attaque épileptiforme, et l'autopsie n'en fut malheureusement pas faite. Chez ce dernier, quelque temps avant sa mort, on avait observé une amélioration assez notable en ce qui avait trait à la vive sensibilité de la peau; mais, la paralysie musculaire étant toujours la même, on crut pouvoir administrer, avec une extrême prudence pourtant, quelques grains de strychnine (un grain en quatre pilules); mais, un léger état tétanique se manifestant, on cessa aussitôt l'usage de ce moyen pour en venir à un traitement révulsif; ce qui n'empêcha pas, comme nous l'avons dit, le malade de succomber.

Une personne, dont la maison avoisinait le canal dont le creusement nous a paru être la cause de l'affection épidémique dont il vient d'être question, fut également atteinte de l'état que nous avons primitivement décrit. Puis apparurent, au bout de dix ou douze jours, les symptômes nerveux dont nous venons de parler. Appelé en consultation, il nous fut démontré qu'un état inflammatoire du cordon rachidien, mais modifié par des circonstances spéciales (empoisonnement paludéen), était la cause des modifications que subirent chez elle la sensibilité et la motilité (exaltation de la première, mais diminution seulement de l'autre propriété). La percussion et la pression exercées le long de la colonne vertébrale étaient douloureuses; et, ici, un très-grand danger vint menacer brusquement la malade; car l'état morbide ci-dessus mentionné qui primitivement avait atteint les extrémités inférieures, puis, les extrémités supérieures, s'attaqua bientôt aux puissances respiratoires. Une asphyxie parut imminente; la voix était à peine perceptible; la fièvre assez prononcée. L'état des forces de la malade permettant encore l'usage des déplétions sanguines, une forte saignée fut pratiquée; plusieurs applications de sangsues furent faites le long de la

(1) L'absence de tout état fébrile, l'affaiblissement des malades, suite de leur première affection, la nature de cette dernière ne permirent pas d'avoir recours aux déplétions sanguines; l'exaltation de la sensibilité cutanée s'opposait à l'usage d'une médecine révulsive. Tout se borna, je crois, à des frictions faites le long du rachis avec un liniment narcotique, et à l'usage de quelques purgatifs; ce qui suffit, la nature aidant, au rétablissement de presque tous les malades.

colonne vertébrale; en un mot, on mit en usage, autant que les circonstances le permettaient, le traitement antiphlogistique. Sous son influence, la respiration reprit son type normal, la sensibilité morbide disparut peu à peu; mais la motilité ne fut jamais complétement rétablie.

De la relation bien imparfaite que nous venons de donner découlent cependant quelques faits intéressants:

1° Du danger qu'il y a, pour les populations voisines des terrains anciennement marécageux, lorsqu'on met à jour des masses considérables de matières tourbeuses qui étaient enfouies.

2o En ce qui concerne l'épidémie que nous venons de signaler, un phénomène a eu lieu, phénomène très-rare, inexplicable: c'est une maladie éminemment septique, modifiée brusquement dans sa marche, et remplacée d'une manière soudaine par un état morbide du cordon rachidien, état dans lequel il y a une perte de la motilité d'une part, et d'autre part exaltation de la sensibilité, ce qui, en cette circonstance, vient encore corroborer ce qu'on savait déjà touchant les fonctions attribuées aux faisceaux postérieurs et antérieurs de la moelle.

Avant de terminer cette esquisse, deux mots encore touchant l'immunité accordée aux personnes déjà atteintes une première fois de cette maladie. Nous devons ici constater une exception à cette règle.

Mile B..., âgée de dix-neuf à vingt ans, fille du chef de l'usine où éclata l'épidémie ci-dessus décrite, fut atteinte de la maladie chez elle, les choses se passèrent comme nous l'avons déjà rapporté, c'est-à-dire que, vers la fin du deuxième septénaire, son affection typhoïde, arrêtée dans sa marche, fut remplacée par la lésion du cordon rachidien. Guérie de cette dernière affection, sa santé était devenue excellente; dix-huit mois après, ayant été exposée pendant plusieurs jours à une température froide et humide, elle fut prise d'un état fébrile intense, et à la fin du premier septénaire elle succombait à une affection typhoïde des plus caractérisées.

Comme plusieurs maladies avec lesquelles elle offre de nombreuses analogies, l'affection typhoïde ne donnerait-elle l'immunité qu'autant que, non arrêtée dans sa marche, elle parcourrait toutes ses phases d'une manière régulière?

