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ftoire. La difpofition de tant de faits qui fe croifent de la forte,eft difficile, fur tout quand on eft obligé d'en couper quelques-uns, pour ne pas laiffer trop loin les autres; & il faut principalement obferver, quand on reprend ceux qu'on a commencez sans les finir,de rappeller en general dans une transition l'idée de ce qu'on en a déja dit, pour remettre le Lecteur fur les voyes, & lui faire reprendre fans peine le fil de la narration qu'on a esté contraint d'interrompre.

Après tout on ne peut donner fur ce point une regle & une méthode generale.Il faut avoir toûjours en vûë la clarté de l'Hiftoire & la fatisfaction du Lecteur,fe mettre,comme je l'ai déja dit, à fa place,en compofant; & juger par là ce qu'il faut dire en tel endroit, & ce qu'il faut dire en un au

tre.

Ut jam nunc dicat, jam nunc debentia dici.

C'est beaucoup que d'avoir le talent de donner à sa matiere cet arrangement qui raffemble une fi grande multitude de differens objets avec ordre, & met chacun dans la place qui lui convient; mais ce n'eft pas affez de les bien ranger, il faut les orner. L'ordonnance d'un Tableau peut estre fort belle, & le coloris mauvais, les figures eftropiées ou mal proportionnées, & ne presenter aux yeux rien que de sec ou de monftrueux; c'eft ce qui arrivera à tout Ecrivain dans une Histoire, s'il n'a pas de stile, ou s'il ne sçait pas prendre celui qui eft propre de ce genre d'Ouvrage.

On peut dire de prefque tous les Hiftoriens qui ont écrit. noftre Hiftoire generale en François, & on le peut dire fans leur faire injustice, qu'ils ne font rien moins qu'estimables par cet endroit. Tout homme qui aura un peu de goût, ne lira pas deux pages de fuite de leurs Ouvrages, qu'il ne re

Tome I.

marque ce défaut. Le meilleur moyen pour s'en convaincre eft de faire la comparaifon de leur maniere d'écrire avec celle que l'on voit dans diverses Histoires particulieres, qui ont efté écrites depuis trente ou quarante années, où le discours marche,pour ainfi dire, tout d'un autre pas, que celui des Ecrivains dont je parle: ce qui vient d'un certain tour, d'un certain affortiment de chofes, de penfées, d'expreffions, de réfléxions, de tranfitions, qui font ce je ne fçai quoi, qu'on appelle ftile, dont il eft autant difficile d'expliquer les perfections ou les vices, qu'il eft aifé de les fentir à ceux qui font capables de ce fentiment.

Le ftile de l'Hiftoire doit eftre noble, mais fimple & naturel. C'est dans ce stile que César aécrit ses beaux Commentaires. Il doit estre encore vif, net & précis. Si Mezeray avoit eu l'idée de la noblesse & de la dignité qui convient à l'Histoire, il auroit retranché de la fienne bien des quolibets, des proverbes, de mauvaises plaifanteries, quantité d'expreffions baffes & du ftile familier.

La fimplicité exclut les Figures & les Amplifications de Rhétorique, les Métaphores & les Comparaisons trop fréquentes. Rien n'eft plus ennuyant qu'un Hiftorien qui écrit en Orateur. L'Hiftoire a fon éloquence particuliere, bien differente de celle de la Chaire & du Barreau : elle confifte à bien caractériser fes perfonnages, à bien reprefenter les actions,à bien peindre les mœurs & les paffions, non pas par des discours, mais par les chofes mêmes qui en font les effets, & tout au plus par des réfléxions courtes & vives qui naiffent du fond du fujet, & qui ne doivent pas estre trop fréquentes.

La précision auffibien que la fimplicité de l'Hiftoire n'admet gueres les lieux communs, quoique plusieurs His

toriens semblent s'eftre fait une loy de commencer chaque livre, & quelquefois chaque chapitre de leur Hiftoire par quelque femblable trait. Rien n'impatiente plus un Lecteur que ces préambules qu'il ne cherche point, & qu'il n'attend point. Il faut qu'ils foient beaux & courts, pour ne point produire cet effet; mais il est certain qu'ils doivent eftre ra

res.

Les Exordes en matiere d'Hiftoire, encore plus qu'en matiere de Difcours Académiques, ne doivent point eftre tirez de loin. Un plan court & net de la fcéne qu'on va ouvrir, fi elle a quelque chofe de grand, communément eft le meilleur & le plus beau début qu'on puiffe faire. Au défaut de cela une réflexion judicieufe & folide fur ce qui a déja efté dit par rapport à ce que l'on va dire qui tienne lieu d'une pure tranfition,fuffit pour commencer le Livre ou le Regne fuivant, fouvent même la continuation toute fimple de la narration n'a pas mauvaise grace. Le fujet dont on a l'efprit rempli fournit de lui-même mille differentes maniéres : il faut pour varier, user tantôt des unes, & tantôt des autres.

