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gination de ceux à qui on en parlait, et personne ne croyait être sous le coup d'une fausse théorie en disant que les purgatifs mis en contact avec une muqueuse enflammée et ulcérée, bien loin de calmer les symptômes febriles, devaient au contraire les aggraver.

Enfin, M. Piédagnel se risque le premier à expérimenter cette médication dans le service dont il était chargé à l'Hôtel-Dieu.

... Cette expérimentation dura depuis le 1er juin 1834 jusqu'au 1er mars 1835, c'est-à-dire neuf mois, et les résultats en ont été consignés dans une note lue à l'Académie de médecine et insérée dans la Gazette médicale de Paris (1). Pendant ces neuf mois, 134 fiévreux ont été traités : 115 sont guéris; 19 sont morts; ce qui donne une mortalité d'un septième. M. Piédagnel n'hésite pas, d'après ce chiffre, à regarder le traitement par les purgatifs répétés comme le meilleur de ceux connus jusqu'à ce jour.

Si le chiffre de mortalité de M. Piédagnel diffère de celui de M. de Larroque, c'est qu'au dire de M. Beau (2), M. Piédagnel saignait pour satisfaire à quelques indications; c'est qu'il ne faisait jamais vomir ses malades; c'est qu'il leur donnait régulièrement trois bouillons par jour, pendant toute la durée du traite

ment.

Ces expériences faites sur un vaste théâtre, à la vue d'un grand nombre de médecins et d'élèves, fixèrent vivement l'attention publique sur ce point. Elles prouvèrent à quelques-uns que les purgatifs étaient utiles; à tous qu'ils n'étaient pas nuisibles, comme on l'avait dit.

Plus tard, M. Prus, médecin de la Salpêtrière, publia (3) une note tendant à prouver l'efficacité des évacuants dans la fièvre typhoïde.

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En 1836, M. Bénard fils, médecin à Loches, composa un intéressant mémoire (4) au sujet de quelques observations de dothinentéries traitées par les purgatifs. L'auteur dit qu'il a employé ce traitement sur 12 malades sans en perdre un seul. Il parle surtout d'un cas très-grave dans lequel les évacuants agirent d'une manière remarquable, et il ne peut se défendre d'un certain mouvement d'enthousiasme en le rapportant: La malade, dit M. Bénard, était dans un état de prostration extrême, elle n'avait plus la conscience de son > existence; l'oppression était des plus grandes; la poitrine percutée en arrière › donnait un son très-clair; le bas-ventre était douloureux et météorisé; la » langue, les lèvres, les dents étaient recouvertes d'un enduit noirâtre, les > ouvertures nasales étaient pulvérulentes; la poitrine et l'abdomen étaient parsemés de taches lenticulaires. Eh bien! tous ces symptômes alarmants ont disparu sous l'influence de quelques bouteilles d'eau de Sedlitz. Qu'on fasse >> connaître une méthode à l'aide de laquelle on ait obtenu de semblables > effets!... J'ai traité la fièvre typhoïde par les émissions sanguines, par les

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(1) No du 28 mars 1835.

(2) Loc. cit., p. 14.

(3) Revue médicale, t. III; 1855.

(4) Bulletin de thérapeutique, février 1836.

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toniques, par les chlorures, et jamais de pareils faits n'ont attiré mon admi