Si quelques lacunes, et j'admets qu'il en existe, se remarquent dans l'observation que je viens de donner, on sait maintenant pourquoi. Les circonstances font parfois au médecin une position exceptionnelle très-regrettable, mais qu'il doit forcément subir. On sera peut-être surpris de ne trouver dans cette observation rien de ce qui touche à la contagion de la fièvre typhoïde, sujet bien grave, bien important, sujet encore très-controversé de nos jours. J'ai dit trèsbrièvement que quelques personnes qui, ayant passé la nuit auprès des malades soignés dans l'usine, avaient été atteintes, et j'ai ajouté que, sans nier ici la possibilité d'une contagion, on pouvait fort bien ne pas admettre cette dernière, puisque les mêmes personnes se trouvaient justement dans une position absolument identique avec celle des premiers individus attaqués, c'est-à-dire en pré

sence, la nuit, avec le foyer infectieux, source primitive du mal. Mais je dois ajouter de suite que je n'ai nullement besoin de preuves nouvelles pour me poser ici comme contagioniste: j'ai soigné, pendant le cours de ma carrière médicale, de très-nombreux cas de fièvres typhoïdes, et pour moi, la contagion de cette maladie ne fait pas doute un seul instant, et pour mon compte, je viens d'en faire la triste expérience, car, ayant vécu pendant près de huit mois au milieu d'individus atteints de pyrexies à type continu, et se montrant sous toutes les formes que peut affecter la fièvre typhoïde, j'ai fini par être contagié, et cela, quoique j'eusse été attaqué, il y a plusieurs années, d'une fièvre typhoïde très-grave (ataxo-adynamique), et je dois ajouter que parmi les malades que j'ai soignés plusieurs se trouvaient dans la même position que moi, c'est-à-dire qu'ils étaient atteints pour la seconde fois.

Il semble, et ce fait m'a vivement frappé, que, depuis un certain temps, l'état préservatif dans lequel paraissait être l'économie à l'encontre de fièvres typhoïdes, après une première attaque, n'a plus de nos jours la puissance qu'on lui avait jadis accordée : en serait-il de cette maladie comme de la vaccine, qui, elle aussi, paraîtrait moins apte aujourd'hui à donner l'immunité, en ce qui concerne la variole, qu'à une époque moins éloignée de sa découverte ? Car, dans les épidémies de petite vérole, il est bien avéré que les vaccinés sont atteints depuis un certain temps en assez grand nombre, et de manière à jeter dans l'esprit de certaines personnes quelques doutes sur l'efficacité de la vaccine, comme moyen préservatif de cette affreuse maladie, doutes que je regarde d'ailleurs comme peu fondés, surtout si on se reporte aux ravages causés par la variole avant la découverte de Jenner.

Comme je l'avais dit plus haut, je croyais pouvoir ajouter à ce que je viens d'écrire quelques pages touchant des essais qui n'ont pas été entièrement stériles, pour arriver à la médication abortive des fièvres typhoïdes, qui, pour moi, sont des fièvres paludéennes des climats tempérés, et que depuis un certain temps je traite comme telles.

La Société impériale de médecine de Lyon vient de poser comme question de concours le sujet suivant :

Dans nos climats tempérés, les fièvres catarrhales muqueuses typhoïdes forment-elles trois maladies distinctes? En cas de réponse affirmative, comment les distinguer et les traiter? »

Si j'avais à aborder une question aussi importante, je n'hésiterais pas à admettre entre ces trois maladies une identité de nature assez puissante pour me décider à soutenir une thèse dans ce sens. Les concurrents pourront trouver de très-utiles matériaux pour aborder ce sujet dans le recueil intitulé: Disputat. ad morbor. hist. et curat. de Haller (7 vol. in-8°) (1). Mais après la cruelle atteinte que je

(1) C'est principalement au quinquina que Stoll fait honneur de sa guérison: Corticis peruviani hic potior usus fuit. Curam quoque confirmatioriam idem cortex absolvit. Pour mon compte, je n'ai eu qu'à me louer de l'usage d'un très-bon vin de quinquina, et je dois ajouter que je me suis servi en cette circonstance de vin de Malaga.

viens d'éprouver, et quoique comme Stoll (1) qui, lui aussi, venait d'échapper miraculeusement au danger d'une fièvre typhoïde, je puis dire aujourd'hui.

