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moins vrai que dès qu'il fe mêle d'écrire, il doit appliquer tout fon efprit à approcher le plus près qu'il lui fera poffible de cette idée de perfection.

Le moyen général de réüffir eft de fe proposer de bons modéles. Nous en avons dans l'Antiquité, & nous n'en manquons pas dans noftre fiécle, où quelques Ecrivains ont traité certains points d'Hiftoire avec beaucoup d'habileté. Parmi les anciens Hiftoriens Latins on propofe d'ordinaire Tite-Live, Jules-Cefar, Corneille-Tacite, & Salufte. Les goûts fur cela font differens. Pour moy j'avouë que je préfererois Tite-Live & Jules-Cefar aux autres. Je ne ferois pas le feul de mon fentiment, & je pourrois en apporter de bon. nes raisons, s'il s'agiffoit icy de faire le parallele de ces excellens Maistres. Mais je crois qu'il en eft de l'Histoire à peu près comme de la Peinture. Il y a plufieurs bons Peintres quoique leurs maniéres foient très-differentes les unes des autres; & il y a plusieurs bons Historiens, quoiqu'ils ne foient pas tous d'un même caractere. Un tableau expofé à la vûë du Public charme tous les Connoiffeurs. Dès-là il est certainement bon, foit qu'il approche de la maniere du Titien ou de celle de Raphaël,ou de celle du Carache.Un Hiftorien plaist, & on a peine à le quitter dès qu'on a commencé à le lire, c'est un bon Ecrivain, foit qu'il se soit moulé fur Tite-Live, ou fur Céfar,ou fur Corneille-Tacite,ou fur Salufte.

Mais comme un beau Tableau ne s'attire jamais l'approbation génerale de ceux qui se connoissent en peinture, s'il n'eft fait dans les regles de l'Art; de même une Hiftoire compofée fans regularité ne se fera jamais lire avec le même plaifir qu'elle donneroit, fi les préceptes de l'Art Historique y eftoient bien obfervez. Je fçai qu'il y a des Hiftoires esti

mées, où l'Art n'a cû presque aucune part. Telle est celle de Philippe de Comines; mais il faut remarquer que tout fon prix lui vient de la matiere & des judicieuses reflexions de l'Auteur, & qu'elle feroit encore dans un bien plus haut degré d'estime, s'il avoit pû ou voulu lui donner une forme plus reguliere.

Il y a certainement des regles pour la compofition d'une Histoire, comme il y en a pour la compofition d'une Harangue, d'une Piece de Théatre & d'un Poëme Epique. Peu de nos Historiens les ont fçeuës, ou fe font mis en peine de les obferver. C'eft fans doute une des raifons qui font qu'on en eft fi fort dégoûté; car quoique tout le monde ne fçache pas en particulier les préceptes d'un Art, la pluspart neanmoins font capables de fentir le mauvais effet que produit dans un Ouvrage, l'ignorance de ces préceptes, ou le peu de foin qu'on a eu de les fuivre.

Un des plus effentiels eft celuy qui regarde l'arrangement & la difpofition des matieres, dont la fin & l'effet eft une certaine clarté qui fe répand dans tout l'Ouvrage, & qui ne se trouve point dans nos Histoires générales de France. Il y a au contraire un certain embarras qui fatigue, & qui ne laiffe rien que de confus dans la mémoire. De là vient qu'on n'y rencontre ni le plaifir, ni l'utilité de l'Hiftoire qui confiftent, l'un à s'entretenir agréablement dans la leature des chofes paffées, & l'autre à les retenir.

C'eft en ce point capital qu'il faut tâcher d'imiter les Anciens & plufieurs Ecrivains modernes, comme d'Avila, Strada & quelques autres qui vivent encore aujourd'hui, & qu'on ne fçauroit trop lire, pour se tourner l'esprit, & se faire l'imagination à prendre cette maniere rangée d'écrire & de compofer, qui met chaque chofe en fa place, & qu'Ho

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race a exprimé il y a long-temps en ces Vers:

Ordinis hæc virtus erit & Venus, aut ego fallor,
Ut jam nunc dicat, jam nunc debentia dici;
Pleraque differat, & præfens in tempus omittat.

Cette regle regarde l'Hiftoire autant que le Poëme dont parlecet Auteur. Car il n'eft pas toûjours à propos de mettre les faits bout à bout fuivant l'ordre des temps, & cet ordre même trop fcrupuleusement observé met de la confufion dans l'Hiftoire.

