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de cinquante ans; & à compter depuis l'an 716. qu'il échappa de fa prifon près de deux ans après la mort de fon pere, il regna en Auftrafie pendant vingt-fix ans, & vingt-cinq ans dans tout l'Empire François ; c'eft-à-dire, depuis la bataille de Vinci auprès de Cambrai, où il défit Chilperic & Rainfroy Maire du Palais de Neuftrie. Il mourut en fa maifon de plai*Garifiaco. fance de Quierfi* fur l'Oife, d'où fon corps fut tranfporté à S. Denis.

Caractere de

tel.

En repaffant fur la vie de ce Heros, Charles-Mar- on n'en trouvera guere, qui lui foient comparables. Mis en prifon incontinent après la mort de fon pere, défait dans la premiere bataille qu'il donna après avoir recouvert fa liberté, il fe foûtint contre fa mauvaise fortune, & fe mit dans la fuite fi fort au-deffus, qu'il ne fut jamais battu, & qu'il pouvoit au contraire compter plus de victoires remportées & de batailles gagnées, que d'années d'un fort long gouvernement. Il en eftoit redevable à fa conduite & à fon activité, à sa prévoyance, à fon intrepidité & à fon habileté dans le meftier de la guerre, où il excella, fuppléant fouvent par là dans les occafions les plus importantes, au petit nombre & à l'inégalité de fes forces. Ayant trouvé l'Empire François trèsdiminué par les revoltes des Nations, qui lui eftoient autrefois foùmises endeçà & au-delà du Rhin, du cofté des Alpes & des Pyrenées, il les foumit de nouveau, & réduifit à fon obéïffance prefque tout le Languedoc, qui n'avoit jamais efté François.

Il accoûtuma les François, nonfeulement à cette puiffance abfoluë qu'il s'eftoit acquife fur eux, mais encore à fe paffer de Roy, & même d'un phantôme de Roy, qui leur avoient jufqu'alors fervi au moins à se flatter, qu'ils n'eftoient foumis qu'aux Defcendans de Clovis; & il arriva là

fans meurtres, fans affaffinats, fans exils, du moins l'Hiftoire ne lui reproche rien de femblable. Dans une efpece de Lettre circulaire qu'il écrivit aux Ducs, aux Comtes, & aux autres Commandans ou Juges du Royaume, en faveur de l'Evêque Boniface Miffionnaire Apoftolique dans la Germanie, il ne prend que la qualité deMaire duPalais avec celle de Vir illuftris, d'homme illuftre, que nos Rois de la premiere lignée joignoient ordinairement dans les Actes publics au nom de Roy. Il fouffroit que les Princes eftrangers lui donnaffent la qualité de Lieutenant du Royaume, Subregulus. Les Hiftoriens l'appellent tantoft du nom de Duc des François, tantoft de celui de Prince des François, de Conful des François, de Patrice. Son Epitaphe lui donne la qualité de Roy: mais il ne prit jamais ce dernier Titre. Il paroift conftant, que pendant l'Interregne, qui dura depuis la mort du Roy Thieri jufqu'à la fienne & au-delà, certains Actes publics, qui felon la coûtume des François fe dattoient de l'année du regne des Rois regnans, ne prenoient point leur datte de l'année de fon' Gouvernement. On a une Chartre de Robert Comte d'Hefbay du feptiéme Avril,& une autre de Charles-Martel lui-même du dix-fept Septembre, par laquelle il donne Clichi à S. Denis, dont la datte eft la cinquiéme année d'après le trépas du Roi Thieri. Et c'eft par Gall. p. 160. ces fortes de Chartres que l'on prouve cet Interregne, que le Pere Sirmond & le Pere Petau ont découvert les premiers dans noftre Histoire.

C'eftoit une modeftie qui lui coûtoit peu, & que la politique lui faifoit juger neceffaire. Le Pape Gregoire III. écrivant à Saint Boniface, fait l'honneur à Charles-Martel, de dire qu'il a contribué par fon autorité & par fes foins à la converfion de plus

Sirmond.