.......

me que respicere vultu denuo propitio cœpit sanitas divarum principes ;

je sens pourtant qu'il me serait impossible de mener à bien un pareil travail aujourd'hui ; j'attendrai donc, pour communiquer à mes confrères ce que l'expé rience m'a appris à ce sujet, que je puisse le faire avec fruit.

II. REVUE ANALYTIQUE ET CRITIQUE.

Médecine et Chirurgie.

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COLORATION ARDOISÉE DE LA PEAU DUE A L'ABSORPTION DU NITRATE D'ARGENT; par le docteur P. GAMBERINI, médecin en chef de l'hôpital Sainte-Ursule de Bologne, membre correspondant de la Société des sciences médicales et naturelles de Bruxelles. - La surface cutanée peut être affectée de colorations variées, dont les unes sont trèscommunes, les autres assez rares, tandis que d'autres encore ne s'observent qu'exceptionnellement. A cette dernière catégorie appartient la teinte particulière que les auteurs ont appelée ardoisée, parce que la peau présente la couleur de l'ardoise plus ou moins prononcée, depuis la nuance du mulàtre jusqu'à celle du nègre. Cette teinte a été observée à la suite de l'emploi interne du nitrate d'argent administré pour combattre différentes maladies et en particulier l'épilepsie. Depuis Swediaur, qui paraît avoir signalé le premier ce phénomène, Albers, Reimar, Schleiden, Chaufepié, Roget, Bertini, Planche, Rayer, Lebert, etc., ont démontré que l'emploi interne et prolongé de la pierre infernale ou mieux du nitrate d'argent cristallisé est capable de teindre non-seulement la peau, mais encore les membranes internes, parmi lesquelles il faut noter surtout la muqueuse gastro-intestinale et la membrane interne de l'aorte, d'après l'observation de Lelut. Cette teinte ardoisée envahit parfois la surface cutanée tout entière; d'autres fois elle n'apparaît que sur une région limitée du corps, soit sur les parties les plus exposées à la lumière, soit sur celles qui sont d'ordinaire recouvertes par les vêtements : il semble que cette dernière circonstance

n'ait jamais été observée, mais je l'admets cependant après ce que j'ai été à même d'observer, comme on le verra par la suite de ce travail. Swediaur a vu la peau tout entière se colorer en noir; Albers a observé surtout la teinte noire du visage, du cou, des mains, de la sclérotique; Rayer a vu chez un de ses malades que le visage et les mains étaient teints d'une nuance plus foncée que les autres parties; quant à moi, j'ai observé la coloration ardoisée limitée aux jambes, tandis que les autres régions du corps conservaient leur teinte normale.

Avant de discuter la nature de cette coloration, je crois devoir narrer l'observation clinique qui a motivé le travail que je publie aujourd'hui.

La nommée Angela Mastellari entre le 15 juin 1860 à l'hôpital Sainte-Ursule. Cette femme, âgée de soixante et un ans, de formes grêles, de tempérament nervosovasculaire, veuve et mère de plusieurs enfants, ne s'occupant que des travaux du ménage, est arrivée jusqu'à l'âge de cinquante-huit ans sans avoir éprouvé aucune maladie de quelque importance : à cette époque, elle dit avoir souffert d'une maladie du cœur qui a duré deux mois. Pendant l'hiver de l'année 1857, elle s'aperçut que sa chevelure, jadis blonde, commençait à grisonner. Cette transformation normale, due aux progrès de l'âge, causa une vive contrariété à cette femme qui résolut de réparer l'outrage des ars par un cosmé tique au nitrate d'argent, sous la forme d'une pommade dont elle faisait usage tous les quinze jours. Elle persévéra dans cette habitude jusqu'au moment de son entrée à

(1) L'épigraphe que je choisirais pour mon mémoire serait la suivante :
At ut plurimum mutata forma, non mutatur omninò ingenium febris. (Senac.)

l'hôpital, sans se douter que les phénomènes morbides qu'elle éprouvait étaient dus à l'emploi de son cosmétique. Ces symptômes débutèrent en janvier 1860 sous forme de dyspnée, de palpitations, suivies bientôt d'œdème des membres inférieurs et d'ascite l'épuisement des forces l'obligea à se mettre au lit et à invoquer les secours de l'art au bout d'un mois, l'œdème des jambes avait disparu, mais pour être remplacé bientôt par une coloration ardoisée de la peau de ces parties. Ce phénomène morbide persistait sans changement, ainsi que l'ascite, lorsque je vis la malade pour la première fois à l'hôpital. L'examen auquel je me livrai me fournit les renseignements remarquables que je vais énumérer :

