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portante, fçavoir fi l'Empire François, dès qu'il fut établi dans les Gaules, fut un Etat hereditaire, & non électif. Je montrerai qu'il fut hereditaire & non électif fous la premiere Race; qu'il y euft du changement à cet égard fous la feconde; mais qu'il redevint hereditaire fous la troifiéme, & que par confequent ce droit de fucceffion, dont les defcendans de Hugues Capet jouiffent depuis près de huit fiecles, eft auffi ancien que l'établissement de la Monarchie dans les Gaules.

ARTICLE PREMIER.

Fondateur de la Monarchie Françoife dans les Gaules.

Pour entrer d'abord en matiere, j'appelle Fondateur de la Monarchie Françoise dans les Gaules, celui de nos Rois qui s'y eft fait un Etat, qui n'en a point efté chaffé par les Romains; mais qui s'y eft maintenu en poffeffion de fes conqueftes, & les a laiffées comme un heritage à fa pofterité. Peu de nos Historiens ont attribué cette gloire à Pharamond. Nul de ceux qui ont écrit quelques fiecles après Gregoire de Tours & Frédégaire, n'hésite à en faire honneur à Clodion fon fucceffeur. Tous parlent enfuite de Mérovée & de Childéric, comme de deux Princes déja établis dans les Gaules, qui n'ont fait qu'étendre les limites du Royaume de France; & nos Modernes les ont fuivis aveuglément. Je crois pouvoir montrer que nul de ces Rois avant Clovis, n'eft demeuré en poffeffion d'aucune partie de ce qu'on appelle aujourd'hui le Royaume de France, & que Clovis a efté non-feulement le premier Roy Chrétien des François, mais encore le premier Roy des François dans les Gaules. C'est ce que j'efpere rendre au moins très-vraisemblable par les plus juftes regles de la Critique, à ceux qui liront fans prévention ce que je vais dire fur ce fujet.

J'établis ma propofition, premierement, fur le filence des Auteurs ou contemporains, ou prefque contemporains, touchant l'établiffement de ce nouvel Etat dans les Gaules avant Clovis. En fecond lieu, fur plufieurs témoignages de ces mêmes Auteurs, qui fuppofent manifeftement le contraire de ce qui eft devenu infenfiblement le fentiment univerfel que je prétends combattre : & enfin fur la qualité des Ecrivains, qui dans les fiecles fuivans ont publié un fait de cette importance, dont on n'avoit point parié avant eux. Ni Profper, ni?'Evêque Idace, ni Apollinaire, ni Procope, ni

Gregoire de Tours, ni Frédégaire, ni Marius de Laufane, ni aucun autre ancien n'ont fait mention d'un nouvel Etat fondé dans les Gaules par Pharamond, ou par Clodion, ou par Mérovée, ou par Childeric. Un Argument négatif de cette nature, qui confifte en une induction auffi étenduë que celle-ci, eft d'une grande force en matiere d'Histoire, quand on n'y peut oppofer que l'autorité de quelques Ecrivains qui ont écrit trois ou quatre cens ans après le temps du fait dont il s'agit, & dont la feule lecture perfuade ceux qui les lifent, qu'ils ont parlé là-deffus fans difcernement & fans nul égard à la verité. Cette derniere circonftance fe prouvera en fon lieu. Le refte de la propofition demeurera conftant, tandis qu'on ne produira rien qui le détruife; de quoi je penfe eftre für. Mais les reflexions que je vais faire fur la nature du fait dont il est question, doivent, ce me femble, faire une grande impreffion fur tout efprit libre de préjugé.

Le Mence des anciens

Auteurs

Phara

vée, Childé

Car de quoi s'agit-il ici? Il s'agit d'un Royaume qui s'étendoit depuis le Rhin jufqu'à la riviere de Somme au moins; (il y en a même qui l'étendent jufqu'à la Seine, & d'autres jufqu'à la Loire) d'un Etat gouverné fucceffivement pendant plus de foixante ans par quatre Princes qui eftoient tous des Heros, qui avoient de nom- mond, Clo breufes & de formidables Armées,qui faifoient des ficges, prenoient dion, Méro des Villes confiderables, gagnoient des batailles, qui eftoient la ric. terreur des Romains, à qui ils avoient enlevé tout ce grand Païs. Or qu'un démembrement de l'Empire, tel que celui-là, ne foit point marqué dans l'Hiftoire de l'Empire, où tant d'autres, & de beaucoup moins confiderables le font en cent endroits : que les Auteurs de diverfes Nations, qui ont fait l'Hiftoire ou les Chroniques de ces foixante ans, n'ayent jamais parlé de ce nouvel Etat naissant ou fe fortifiant au milieu des Terres de l'Empire, cela eft hors du vrai-femblable.