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En 1836, M. le Dr Beau, jeune homme du plus grand mérite, et aujourd'hui médecin de l'hospice de la Salpêtrière et l'un des praticiens les plus recommandables de Paris, publia une thèse remarquable sur l'emploi des évacuants dans la fièvre typhoïde. Avant d'avoir suivi avec soin le service de M. de Larroque à l'hôpital Necker, M. Beau partageait pleinement cette opinion, généralement accréditée, que l'art était impuissant dans le traitement de la fièvre typhoïde et que la nature seule faisait elle-même tous les frais de la guérison. Il était arrivé à cette opinion par la lecture des auteurs modernes et par l'observation de plusieurs faits dans lesquels on avait séparément employé les différents moyens de médecine agissante ou expectante les plus en vogue à cette époque, tels que les antiphlogistiques, les toniques, les délayants, etc., etc. Quant aux purgatifs et aux émétiques, on les regardait généralement comme dangereux; on ne s'en permettait l'usage que dans certains cas particuliers, et alors on ne les donnait qu'une fois ou deux fois, tout au plus, dans le cours de la même affection. M. Beau pensait, comme tout le monde, que si les anciens avaient connu aussi bien que nous l'état de l'intestin dans la fièvre typhoïde, ils ne les eussent pas prodigués comme ils le faisaient dans cette maladie; et il lui semblait encore que si les modernes y avaient si généralement renoncé, ce n'était pas seulement à cause de la connaissance anatomo-pathologique qu'ils avaient de l'intestin, mais surtout parce qu'on avait pratiquement constaté les mauvais effets de leur administration.

Telle était la croyance de M. Beau sur ce point, lorsqu'en 1834, M. de Larroque lui parla des succès qu'il obtenait depuis deux ans, en traitant comme les anciens, la fièvre typhoïde par les évacuants. La manière dont M. de Larroque lui exposa ses idées était claire; sa méthode de traitement lui parut rationnelle, mais il avoue qu'il doutait extrêmement, et qu'il ne pouvait croire que les théories anatomiques modernes eussent été assez puissantes pour faire à elles seules proscrire l'emploi des purgatifs, s'ils n'eussent pas été réellement pernicieux. Il attendit donc l'occasion de voir par lui-même pour savoir positivement à quoi s'en tenir sur une question aussi importante. Elle se présenta bientôt, et au bout de quelques mois, M. Beau possédait une série de faits suffisants pour sortir d'incertitude. Plus il examina, plus il observa et plus les faits se multiplièrent; et alors i put se former une opinion diametralement opposée à celle qu'il avait puisée dans les ouvrages modernes; et il la formula nettement dans sa thèse inaugurale.

En 1857, M. de Larroque, qui s'était contenté de faire des prosélytes, présenta à l'Académie de médecine un remarquable travail intitulé : Observations sur le traitement de la fièvre typhoïde par les purgatifs. Ce mémoire fit une sensation profonde parmi les médecins de Paris. Le modeste praticien vit pendant longtemps ses visites suivies par un public d'élite, et l'opinion de la majorité lui fut bientôt acquise. La méthode évacuante fut essayée dans tous les hôpi

taux; et dans beaucoup de services elle a fait depuis lors la base du traitement de la fièvre typhoïde.

Un témoignage qui ne saurait être suspect à cet égard, c'est celui d'un des élèves distingués de l'école de MM. Louis et Chomel, cette école si circonspecte. M. le professeur Grisolle qualifie de bienfaits les résultats de la méthode évacuante (1). M. Louis, dit-il, est porté, après avoir analysé les principaux modes » de traitement suivis dans la fièvre typhoïde, à regarder les évacuants comme » supérieurs aux autres moyens thérapeutiques. Non-seulement ils diminuent > la mortalité, mais ils abrégent la durée de la maladie. L'observation clinique > m'a conduit aux mémes résultats. Ainsi la fièvre typhoïde, non épidémique > traitée comme le conseille M. de Larroque, ne m'a donné, dans ces dernières › années, qu'une mortalité de près d'un septième, résultat bien favorable si je » le compare à la méthode de l'expectation ou à la méthode dite rationnelle par » laquelle j'ai perdu un quart de mes malades........ Il est incontestable aussi que > nulle autre médication ne produisit des soulagements aussi marqués et aussi › rapides.... Enfin, j'ai en outre constaté que par l'emploi des purgatifs on ne » favorisait le développement d'aucune des complications de la fièvre typhoïde, » et que des accidents les plus graves, savoir: l'hémorrhagie et la perforation > intestinale, étaient beaucoup plus rares que chez des malades soumis à d'au> tres traitements. >