Tom.L.Conc.

de cent mille ames. Un Concile tenu après fa mort témoigne, qu'il faifoit payer de groffes amendes à ceux qu'on furprenoit faifant encore quelque acte de Paganisme : mais le mefme Saint Boniface écrivant au Succeffeur de Gregoire, déplore étrangement les defordres de l'Eglife de France d'alors, où les déreglemens & le relâchement de la difcipline eftoient extrêmes. Il eft certain que fon regne ne fut favorable ni aux Evêques ni aux Moines. Dans quelques Vies de Saints de ce temps-là on voit des revelations, felon lefquelles Charles-Martel eft damné, pour avoir donné des biens des Eglifes à des gens de guerre. Ces revelations refutées par Baronius, font quelque chofe de moins folide, que la penfée de plufieurs Jurifconfultes, qui regardent cette largeffe que Charles fit aux gens de guerre, de plufieurs biens d'Eglife, comme l'origine des Dixmes infeodées tenues comme en Fief, par les Seigneurs ou autres perfonnes Laïques,& dont il fut fouvent queftion dans les Conciles des Gaules tenus fous Pepin & fous Charlemagne fucceffeurs de Charles-Martel.

Čes biens, qu'on enlevoit aux Eglifes, pour les donner aux Laïques, furent fans doute la raifon pourquoi l'on vit alors des Evêques, des Abbez, des Moines & d'autres Ecclefiaftiques aller à la guerre. Le motif de conferver les biens des Eglifes & des Monasteres coloré du zele de la Religion qu'on défendoit contre les Sarrazins & les autres Infideles, autorifa cet usage bizare, & le libertinage de ceux qui de fuivoient.Quelques enfans naturels que Charles laiffa, montrent qu'avec les vertus des Heros, il eut auffi le vice qui ne leur eft que trop ordinaire. La plufpart de ces traits, que nous trouvons très-marquez dans les aneiens Hiftoriens, nous y peignent par tout Charles-Martel comme un grand

homme, comme un grand Prince, comme un grand guerrier, comme un grand politique: mais nous y en trouvons peu, qui nous le reprefentent comme un Prince fort Chrétien, excepté la protection qu'il donnoit aux Miffionnaires qui prêchoient l'Evangile aux Nations Payennes dépendantes de l'Empire François.

Cette mort devoit naturellement caufer un grand changement dans les affaires de France, & elle l'euft fait fans doute, fi pour le malheur de la Famille Royale, celle de Charles toûjours feconde en grands Hommes, ne lui euft fubftitué des Succeffeurs d'un très-grand merite, & fur tout un Cadet auffi brave, aussi sage, aussi heureux, & encore plus entreprenant que lui. Celui-ci mit la derniere main au grand ouvrage que fes Anceftres avoient commencé, & que fon pere avoit fi fort avancé, qui eftoit de faire paffer dans leur Maison la Couronne & le nom de Roy, après en avoir depuis long-temps envahi la puiffance. Ce fils fut Pepin, depuis furnommé le Bref comme fon ayeul à caufe de fa petite taille; on l'appella auffi Pepin le Jeune, pour le diftinguer des deux autres de mefme nom fes prédeceffeurs : mais il n'en vint pas là d'abord & tout d'un coup. Ses grandes actions, & les conjonctures heureufes dont il fçuft habilement fe fervir, furent les degrez, par lefquels il monta infenfiblement fur un Trône, où fa naiflance ne lui donnoit aucun droit, mais dont fes grandes qualitez le firent paroiftre digne quand il eut eû la hardieffe de s'y affeoir.

