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avec le Lecteur ne conviennent point à la majesté de l'Hiftoire.

a

Les transitions ne doivent point eftre fi marquées, si ce n'eft qu'elles ne foient en même temps relevées par quelque réfléxion judicieuse fur ce que l'on à dit, & fur ce que l'on va dire; il ne faut pas même affecter d'en mettre par tout; & il fied bien quelquefois après avoir terminé la narration d'un fait, de paffer fimplement à la narration d'un autre fait;car la varieté de la narration demande qu'on ne parle pas toûjours fur le même ton,& un ftile trop gêné, gêne le Lecteur même. L'effet des tranfitions, quand elles font juftes & naturelles, eft de le conduire aifément d'un lieu à un autre d'intrigue en intrigue, d'évenement en évenement; de l'engager à fuivre fans le fatiguer, & d'enchaîner tellement les chofes, qu'après avoir efte fatisfait fur l'une,il veuille de luimême paffer à l'autre.

On met le Lecteur dans cette difpofition, quand dans les transitions ou dans le corps de la narration, on jette les femences des incidens qui doivent fuivre. C'est un précepte duPoëme Epique, du Dramatique & du'Roman que cette préparation d'Episodes,& c'en eft un auffi dans la compofition de l'Hiftoire,avec cette difference qu'on a beaucoup plus de liberté dans le Poëme & dans le Roman,parce que la fiction y eft permise,au lieu qu'elle ne l'eft pas dans l'Hiftoire. Cette préparation confifte à faire entendre en general, que de l'incident qu'on raconte, ou que l'on touche, il en doit naître un autre qui embarrassera la scéne. Par là on pique la curiofité du Lecteur, & on le met dans l'impatience de voir développer à ses yeux ce qu'on ne lui a fait entrevoir qu'en gros & en paffant. L'art fur ce point confifte à ne lui montrer d'abord qu'autant qu'il le faut pour cet effet, ce qu'on

lui prefentera dans la fuite plus en détail.

Pour finir ces réfléxions fur le ftile Historique, je diray encore en general, qu'il eft fi different de tous les autres stiles, qu'il n'eft jamais meilleur, que lorfqu'il est plus éloigné du ftile Oratoire,du ftile Académique, du ftile qu'on appelle Didactique; & que fi l'Hiftorien s'eft jamais exercé dans quelques-uns de ces divers ftiles, il doit eftre extrêmement en garde contre lui-même, pour n'y pas retomber en écrivant une Hiftoire.

Si l'Historien eft capable de donner toutes ces graces à fa narration, il doit encore estre en eftat de lui en donner une autre ; c'est celle du langage. Cette grace eft differente de celle du stile; car nous lifons encore avec plaifir les Commentaires de Montluc, parce que le ftile en eft leger, vif & naïf, quoique le langage en foit furanné. La pluspart des Ecrivains de noftre Hiftoire generale n'ont pas eu ce talent; & l'on voit bien que le Sieur de Mezeray n'eftoit pas encore de l'Academie Françoise, lorsqu'il compofa fon Hiftoire: car il auroit fans doute appris en une fi bonne Ecole à écrire plus purement, plus correctement & plus dans le génie de noftre Langue, qu'il n'a fait. Il eft en ce genre beaucoup au-deffous du médiocre. Son Abregé eft plus fupportable par cet endroit ; mais il l'eft moins par plufieurs autres. Tout ce que j'ai dit jufqu'à prefent regarde, pour dire, le fond de l'Hiftoire, tant pour fa matiere que pour fa forme. Il ne me reste à parler que de certains ornemens dont on a coûtume de l'embellir. Les principaux font les Harangues, les Sentences & les Portraits, c'est-à-dire les caractéres de ceux qui y paroiffent avec plus de distinction.

ainfi

Touchant les Harangues, je pense, & je ne fuis pas le premier à le penfer, qu'elles ne font pas trop bien placées dans

Livius, Thu

ferunt conciones quæ numquam ab iis

attributa,

runt.

Poet.L.I.

Scal.

ydides inter une Hiftoire. Je parle de ces Harangues dans les formes qui fe font au fujet d'une déliberation fur des affaires d'Equibus funt tat, ou par un General d'Armée à la teste de ses troupes, cognita fut pour les animer à bien combattre. Je sçai que Tite-Live & quelques autres anciens Hiftoriens en ont donné l'exemple; mais je n'en suis pas plus porté à approuver cet usage. Ma raison eft qu'il eft contraire à une qualité essentielle de l'Histoire ; je veux dire, à la verité : car certainement la pluspart de ces Harangues font feintes, & une production toute pure de l'efprit de l'Hiftorien. Ce ne font que des Profopopées, pour parler en termes de Rhétoricien & de Poëte, où l'on fait dire à celui qui y parle, ce qu'il a pû dire dans la conjoncture où il s'eft trouvé.

