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Pronostic très-grave: mort très-prochaine.

Deux de mes collègues, appelés par moi, sont de mon avis.

La mort arrive le 31 à 6 heures du matin.

Le virus charbonneux, au lieu de se fixer à la lèvre et de produire un charbon érysipélateux, comme dans nos deux premières observations, a altéré le sang et attaqué plusieurs viscères profonds dont il a causé, probablement, la gangrène.

Ainsi, s'expliquent la tardive apparition et le peu de gravité des accidents locaux et ces phénomènes généraux qui, d'abord, donnèrent à penser à une simple fièvre typhoïde; mais qui ne tardèrent pas à devenir effrayants en caractérisant la fièvre charbonneuse.

L'autopsie aurait peut-être révélé des lésions curieuses; mais me rappelant qu'une, faite en pareille circonstance (voir la 7e observation), avait mis en danger ma vie pendant deux mois et demi, j'ai dû m'abstenir, aujourd'hui que je suis veuf et père.

Si la piqûre empoisonnée de la lèvre eût été cautérisée à temps et convenablement, soit par de l'ammoniaque liquide, soit par du nitrate acide de mercure, etc., peut-être aurait-on pu sauver la malade. Il est permis de le soupçonner quand on réfléchit que l'action du virus a été tardive, soit par la réaction de la robuste constitution de la malade, soit par suite de la petite quantité ou de la qualité du virus déposé. Mais qui donc, avant l'arrivée des accidents locaux, aurait pu penser à une piqûre, dont ne parlait point la patiente et surtout la croire charbonneuse !

2o CLASSE.-Affection charbonneuse, générale et idiopathique ou essentielle.

6o OBS. Le 25 janvier 1857, je suis appelé, en toute hâte, une après-midi, auprès de la sage-femme de la commune de Bénaménil.

Cette matrone, àgée de 59 ans, courageuse, me présente, sur la partie inférieure du sacrum, une tumeur grosse comme le poing, d'un rouge brillant et violacé; dont l'empȧtement, qui n'est pas très-bien circonscrit, s'étend au loin. Cette tumeur arrache des cris de douleur à la malade, et présente, à son sommet, une plaque grisâtre, comme lardacée. La soif est ardente; le pouls est si fréquent que je ne puis le compter. Anxiété très-grande, agitation et plaintes continuelles; prostration, délire vague. Les extrémités se refroidissent, la peau a une tendance à l'asphyxie. Cette tumeur était apparue depuis deux jours. Attendu l'effrayante gravité de ces symptômes, j'annonce une mort trèsprochaine, laquelle, en effet, arrive dans la soirée.

Voilà un exemple de charbon malin, interne, idiopathique ou essentiel, développé spontanément. C'est aussi un exemple de l'œdème malin, découvert par M. Bourgeois.

Les symptômes généraux sont caractéristiques: ce sont ceux de la fièvre charbonneuse, et ils ont précédé les accidents locaux, c'est-à-dire la tumeur charbonne use externe.

C'est là la seconde espèce d'affection charbonneuse, admise par le docteur Maunoury; je veux dire une tumeur charbonneuse symptomatique du charbon interne général, essentiel et idiopathique. On se le rappelle dans les deux dernières observations (4 et 5o), la tumeur charbonneuse externe a précédé ces accidents généraux, aussi était-elle le résultat d'une inoculation.

La cause de cette maladie m'est restée inconnue. A cette époque de l'année, il n'y a pas de chaleur; et, dans ce moment, il n'y avait aucun cas d'affection charbonneuse dans le village.

Dès le principe ou avant l'apparition des accidents externes, il aurait été difficile de diagnostiquer la maladie de cette sage-femme. Quand même on aurait pu, appelé à temps, reconnaître la nature de l'affection, le pronostic de celle-ci aurait toujours été fâcheux. En effet, que peut, en pareil cas, la thérapeutique la plus active? Rien, absolument rien, comme vont le démontrer ces deux autres observations.

7o OBS.-Le 22 mai 1856, je suis appelé auprès de Nicolas Ferry, âgé de trois ans et demi, qui présente les symptômes suivants : peau brûlante, pouls fréquent, céphalalgie, langue rouge à la pointe, épigastre douloureux, vomissements, coliques, constipation, dégoût pour les aliments.

Traitement. Tisane délayante, lavements émollients, cataplasmes sur le ventre, diète.

Le 25, même traitement.

Le 24, insomnie, délire taciturne, épistaxis, grande prostration.

Même traitement, plus deux vésicatoires aux jambes.

Le 25, aggravation de tous les symptômes, émission involontaire des urines et des matières fécales; celles-ci sont très-fétides. Escarre, longue de neuf centimètres sur deux et demi de largeur, sur le côté gauche du thorax.

Traitement. Boisson acide, bouillon et vin de quinquina; poudre de quinquina camphrée sur la plaque gangrénée, fumigations chlorurées.