Charles-Martel frappé de la maladie dont il mourut, qui fut longue, & qu'il jugea mortelle, penfa à partager entre fes enfans, l'Etat qu'il avoit fi glorieufement gouverné, & qui joüiffoit alors d'une paix profonde. Il convoqua à Verberie, maifon de plaifan

Il partage l'Etat entre

Carloman Pepin fes fils. Annales Mc

tenfes, ad an..

ce proche de Compiegne, une affemblée des Seigneurs du Royaume, & leur propofa fon deffein. Soit refpect, foit crainte, foit attachement pour sa perfonne & pour fa famille, ils confa famille, ils confentirent à ce partage. Charles avoit efté marié deux fois; il avoit de fa premiere femme nommée Crotrude deux fils, Carloman & Pepin ; & de la feconde appellée Sonnechilde niece d'Odilon Duc de Baviere, il en avoit un troifiéme nommé Grippon ou Grifon. Outre cela il avoit trois fils naturels, Remi, Jerôme & Bernard.Ceuxci n'eurent aucune part dans le partage de l'Etat. Remi le plus âgé fut Evêque de Rouen. Il donna à Carloman l'aîné des legitimes, l'Auftrafie & la France Germanique avec toutes les Nations qui en dépendoient; & à Pepin la Neuftrie, la Bourgogne & la Provence, pour les gouverner en qualité de Ducs ou de Maires du Palais. Grippon fils deSonnechilde fut exclus de la fucceffion dans ce partage. Il eft difficile d'en deviner la raifon. Quelques-uns l'ont fait paffer pour bâtard, & traité fa mere de concubine; mais Eginard le compte au nombre des fils legitimes de Charles, & la qualité de fa mere Sonnechilde, qui eftoit de la famille des Ducs de Baviere, confirme cette opinion.

Il y avoit une femme de ce nom qui eftoit de la conjuration contre Charles, dont je n'ay dit qu'un mot en paffant, parce que les anciens Monumens ne nous en difent pas davantage. Cette femme eftoit à la tefte de la conjuration avec un Comte de Paris, & eft même nommée devant lui; ce qui ne peut guere convenir qu'à une perfonne de ce rang, & je croy que c'eftoit elle-même. La haine de Sonnechilde contre les enfans du premier lit, que Charles aimoit & confideroit beaucoup pour leur grand merite, & le defir qu'elle avoit que fon fils leur

fut preferé, fuffifoient pour allumer la paffion d'une femme auffi intriguante & auffi entreprenante que celfe-là, & il n'en falloit pas davantage pour l'engager à une conjuration contre fon mari. Les chofes s'eftoient accommodées, elle obtint fon pardon; mais fon fils, dont l'élevation avoit efté le motif de fa revolte, en porta la peine, & fut exclus de la fucceffion. C'eft la plus folide conjecture qu'on puifle faire fur ce fujet; mais Sonnechilde n'en demeura pas là.

Chronic.

cap. 110.

ad an. 741.

Charles incontinent après les par- Fredeg tages faits, envoya Pepin en Bourgogne à la tefte d'une Armée, pour en prendre poffeffion, & foumettre quelques rebelles, à qui la difpofition qu'il avoit faite de l'Etat ne plaifoit pas. Pendant cette expedition de Pepin où Childebrand fon oncle l'accom- Annales. pagna, Sonnechilde agit fi efficace- Merentes, ment par elle-même & par fes partifans auprès de Charles, qu'il fit un démembrement de quelques Villes & de quelques Territoires de l'Auftrafie, de la Neuftrie & de la Bourgogne, qu'il donna à Grippon. Ces Pais qu'il lui affigna, eftoient au milieu de la France, afin de l'empêcher lui & fa mere Sonnechilde, de s'appuyer des forces des Princes étrangers pour brouiller dans l'Etat : mais cette précaution fut inutile, & ce changement fut dans la fuite caufe de plufieurs guerres.

Charles n'eut pas pluftoft expiré, Ibid. que les Grands du Royaume animez par Carloman & Pepin, fe declarerent hautement contre la donation faite à Grippon par les intrigues, difoientils, d'une femme méchante & inquiete, contre la premiere difpofition qui avoit efté agréée de tous les membres de l'Affemblée de Verberie. Carloman & Pepin fe mettent auffi - toft à leur tefte, & marchent vers les Places dont Grippon s'eftoit emparé.