DeThucidide,

interpofuit,

laudare folco:

On peut donc, & même je crois que l'on doit fur le point dont je parle, ne pas fuivre l'exemple de quelques anciens Hiftoriens; parce que la raifon doit toûjours en ces fortes de matieres l'emporter fur l'autorité. Ciceron paroît avoir esté de ce sentiment en parlant des Harangues que ThucyOrationesas dide a inferées dans fon Hiftoire.* Je les eftime fort, dit-il, fed imitari, quand je le voudrois je ne pourrois pas en faire de fi belles;mais quand je le pourrois, je ne le voudrois pas. Et le Bocalini dans. fim. Cic. de fon Parnaffe dit affez plaisamment, qu'un vieillard ayant esté Bacalini Reg- rencontré lifant un Madrigal fous un Laurier avec des Lunajjog nettes, il fut jugé au Sénat de ce pays-là, que la chose eftoit scandaleufe, furquoi le vieillard fut condamné tout d'une voix, pour expier cette indécence,à lire une des Harangues de l'Hiftoire de Guichardin.

neque poffim,fi

velim, seque

vilim, fi jof

Clar.Orat.

guagli di Par

Les Sentences, les Maximes, les Epiphonémes qui renferment un grand fens, donnent fans doute du relief à une Hiftoire, pourvû qu'ils foient bien à leur place, qu'ils ne foient point trop fréquens, qu'il n'y ait rien d'affecté, &

qu'ils naiffent, pour ainfi dire, fous la plume de l'Ecrivain.
Strada dans fa belle Hiftoire des Pays-Bas me paroît avoir
un peu trop fait parade de cette efpece d'ornement, jufqu'à
mettre ses Sentences & fes Epiphonémes en caracteres dif-
férens du refte du Texte, & à en faire une table féparée: il
faut que
l'Histoire enseigne; mais l'Hiftorien doit éviter de
prendre l'air & le ton de Docteur. C'est suivant cette pensée
qu'un des plus fçavans & des plus polis Ecrivains *de noftre
fiecle dans un Ouvrage compofe durant sa jeunesse, dit au
fujet d'Achillés-Tatius Auteur du Roman de Clitophon &
de Leufippé » que cet Auteur ne fçavoit pas que les Sen-
» tences font un grand ornement de l'Hiftoire, pourvû
qu'elles n'y foient pas propofées fentencieusement; qu'au-
» trement elles deviennent des leçons magiftrales, qui rebu-
» tent l'efprit du Lecteur.

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Auffi,quand je dis que les Sentences ne doivent point eftre trop fréquentes dans une Hiftoire, je parle des Sentences expreffes & marquées. Le ftile de l'Hiftoire doit estre grave & plein de fuc,& par conféquent fentencieux:mais il le doit eftre en fon efpece, à la maniere de celui de Ciceron dans tous les genres d'écrire où ce grand efprit s'eft exercé. Tout y eft plein de Sentences, fans qu'on les apperçoive,tant elles font naturelles & naturellement placées:elles n'y font point l'ornement du Difcours; mais, fij'ofe m'exprimer ainfi,elles en font comme le corps & la fubftance.

* M.Hues dans l'origine des Romans

Le ftile de Tite-Live eft encore de ce caractere. On y trouve peu de Sentences & de Maximes avec le tour qui les fait paroître telles: mais dans le fond, il en eft fi rempli, qu'on en a fait de nos temps un jufte Volume avec ce titre : Tite- Curandum eft Liveréduit en Maximes. C'eft fuivant cette idée que Petrone eminent adit avec beaucoup de délicateffe, que les Sentences dans un

Tome I.

K

ne Sententia

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tra corpus Orationis pre en fed in

texto veftibus

Petronii Sa

colore niteant. Ouvrage ne doivent point, pour ainfi dire, avoir l'air de broderie, mais qu'il faut les y déguifer de telle forte, qu'elles donnent de la couleur & du relief au Difcours, fans en avoir elles-mêmes.

Lyricon,

Tome VIP. des Quvres

Enfin, quant à ce qui regarde ce qu'on appelle les Portraits,il eft certain qu'un Hiftorien ne doit pas manquer de bien caracteriser les perfonnes qui ont le plus de part dans fon Hiftoire:je dis ceux qui y ont le plus de part; car pour les autres, comme on ne prend guéres d'intereft à ce qui les touche, il feroit non-seusement inutile, mais même contre les regles d'interrompre la narration pour les peindre. Il en eft de l'Hiftoire comme de la Scéne, toute l'attention eft pour les principaux Acteurs.

Il faut que les Portraits foient enchâffez dans l'Hiftoire propos, & d'une maniere naturelle: autrement ils paroiffent poftiches & hors d'œuvre ; car on peut dire qu'ils font plûtôt une partie qu'un embelliffement de l'Hiftoire. On doit fe donner de garde de les faire tous, pour ainfi dire,fur le même moule : il faut en varier le tour & les traits; & fur tout faire enforte que ces traits, quand on les raffemble,s'accordent avec l'idée qu'on s'eft formée des personnages qu'ils reprefentent, en lifant la fuite de l'Hiftoire.

M. de Saint Evremont fait fur cette matiére une réflé

mafiées. xion, fur laquelle j'en ferai une autre.

Entre les avantages qu'il attribuë aux anciens Hiftoriens pardessus les nôtres, il dit » qu'ils ont plus de délicatesse dans l'expreffion des Portraits de ceux dont ils parlent, & une maniere qui les caractérise davantage, ne fe contentant pas de marquer les vertus & les vices, mais même ex❤ primant la manicre & la difference du même vice, ou de la même vertu qui fe rencontre dans plufieurs.

Ensuite réduisant lui-même en pratique cette idée dans

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