Les téguments des jambes offraient, indépendamment de cette teinte ardoisée, une tension, une dureté qui ne permettaient pas d'y former des plis; ils avaient en un mot tous les caractères du sclérème brun. La peau conservait cependant sa sensibilité, sa température et elle était perméable à la transpiration. Les jambes étaient presque à demi fléchies sur les cuisses, par suite de rétraction musculaire et se trouvaient dans un état d'amaigrissement qui rappelait les membres des momies égyptiennes. En recherchant attentivement si d'autres parties du corps offraient aussi la coloration ardoisée, je m'assurai que la partie supérieure de la poitrine et les mains étaient le siége d'une coloration brunâtre très-peu prononcée. Les organes de la circulation révélaient à l'auscultation les signes d'un commencement d'anémie : toutes les fonctions organiques s'accomplissaient régulièrement; mais l'épanchement ascitique persistait; la quantité, il est vrai, en était peu abondante, probablement à cause de l'écoulement facile des urines dont la quantité et la qualité étaient physiologiques.

Lorsque j'examinai pour la première fois cette coloration spéciale des jambes, je restai indécis sur sa nature et sur son étiologie, quoique l'idée de la maladie bronzée d'Addison me vint aussitôt à l'esprit; mais comme un trait de lumière, la couleur des cheveux et du cuir chevelu me rappela aussitôt à la pensée la tache que laisse sur la peau le contact de la pierre infernale et surtout du nitrate d'argent cristallisé; l'idée me vint de demander à la malade si elle avait fait usage d'une teinture cosmétique : ce fut ainsi que j'appris ce que j'ai rapporté plus haut concernant le désir capricieux conçu par cette femme d'effacer les traces du temps, si pénibles pour le beau sexe. Les analyses

chimiques que je fis entreprendre confirmèrent la présence du nitrate argentique comme élément principal dans la composition du cosmétique. A la suite de cette découverte, je restai convaincu que la couleur ardoisée devait être attribuée à l'emploi prolongé pendant dix ans de ce cosmétique, dont l'absorption avait provoqué la teinte ardoisée qui suit ordinairement l'administration intérieure du nitrate argentique. J'en conclus que cette coloration était due à un dépôt matériel du sel argentique sous l'épiderme, et je voulus mettre à l'épreuve la vertu décomposante de l'iodure potassique dissous dans l'eau distillée à la suite du contact réitéré de cette solution, je pus constater une décoloration manifeste de la teinte ardoise foncé de la peau.

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Le diagnostic était donc bien établi : il s'agissait d'une « coloration ardoisée due à l'absorption du nitrate argentique appliqué pendant plusieurs années à l'extérieur comme cosmétique. » L'existence de l'ascite me parut se rattacher à l'état légèrement anémique du sujet, occasionné probablement par l'action nuisible du nitrate d'argent, car je ne pus découvrir d'autre explication suffisante de cette dyscrasie.

L'indication du traitement était fournie par la nécessité d'extraire de l'organisme le sel d'argent, qu'il fallait décomposer artificiellement de manière à former un sel incolore et insoluble, tel que l'iodure d'argent, par exemple. Cette insolubilité est, à mon avis, une circonstance favorable à l'élimination du nouveau sel, la nature ayant la tendance et le pouvoir de chasser de notre corps tout ce qui lui est hétérogène et antipathique; l'emploi des bains chauds et l'administration de l'iodure de sodium remplissaient ces indications: ces moyens employés pendant plus d'un mois répondirent à mon attente, et je suis convaincu qu'ils auraient fait entièrement disparaître la nuance ardoisée, si la malade, fatiguée de son séjour à l'hôpital, et satisfaite des avantages obtenus, n'eût demandé sa sortie.

Voici quel était en ce moment l'état de la malade après le traitement qu'elle avait subi. La nuance brun clair de la partie supérieure de la poitrine et des mains a depuis longtemps entièrement disparu ; celle des jambes est réduite à une coloration jaunâtre légère, tandis qu'auparavant elle était ardoise foncé; la peau repris la plus grande partie de ses caractères physiologiques et les muscles, délivrés presque entièrement des liens qui les unissaient au derme, permettent la libre extension des

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