Le même jour, dans la soirée, je trouve les symptômes suivants : la plaque gangrénée a envahi le dos et les lombes, surtout vers la droite; de très-nombreuses petites escarres sur le visage, le cou, le thorax, le ventre et les quatre membres; peau du scrotum infiltrée.

Le 26, toutes les escarres sont augmentées en superficie ; la somme de leurs surfaces est équivalente à la moitié de celle de la peau. Le visage est horriblement décomposé; peau violacée, couverte d'une sueur froide; langue, dents, gencives et lèvres fuligineuses; haleine froide et fétide; pouls d'une fréquence et d'une petitesse extraordinaires.

Le malade succombe à 10 heures du matin.

A 11 heures je fais l'autopsie de ce petit garçon en présence de quatre de mes collègues.

Les plaques gangrénées occupent toute l'épaisseur de la peau. Au-dessous d'elles, les muscles sont très-rouges, gorgés d'un liquide fétide. Les plaques gangréneuses commençantes, sont couvertes d'un épiderme soulevé par un liquide noirâtre.

Rien du côté des voies respiratoires, si ce n'est une hypérémie générale. La muqueuse intestinale est boursoufflée et hypérémiée, sans arborisation; elle n'est point ramollie. Les glandes de Brunner sont nombreuses; je trouve quelques plaques de Peyer; point de gangrène, ni d'ulcération.

Le foie et la rate sont engorgés.

Trois jours après cette autopsie, que j'ai faite avec toutes les précautions possibles (connaissant le danger que je courais et amicalement averti par mes confrères), et pendant laquelle je n'ai point été blessé, je me suis mis au lit, atteint d'une fièvre typhoïde, très-grave, pendant le cours de laquelle j'ai eu une angéoleucite du membre abdominal gauche.

La cause de la maladie du petit Ferry m'est restée inconnue, malgré toutes les recherches minutieuses que j'ai faites. Voici seulement quelques circonstances, que je ne puis passer sous silence.

Du 25 mars au 27 avril, le sieur André Dalstein parcourt toutes les périodes d'une fièvre typhoïde (forme ataxo-adynamique). A peine est-il convalescent que sa sœur est obligée de s'aliter pour la même affection. Pendant ce temps, une voisine et amie, la femme Noiretain, succombe, entraînée par une fièvre typhoïde. Mme Ferry, qui habite la maison Dalstein, pendant que la fiévre typhoïde y règne, change de logement et va occuper une maison dans un autre quartier de la ville. Là, au bout de quelques jours, elle me fait appeler pour une gastroentérite, sub-aiguë, dont elle était déjà atteinte dans son ancien logement. Depuis quatre jours je lui donnais des soins, lorsque son petit garçon, sujet de la dernière observation, tomba malade.

Les faits du genre de celui que je viens de rapporter sont excessivement rares et tout me porte à penser qu'ils sont des exemples du charbon général, interne, idiopathique. En effet, quelle affection autre que le charbon ou la morve aiguë, qui pourrait entraîner de semblables désordres et avec une pareille promptitude ! Dans le cas présent, rien ne peut faire soupçonner la morve aiguë.

Je ferai remarquer la promptitude de la marche de cette affection; promptitude que l'on retrouvera encore plus grande dans l'observation suivante et dont Vidal (de Cassis) rapporte encore un exemple, à la page 190 du tome II de son Traité de pathologie interne.

N'oublions pas que, pour avoir fait la nécropsie du petit Ferry, je fus pris, deux jours après, d'une fièvre typhoïde grave (forme adynamique), de trèslongue durée et compliquée d'une angéioleucite de la jambe et de la cuisse gauches; maladie qui aurait été très-probablement mortelle, si elle eût été le résultat d'une inoculation faite avec le scalpel pendant l'autopsie et qui a été heureusement modifiée par ma forte constitution et mon tempérament sanguin.

8 OBS.-Au château de Chanteheux, j'ai vu une jeune fille de 16 ans, blonde, d'une très-robuste constitution, atteinte et périr, en trente heures, d'une affection semblable à celle du petit Ferry.

Bien que le sieur Domy, cultivateur intelligent; père de cette jeune fille, m'eut affirmé qu'aucun des bestiaux de sa ferme ne fût malade dans ce moment, cependant, avec lui, j'ai visité ses chevaux, bêtes à cornes et moutons; j'ai interrogé tous les domestiques, même le vacher et le berger, et n'ai rien rencontré qui pût me rendre compte, sous le point de vue étiologique, de l'horrible maladie qui venait de causer si promptement la mort de sa jeune fille.

A cette époque, l'on ne savait point encore que la morve pût être transmise, par la contagion, à l'espèce humaine, cependant, je me rappelle fort bien que le sieur Domy, en me répondant, m'a affirmé, qu'il n'y avait pas de cheval morveux dans ses écuries. D'ailleurs, l'ensemble des symptômes démontre bien que je n'ai pas eu à traiter un cas de morve aiguë.

Cette affection, de même nature que celle du petit Ferry, ne peut donc être rapportée qu'au charbon général interne et idiopathique.