D'abord que les Vifigots fe font fixez au-delà de la Loire, & les Bourguignons dans les Villes du Rhône & de la Saone, tous les Ecrivains contemporains tant Romains que Gaulois font en mille rencontres mention du Royaume des Vifigots, & du Royaume de Bourgogne dans les Gaules: on n'oublie pas celui des Suéves dans un coin de l'Efpagne; & il n'eft parlé nulle part de celui des François en deçà du Rhin jufqu'au temps de Clovis. On raconte en plufieurs endroits leurs courfes dans les Gaules; mais on ne dit rien de leur établiffement avant le Regne de ce Prince. Peut-on faire cette reflexion fans fe convaincre que cet Etat dont on ne parloi

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Argument airé de la Chronique de Profper,

point, n'eftoit point encore? & que s'il euft efté fous des Rois du caractere dont on nous dépeint Clodion, Mérovée & Childeric, affurément il en euft efté fouvent fait mention pendant l'espace de plus de cinquante ans qu'il auroit duré fous leur gouvernement.

Si-toft que Clovis eft entré dans les Gaules, on le voit allié par des mariages, par des Traitez de ligue, tantoft avec les Bourguignons, tantoft avec les Gots: ces Traitez font marquez dans les Hiftoires de ces Nations, dans les Ecrivains de l'Empire, & dans les Ecrivains Gaulois; & on n'y en verra pas un feul fait avec Pharamond, avec Clodion, avec Mérovée, avec Childéric : que cela veut-il dire ?

Le fameux Sidoine Apollinaire dans une infinité de Lettres & de Pieces de Vers que nous avons de lui, touche tous les plus confiderables évenemens de fon temps: il y parle des affaires & des Guerres des Gots & des Bourguignons établis dès-lors dans les Gaules, de leurs Rois, de leurs combats: il nous marque les excurfions que les François faifoient de temps en temps en paffant le Rhin, les reprefailles des Romains fur eux au-delà de cette riviere, & il ne nous dit pas un feul mot de ce prétendu Royaume, qui eftoit déja fi étendu, & fi floriffant, fi nous en croyons nos Historiens des fiecles fuivans. Ce brave Mérovée qui affiegea & prit Paris, & fit tant d'autres conqueftes, qui fut l'amour & l'admiration de fes peuples, a efté le feul fur lequel Apollinaire n'ait pas daigné faire un vers, ni dire une feule parole. Nul Capitaine Romain ou Gaulois ne s'eft fignalé, ou en le battant, ou du moins en lui refiftant & n'a donné à ce Poëte qui écrivoit fur toutes fortes de fujets & à toutes les Perfonnes diftinguées de fon temps, nulle occafion de faire la moindre allufion aux victoires, ni aux déroutes de ce Prince, ni à ce nouvel Etat placé dans une des plus belles parties des Gaules. Mais allons par degrez, & de cet argument negatif que je viens de déduire, paffons à un autre qui a quelque chofe de plus.

Profper nous marque dans fa Cronique le Païs où Pharamond, Clodion & Mérovée regnerent, & il le marque d'une maniere à lever tout fcrupule à quiconque ne veut pas chicaner dans une matiere telle qu'eft celle que nous traitons. La vingt-fixième année d'Honorius, dit-il, Pharamond regne dans la France; Pharamondus regnat in Francia.

La cinquième année du jeune Theodofe, Clodion regne dans la France; Clodius regnat in Francia.

La vingt-cinquième année du même Empereur, Mérovée regne

dans la France; Meroveus regnat in Franciâ.

Pour peu qu'on ait d'ufage des Auteurs Latins qui ont écrit depuis que les François ont efté connus des Romains, on fçait que le nom de Francia ne fe donnoit pas au Païs qui le porte aujourd'hui, mais à celui que les François habitoient le long des bords du Rhin de l'autre colté de ce fleuve. Il n'eft pas befoin de raifonner pour le prouver, & on le peut voir à l'œil dans ce qu'on appelle les Tables Peutingeriennes imprimées à Aufbourg, au commencement du fiecle précedent, par les foins du fçavant Monfieur Velfer. Ce font des efpeces de Cartes Geographiques, où les chemins d'une Ville ou d'une Colonie à une autre, font marquez depuis noftre Ocean, jufqu'aux Indes. Elles ont efté faites, felon quelques-uns, dès le temps d'Ammien Marcellin, c'est-à-dire, fous l'Empire de Conftance, ou de Valens; & felon d'autres, du temps de Theodofe le jeune. On voit dans ces Cartes le bord du Rhin au-delà depuis fon embouchure en remontant, infcrit de ce nom, Francia. Of je demande, fi, fuppofé que Pharamond, Clodion ou Mérovée le fuffent fait un Royaume dans les Gaules, où leur Capitale eust esté ou Cambray, ou Amiens, fi, dis-je, Profper n'en cuft pas parlé autrement, s'il n'euft pas pluftoft marqué qu'ils regnoient dans cette partie des Gaules, où leurs Succeffeurs ont regné depuis, & où eux-mêmes avoient, felon les Hiftoires des anciens Moines, choifi le siege de leur Empire, méprifant les Bourgades pali ffadées de leur France, en comparaifon des Villes murées & fortifiées, dont ils s'étoient faifis dans les Gaules. Je ne fçai fi je me flâte; mais cette preuve me paroift bien forte.