Si oratio per

fimplicis,

in

co

loris, perderet

fidem Fab.

Quint. L.9 c

Non dicere or

in quan veritatis f

fimplex ratio

rat. Cic. L. L de Orat,

Le stile doit estre naturel, c'est-à-dire fans nulle affecta- derer gratiam tion. L'art & l'efprit doivent regner dans tout l'ouvrage; mais fans se montrer, pour ainfi dire. Une Hiftoire femée par tout d'antithéses & de tours ingénieux ébloüit partant. de brillans. Elle plaist d'abord, & fatigue dans la fuite. Nous voulons qu'on nous entretienne dans un livre comme dans une conversation, c'est - à - dire, d'une maniere naturelle. On prend plaifir à entendre un homme qui raconte bien; & ce bien confiste dans cette maniere naturelle. Il deviendroit infupportable, fi fon discours marchoit toûjours en cadence. En un mot, ce n'est point ainsi qu'ont écrit Céfar & Tite-Live. Virgile

qu'on peut regarder comme le plus excellent modéle de la narration, n'a pas crû, tout Poëte qu'il eftoit, qu'il lui fût permis de faire dans fon Enéïde cette grande & continuelle dépense d'efprit, & le bon fens l'a moderé dans ce point comme dans tous les autres. Ces traits vifs ont un bon effet, quand on ne les entaffe pas les uns fur les autres. Ils animent une narration,ils donnent la pointe à une réfléxion mise à propos, ils relévent un caractére & la peinture qu'on fait d'un perfonnage. En cela, comme en toute autre chofe,il ne faut ni du trop, ni du trop peu.

Ceux qui ont écrit de l'Art Oratoire, après avoir fait le partage du Difcours de l'Orateur en Exorde, en Narration, en Confirmation & en Peroraifon, donnent pour les principales qualitez de la Narration d'estre courte & nette; & ces qualitez conviennent auffi à la Narration dans l'Hiftoire.

La brieveté de la Narration ne confifte pas à ne lui donner que peu d'étenduë, mais à ne lui donner qu'une jufte étendue; fans cette jufte étenduë elle ne feroit pas courte, mais eftropiée.Le retranchement des digreffions,des circonCircumcift ftances ou inutiles ou peu importantes, des réfléxions trop fréquentes,des raisonnemens politiques fans beaucoup de Fab. L... fondement, une expreffion ferrée fans phrases, fans periphrafes, fans certains tours forcez que prend un Auteur qui n'est point maistre de son stile, c'est là ce qui en fait la briéveté & la précision.

expofitio rei,

ca's caret.

Nihil eft in

Hifloria, pura

illuftribrevitate arlcius. Cic. in Brut.

La netteté vient encore d'une expreffion bien rangée, exempte d'équivoques, qui n'eft point interrompue par des parenthefes, ni embarraffée par des phrafes entortillées, ni par des periodes trop longues. C'est ce qui fait encore estimer la traduction de Plutarque d'Amiot. Son ficcle ne pro

fita

per

pas de fon exemple. Ceux mêmes, qui fous le Regne de Louis XIII.& de noftre temps, ont d'abord travaillé à fectionner noftre Langue, nont pas évité tous ces défauts dont je viens de parler : mais aujourd'hui le bon goût a prévalu dans ce point comme dans les autres,& non-feulement dans l'Hiftoire, mais encore dans quelque ouvrage que ce foit ; jusques dans les Livres de Philofophie & de Theologie on veut de la netteté, fous peine pour l'Auteur de n'eftre lû de perfonne.

L'art des transitions, qui font la continuité de la Narration, n'est pas le plus aifé à attraper : elles font dans un corps d'Hiftoire comme les jointures & les ligamens dans le corps humain. Des faits mis bout à bout comme des membres approchez les uns des autres fans liaison ne feroient point un tout, mais un amas informe.

Comme la transition eft pour lier ce qui précede avec ce qui fuit, elle doit avoir rapport à l'un & à l'autre. C'est, s'il m'est encore permis d'ufer de cette comparaison,comme un pont qui doit toucher aux deux rivages. La transition sera d'autant meilleure, que ce rapport fera plus naturel & moins recherché. Il y a mille manieres de paffer d'un fujet à un autre; il faut éviter celles qui font ufées & triviales ou du ftile familier : on en voit beaucoup de cette forte dans les Ecrivains de nostre Histoire generale. Celles-cy, par exemple, Ne vous travaillez donc pas à débroüiller toutes ces menuës fa&tions que les Auteurs de ces temps-là nous ont laiffées bien confufes; mais remarquez, &c.Vous ne lirez plus ci-après des cruautez fi frequentes. Mais avant que de paffer à la feconde (Race,) fi voyons un peu quel fut l'eftat de la France fous les Merovingiens. lû n'a gueres comme le Neuftrien & le Germanique Je faifoient la guerre. Ces efpeces de colloques de l'Hiftorien

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