Cette confufion eft fenfible dans noftre Hiftoire de la premiere & de la feconde Race, lorsque l'Empire François fe partageoit entre plufieurs Souverains. Nos Hiftoriens à l'exemple de Gregoire de Tours, ne font que paffer & repaffer du Royaume de Paris dans celui de Soiffons; de celui de Soiffons dans celui d'Auftrafie, & de là dans le Royaume de Bourgogne. Ce font comme autant d'Hiftoires différentes, qui estant ainsi mal liées les unes avec les autres, partagent & diffipent trop l'attention du Lecteur,à qui on neraconte rien qu'à bâtons rompus, & dont l'efprit fe brouille par cette multiplicité de differens objets qu'on lui prefente.

Pour remedier à cet inconvénient, il faut réfléchir fur les faits qu'on doit raconter. Il y en a de deux fortes; fçavoir, les plus importans par rapport au Prince & à l'Etat, & d'autres qui le font moins; mais qui méritent cependant de n'eftre pas oubliez. Les premiers ont ordinairement de la liaison avec ce qui s'eft paffé dans les autres Etats; & dès-là il ne faut pas féparer dans la narration ce qui regarde ces divers Etats ; mais il faut joindre ces faits, les entrelaffer les uns avec les autres; & alors par cette dépendance réciproque,

ils ont entr'eux leur place naturelle, ils vont au même but, ils compofent un même tout;c'est une même Histoire,ce ne font plus plufieurs Hiftoires coufuës ensemble; & cette ordonnance les range dans la mémoire du Lecteur d'une maniere à estre plus facilement retenus.

Pour les faits moins importans, & qui par conféquent ne demandent pas beaucoup d'étendue,c'est à l'adresse de l'Hiftorien de leur trouver place dans le corps de la narration, & de les y enchaffer comme en paffant, fans en interrompre le fil. On vient à bout par ces moyens de mettre dans l'Hiftoire une espece d'unité qui n'y eft pas moins requise que dans un Roman,dans une piece de Theatre, & dans un Poëme Epique.

Dans noftre Hiftoire de la troifiéme Race,on eft délivré de cet embarras de plufieurs Souverains, qui donnent prefque autant de peine à un Historien, pour mettre cette unité dans fon Hiftoire, que s'il faifoit celle de plufieurs Nations differentes; mais il n'eft pas pour cela exempt de toute la difficulté de l'arrangement.

Il doit toûjours le fouvenir de la différence qu'il y a entre des Annales & une Hiftoire reguliere. Dans des Annales ou dans une Chronique l'arrangement des matiéres est déterminé par la Chronologie.On y range par années ce qui s'est passé dans chaque année. On place, par exemple, dans une les difpofitions à un certain évenement; dans la fuivante, l'évenement même, & dans la troifiéme les fuites de l'évenement. Si l'on obfervoit cette methode dans une Hiftoire, elle feroit très-féche & fort ennuyeuse. Un Episode ainfi partagé & interrompu par d'autres faits qui n'y ont point de rapport, perd tout fon agrément. L'efprit aime naturellement à voir l'effet joint à la caufe, & qu'on le fatis

fasse au plustoft fur ce qu'on lui fait efperer. Il faut en ces occafions qui font fort frequentes dans l'Histoire, avoir plus d'égard à la fuite des chofes, qu'à l'ordre des temps, & ne point craindre d'empieter fur une année, pour unir des chofes qu'il ne convient point de féparer.

Mais il arrive quelquefois qu'une affaire importante, une négociation, par exemple, dure plufieurs années ; qu'une conjuration se trame de loin; que les intrigues de ceux qui la forment font tantoft déconcertées, & tantoft fe racommodent, & qu'elle n'éclate que long-temps après. Doit-on alors fuivre cette même methode ? & afin de ne pas laiffer perdre de vûë un point d'Hiftoire qu'on a commencé à traiter, doit-on laiffer en arriere les faits de deux ou trois années, pour y revenir, après avoir conduit jusqu'à la fin celui dont il s'agit? Il me femble que non, & qu'en ce cas il eft à propos d'en ufer autrement. Mais il faut prendre garde à ne pas rompre trop brufquement le fil de la narration commencée. Il faut amener la chofe jufqu'à quelque conjoncture, qui foit, fi j'ose m'exprimer ainfi, la fin de quelque chofe, & qui ferve comme d'entrepoft à l'efprit du Lecteur, & pour m'expliquer dans l'exemple de la conjuration, on peut s'arrefter au temps qu'elle a efté diffipée, mais en faisant entendre qu'elle se renouera ; & après avoir traité les autres évenemens, l'Hiftorien doit retrouver un chemin qui le raméne naturellement au fujet qu'il a quitté.

On doit en ufer à proportion de même, quand plufieurs chofes confiderables fe préfentent ensemble fans dépendance les unes des autres ; par exemple, une Guerre fur les frontieres des Pays-Bas,une autre du cofté des Pyrenées,une troifiéme au-delà des Alpes, & en même-tems une négociation pour la paix, comme il arrive quelquefois dans noftre Hi

ftoire.

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