La publication du Traité de la fièvre typhoïde, par M. de Larroque (2), fit une profonde impression dans le monde médical. Ceux qui avaient douté et qui n'avaient pas voulu se rendre aux arguments du médecin de l'hôpital Necker furent cependant contraints d'essayer sa médication; et depuis lors, une foule de mémoires, d'observations sur les bons effets des évacuants dans la fièvre typhoïde, furent insérés dans tous les recueils et dans tous les journaux de médecine. Si je tenais à en tracer ici la nomenclature, je n'en finirais pas. Je dirai seulement que les docteurs Meynier et Mathieu, que j'ai eu occasion de citer tant de fois, ont essayé la méthode évacuante un peu mitigée, et s'en sont parfaitement trouvés.

M. le docteur Ragaine (3) a également professé l'opinion que la médication mise en crédit par M. de Larroque, jouit d'une incontestable supériorité dans le traitement de la fièvre typhoïde.

M. le docteur X. Richard a fait connaitre (4) les résultats fournis par l'emploi des évacuants dans un des grands services médicaux de Paris, celui de M. Briquet, à la Charité. Suivant cet observateur, la méthode dite évacuante n'enraye pas la marche de la fièvre typhoïde; mais, sous son influence, les symptômes se calment, disparaissent peu à peu, en parcourant cependant leur

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période d'une manière invariable. Le chiffre de la mortalité a été de 9 sur 63 ou de 1 sur 7.

M. le docteur Danvin, médecin à Hesdin (Pas-de-Calais) a remarqué que dans les observations qui lui sont propres la médication évacuante a été très-souvent utile, quelquefois nulle, mais jamais nuisible.

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M. le docteur Lachaze a relaté (1) le compte-rendu du service de M. Moussous, médecin à l'hôpital Saint-André de Bordeaux ; et en parlant de la fièvre typhoïde, il s'exprime ainsi : « Quand la maladie a de l'intensité, il faut, à son › début et pendant sa première période, prescrire des boissons abondantes, la › diète, les applications émollientes sur l'abdomen, les lavements, des soins hygiéniques rigoureusement ordonnés : ajouter l'administration de purgatifs > légers fréquemment répétés, dans le but, non pas d'évacuer, comme se le › proposent les sectateurs des théories humorales, le principe morbifique, mais » de débarrasser l'intestin de la sécrétion viciée de ses follicules altérés ou des > produits purulents dus à l'ulcération qui les envahit, sécrétion et produits qui, décomposés au contact des gaz intestinaux et absorbés, donnent lieu à des > accidents de résorption putride.

Un des élèves de M. Beau, M. Blachez, interne lauréat des hôpitaux de Paris, vient de prendre pour sujet de sa thèse inaugurale: Études sur la dothienenterie. Voici comment il s'exprime (2) : « Il faut évacuer le liquide dothiénentérique, › éminemment toxique; il faut nettoyer ces latrines vivantes, et pour cela il > faut purger. Tous les purgatifs sont bons, pourvu que l'on obtienne des éva> cuations.

› Le traitement de M. Beau, dont nous avons pu nous même apprécier si sou>vent les heureux résultats, peut se formuler par ce triple aphorisme :

» Laver l'intestin par les purgatifs;

» Laver le sang par les boissons délayantes ;

› Laver la peau par les lotions froides. »

Enfin, pour terminer ce que j'ai à dire sur cette méthode, je dois à la vérité d'annoncer que j'ai employé 386 fois la méthode de M. de Larroque, et qu'elle m'a toujours donné les plus brillants résultats. Je n'ai pas perdu 1 malade sur 9 même en temps d'épidémie, car ma mortalité a été de 41 seulement, et encore parmi ces 41, quelques-uns avaient été vus par moi presque expirants, et quelques autres avaient dù être saignés pour des complications de pneumonie.