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Celui-ci furpris de ce foulevement imprévû, & n'ayant pas de quoi tenir la Campagne, fe jetta dans la Ville de Laon avec fa mere. Carloman &

Pepin vinrent les y affieger, & prefferent le Siege fi vivement, qu'ils furent contraints de fe rendre à difcretion la vie fauve. Carloman envoya Grippon prifonnier dans un Chafteau des Ardennes nommé encore aujourd'hui Neufchâtel,&fit renfermerSonnechilde dans le Monaftere de Chelles. Les Allemans, les Bavarois, les Soulewement Gafcons, felon leur coûtume de fe revolter aux changemens de Gouvernement, ne manquerent pas de le faire en cette occafion. Les Gafcons commencerent fous la conduite de Hunalde Duc d'Aquitaine, malgré le ferment qu'il avoit fait à Charles de lui eftre foumis & fidelle auffi - bien qu'à fes enfans.

dans le Royaume. Ibid.

AR. 742.

Fredegar. cap. 100.

Carloman & Pepin, qui avoient bien prévû tous fes mouvemens, avoient d'abord regardé comme le principe de leur confervation, de vivre en bonne intelligence, & d'agir toûjours de concert. Ils ne s'en écarContinuat. terent en effet jamais. Ils pafferent enfemble la Loire à Orleans, défirent les Milices du Berri, les pourfuivirent jufqu'à Bourges, dont ils brûlerent les Fauxbourgs, ravagerent tout le païs d'alentour; & comme le Duc Hunalde battoit toûjours en retraite devant eux, ils prirent d'affaut Loches, alors Ville très forte, où ils accorderent la vie à ceux qui la défendoient; mais ils les firent efclaves, & razerent la Place.

Pendant cette expedition même, s'eftant arrestez en un lieu appellé Vieux-Poitiers, entre la Vienne & le Clain,affez près de Chaftelleraut,il reglerent une affaire de la derniere importance.Nonobftant le partage que Charles-Martel avoit fait entre eux, ils avoient jufqu'alors gouverné l'E

tat en commun. Ils convinrent de ce ginard. qui leur appartenoit, déterminerent Anal les limites de leurs Etats, pour ne laiffer aucunes femences de guerre & de divifion; & fur la fin de l'Efté, ayant obligé le Duc d'Aquitaine à fe foumettre aux anciens Hommages qu'il devoit à la France, ils repafferent la Loire. Carloman fans s'arrêter, marcha avec fes Troupes au-delà du Rhin, & les Allemans le voyant arrivé fur le Danube, demanderent auffi quartier, donnerent des ôtages, & lui jurerent obéïffance, comme ils avoient fait à Charles fon pere.

An. 742.

Fin de l'I

Vers l'an

743

Après ces expeditions militaires, les deux Ducs des François s'appli- terregne, querent pendant l'Hiver fuivant au Reglement du dedans de l'Etat. Pepin, foit de lui-même par politique, foit à l'inftance des Seigneurs François, qui avoient encore de l'attachement pour la Famille Royale, mit fin à l'Interregne, qui avoit duré depuis la mort de Thieri III. & éleva fur le Thrône Childeric, qui fut le troifiéme du nom, à compter depuis le pere de Clovis, & fecond du nom depuis l'établissement de la Monarchie dans les Gaules. Les uns le font fils de Thieri II. les autres de Chilperic II. les autres de ce Clotaire que Charles-Martel fit Roy d'Auftrafie. Il eft certain qu'il eftoit de la Famille Royale; mais c'eft tout ce qu'on en peut fçavoir bien affurément. Cette exaltation fit fi peu de changement & de bruit dans l'Etat, que les Hiftoriens contemporains & voifins de ce temps-là l'ont oubliée dans leurs Hiftoires, & fans quelques anciennes Chartres qui concernent les Abbayes de l'Ordre de S. Benoift, & les Prefaces ou Infcriptions de quelques Conciles des Gaules, qui font mention des années du regne de ce Prince, on auroit ignoré qu'il eust jamais esté au monde.

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