Mais examinons ce que les anciens Auteurs ont écrit en particulier de ces premiers Rois des François, & fur tout de Clodion, de Mérovée & de Childéric. Car pour ce qui eft de Pharamond, il y en a très-peu, ainfi que je l'ai dit, qui lui faffent honneur de la fondation de la Monarchie dans les Gaules. Je vais d'abord me propofer en matiere d'objection, ce qui fe dit là-deffus en faveur de Clodion; & on jugera fi mes réponses ne font pas de nouvelles preuves de mon fentiment.

Argumens pofitits.

Voici donc l'objection que l'on peut faire. Le Roy Clodion, felon Gregoire de Tours qui l'appelle Clogion, s'empara de Cambray ..c.9. & du Païs d'alentour, jufqu'à la riviere de Somme. Clogio autem miffis exploratoribus ad Urbem Cameracum, perluftrata omnia ipfe fecutus, Romanos proterit, civitatem apprehendit, in quâ paucum tempus refidens ufque Suminam fluvium occupavit. J'ajoûte pour fortifier cette

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objection, que plufieurs Auteurs contemporains font mention
auffi-bien que Gregoire de Tours, de cette expedition; & entr'au-
tres l'Evêque d'Auvergne Apollinaire, dans le Panegyrique de
l'Empereur Majorien, auquel il parle de la forte.

Pugnaftis pariter; Francus qua Cloio patentes
Atrebatum campos pervaserat.

Profper*, Caffiodore, l'Evêque Idace *, s'accordent fur ce point avec Gregoire de Tours & Apollinaire. Mais tous ajoûtent ce que Gregoire de Tours n'a pas ajoûté, qu'Aëtius General de l'Armée Romaine, fous lequel Majorien fervoit alors, défit Clodion, & reprit fur lui tout ce qu'il avoit enlevé à l'Empire Romain en deçà du Rhin. Pars Galliarum, dit Profper, propinqua Rheno quam Franci poffidendam occupaverant, Aëtii Comitis armis recepta. Caffiodore en dit autant dans fa Chronique.

Aëtius remporta cette Victoire fous le Confulat de Felix & de Taurus, c'est-à-dire, l'an de Nôtre-Seigneur 428. & le premier du regne de Clodion. De forte que ce Prince commença fon regne par cette conquefte; mais à peine la garda-t-il quelques mois.

L'Evêque Idace dit de plus, qu'Aëtius, après avoit défait les François, leur accorda la Paix. Superatis per detium in certamine Francis, & in pace fufceptis.

Sçavoir maintenant fi Apollinaire, Idace & Profper parlent de la même expedition ou de plufieurs differentes, cela m'importe peu ;. puifque, quelque parti que l'on prenne fur ce point de Critique, on voit toûjours Clodion battu, chaffe, demandant la Paix..

Surquoi donc prétend-t-on que Clodion fe fit un Etat dans les Gaules. L'unique fondement de tous nos Hiftoriens François a esté ce qu'en a dit Gregoire de Tours, que ce Roy s'eftoit rendu maistre de Cambray & des Païs d'alentour. Il ne dit pas qu'il y foit demeuré; & les Auteurs contemporains difent expreffément qu'il en a efté chaffé. Sur cela feul cependant, Adon plus de quatre cens ans après Profper, & près de trois cens ans après Gregoire de Tours, fait Cambray la Capitale du Royaume de Clodion. Le Moine Roricon, que la feule lecture de fon Hiftoire pleine de fables & de chimeres, & fon ftyle même doivent faire regarder comme un homme tout à fait frivole, a jugé à propos de lui faire tenir sa Cour à Amiens. Mais Marianus Scotus Moine de l'Abbaye de Fulde en Allemagne, parlant de Clodion plus de fix fiecles après fa mort,

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