Contrairement à l'opinion de M. Beau, j'affirme que jamais je n'ai vu la fièvre typhoïde abrégée par cette méthode dans les cas légers, les symptômes s'amendent lentement, mais la fièvre n'est pas jugulée, n'est pas entravée. Je partage pleinement à cet égard les idées de M. Briquet et de M. Richard, et je m'inscris en faux contre l'opinion opposée. Je pourrais, du reste, pour étayer mon opinion, citer encore ici un nom qui fait autorité. M. le docteur Bousquet a

(1) Union médicale de la Gironde, 1856.

(2) Gazette des hôpitaux de Paris, no du 22 mai 1858, p. 255.

fait à l'Académie de médecine un rapport sur un travail de M. le docteur Chardon relatif aux fièvres continues. Depuis 30 ans M. Chardon n'a jamais vu la véritable fièvre typhoïde céder et guérir avant la fin du second ou le commencement du troisième septénaire, et cela quelque traitement qu'on lui ait opposé, soit celui de M. Serres, soit celui de M. le professeur Bouillaud, soit celui de M. de Larroque, etc., etc.

En résumé, la méthode évacuante est sans contredit celle qui procure le plus grand nombre de guérisons; mais elle n'abrége pas la durée de la fièvre typhoïde; a fortiori ne la jugule-t-elle pas.

Je vais, à l'appui de mon assertion, relater quelques observations choisies parmi celles que je possède, et que je ne pourrais consigner toutes ici, sans m'exposer à rendre ce travail fastidieux.

OBS. PREMIÈRE. Fièvre typhoïde grave; purgatifs répétés; guérison.— Le 17 décembre 1855, on vint me chercher pour aller voir un petit malade, âgé de 11 ans, nommé Maignan Alphonse, demeurant à Tours, rue de la Bonde no 1. Cet enfant était excessivement malade et était arrivé au quatorzième jour d'une fièvre typhoïde grave. Le médecin qui lui donnait des soins était un officier de santé, et je n'ai jamais pu savoir pour quels motifs il s'était retiré, et quels griefs avaient pu le pousser à abandonner le traitement du jeune Maignan. Lorsque je fus appelé, je m'enquis du nom du médecin qui m'avait précédé, et j'insistai vivement pour qu'on le décidât à se trouver en consultation avec moi. Les instances de la famille furent vaines, et dans une démarche personnelle que je fis chez lui, je ne fus pas plus heureux tout ce qu'il m'apprit c'est que son traitement s'était borné à l'expectation.

Voici l'état dans lequel je trouvai l'enfant :

Décubitus dorsal, intelligence peu nette, délire tranquille, facies hébété, yeux hagards, narines pulvérulentes, lèvres sèches, fendillées, noirâtres, dents complétement fuligineuses, langue sèche, râpeuse, fendillée, brune sur le milieu, blanchâtre sur les bords, soif assez vive, pas de nausées, pas de vomissements, douleur à la région épigastrique, gargouillement très-prononcé dans la fosse iliaque droite, taches rosées, lenticulaires, très-nombreuses sur l'abdomen, constipation très-opiniâtre. Le malade n'a pas été à la garde-robe depuis six jours; urines rendues involontairement; toux sèche, très-fréquente. Rien à l'auscultation; peau sèche; pouls très-petit, dépressible, battant 150 fois par minute.

Je prescrivis donc le premier jour de ma visite, qui était le quatorzième jour de la maladie, 30 grammes de sulfate de soude à prendre en 3 doses à une heure d'intervalle chacune dans une tasse de limonade; tisane de camomille pour boisson ordinaire ; 3 tasses de bouillon coupé.

Depuis le commencement de sa maladie, cet enfant avait invariablement pris soit de la tisane d'orge, soit de la tisane de fleurs pectorales.

Le 18, l'état du petit malade ne s'est pas sensiblement amélioré. Il y a eu quatre évacuations alvines assez abondantes et très-fétides. L'intelligence parait

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