Je ferai remarquer que, médecin depuis 1856 de tous les individus qui ont habité le château de Chanteheux, je n'ai rencontré qu'un seul cachet inhérent aux maladies que j'ai soignées, dans cette ferme : c'est l'intermittence, résultat, très-probable, du voisinage de nombreuses sources et eaux stagnantes.

Nos observations 1, 2, 4 et 5 démontrent, évidemment, ainsi que l'ont dit MM. Bérard et Denonvilliers (Compendium de chirurgie) que le charbon malin, chez l'homme, peut résulter de l'action locale externe du virus charbonneux ; et les observations 6, 7 et 8 prouvent que, d'autres fois, ce charbon survient spontanément, même sans cause appréciable ou à la suite de l'introduction du virus charbonneux, soit dans les voies respiratoires, soit dans le tube digestif, comme on en trouve un exemple, rapporté par le docteur Costa, dans Annali universali di medicina, août 1851.

Dans quelques circonstances (voir nos observations 4 et 5), l'action locale du virus inoculé est presque insignifiante, parce que l'absorption du virus étant faite en majeure partie, celui-ci produit une impression générale d'où résulte un ensemble de symptômes très-graves, tandis que le point où a eu lieu l'inoculation ne présente rien de très-dangereux.

D'autres fois, par suite d'une plus forte quantité de virus ou d'un virus plus dangereux ou d'une moins grande absorption du poison inoculé, la partie contaminée est frappée de gangrène plus ou moins profonde. et étendue, et empoisonne l'économie de là des symptômes généraux, plus ou moins alarmants de typhus. (Voir la seconde et surtout la première de nos observations.)

Il peut arriver qu'à la suite du charbon général interne, caractérisé par cet ensemble de symptômes qu'on appelle fièvre charbonneuse; il peut arriver, dis-je, qu'on voie apparaître, à l'extérieur, une tumeur, plus ou moins volumineuse, luisante, d'un rouge noirâtre à son centre et dure, produisant une douleur brûlante, déchirante, arrachant des cris au patient et entraînant une prostration très-grande et même des lipothymies. (Voir la 4 observation et, principalement, la 6.) C'est là, dit-on, un exemple du conamen naturæ.

Dans d'autres circonstances, enfin, la fièvre charbonneuse, dont la cause

première peut être inconnue, est suivie, non plus d'une tumeur caractéristique, nommée vulgairement anthrax malin; mais de plaques gangrénées, plus ou moins nombreuses et étendues, signe fatal de mort très-prochaine, ainsi que le prouvent nos 7 et 8e observations, les seules de ce genre que la science possède, à ma connaissance.

Arrêtons-nous ici, sur un fait clinique assez important.

(La fin au prochain No.)

DE LA FIÈVRE TYPHoïde et de son tRAITEMENT ; par M. le docteur Auguste Millet, membre correspondant à Tours. (Suite. Voir notre tome XXX, p. 573.)

CHAPITRE X.

PRONOSTIC.

M. de Larroque a publié dans le Journal des Connaissances médico-chirurgicales, un article très-remarquable sur le pronostic de la fièvre typhoïde; nous lui ferons quelques emprunts, car il n'y a jamais eu rien de si complet sur cet important et intéressant sujet. A chaque pas, à chaque observation, se dénote le judicieux et habile praticien.

Dans la fièvre typhoïde, quelles que soient sa forme, sa bénignité ou son intensité, le médecin doit être constamment très-réservé, très-circonspect relativement au pronostic; car si, d'un côté, des caractères fâcheux et précurseurs d'une terminaison fatale peuvent succéder brusquement à des caractères de bon augure, de l'autre, les phénomènes morbides les plus graves, les plus formidables peuvent céder sous l'influence d'une médication sagement formulée.

Rien de plus grave que la fièvre typhoïde, quand elle tient à une cause morale profonde, attendu que rarement on parvient à détruire cette cause. Le médecin peut prédire, presque à coup sûr, la mort dans un temps plus ou moins éloigné, si cette disposition fâcheuse de l'intellect se maintient. Il y a quelques jours une jeune fille atteinte d'une fièvre typhoïde, et à laquelle je donnais des soins, a succombé au chagrin que lui avait fait éprouver une fâcheuse nouvelle qu'on n'avait pu lui cacher dans les premiers jours de sa maladie.

La dothinentérie occasionnée par des émanations putrides, prend généralement un mauvais caractère, et l'on doit mal augurer d'elle.

Signes tirés de l'intensité.- Suivant M. de Larroque, on doit d'autant moins appréhender les suites funestes de la dothinentérie qu'elle est plus simple et peu intense. Il est par conséquent bien manifeste qu'on se trouve dans une situation absolument inverse quand l'état pyrétique se présente avec un appareil de symptômes formidables, et que cet état coïncide avec une ou plusieurs autres affections morbides.

Signes tirés de l'âge.

Si les enfants à la mamelle sont atteints par la fièvre typhoïde, ce qui a lieu quelquefois, la mort est la règle, et la guérison l'exception.

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