Pagina-afbeeldingen
PDF
ePub

L'Histoire d'un Royaume ou d'une Nation a pour objet le Prince & l'Etat; c'eft-là comme le centre où tout doit tendre & ferapporter ; & les Particuliers ne doivent y avoir part qu'autant qu'ils ont eû de rapport ou à l'un ou à l'au

tre.

cela

Les Généraux d'Armées, les Miniftres d'Etat, les Gouverneurs des Villes n'y font placez qu'à caufe de ces rapports.Si dans la description d'une Bataille on y fait mention de quelque action d'un Officier particulier, ou d'un Soldat; c'eft que cette action a eû des fuites pour l'intereft public,ou qu'elle a quelque chofe de fi fingulier, que la gloire en rejaillit fur toute la Nation; ou enfin que le merveilleux qui s'y rencontre, donne tant de plaifir au Lecteur, que par même elle récompense l'irrégularité qu'il y aà la rapporter. Ainfi par la même raifon ce ne feroit pas orner, mais gâter une Histoire de cette efpece, que d'y inférer, par exemple, certaines intrigues d'amour, ou des différens & des querelles entre des particuliers, à moins, comme il arrive souvent, qu'elles n'euffent efté la cause ou l'occafion de quelque évenement confiderable, où l'Etat fût intereffé; car alors elles ne feroient pas hors d'œuvre, elles feroient même effentielles à l'Hiftoire. Tel eft, par exemple, dans l'Histoire du Regne de Henry III. le manége de la Reine Catherine de Médicis, qui de peur que le Duc d'Alençon & le Roy de Navarre ne s'uniffent ensemble contre le Roy, fe fervoit de Madame de Sauve, dont ces deux Princes eftoient amoureux, pour fomenter la mésintelligence entre eux,

Or il n'y a guéres de préceptes qu'on ait plus fouvent violez, en écrivant noftre ancienne Hiftoire, que celui qui défend ces détails hors de propos. On y a voulu mettre tous Les petits faits que Gregoire de Tours a racontez, l'exil d'un

Diacre,le fupplice d'un Comte ou d'un Duc,le mauvais traitement fait à un Evêque, & mille autres chofes semblables, dont on a entrelaffé les grands évenemens. C'est là principalement ce qui fait languir l'Hiftoire, ce qui fatigue le Lecteur que ces petits objets ne touchent point, & qui ne peut prendre d'intereft à ces minuties.

On a encore rempli l'Hiftoire de la feconde Race & des commencemens de la troifiéme, des Guerres des Seigneurs particuliers, fans choix,& fans diftinguer celles où l'interest du Souverain l'obligeoit à prendre part, de celles dont il ne fe mêloit point, parce qu'elles lui eftoient indifferentes, & uniquement l'effet des animofitez mutuelles, que ces petits Tyrans avoient les uns contre les autres,& qu'il n'eftoit pas en fon pouvoir de reprimer. La prise d'un petit Chasteau, l'incendie d'une Bourgade, le ravage d'une Terre ne font pas des matiéres fort intereffantes, quand ils n'ont nulle fuite pour le corps de l'Etat ; & c'eft abuser de la patience des Lecteurs, que de les occuper de pareils récits ; ce défaut vient uniquement de ce que ceux qui les ont compilez, n'ont pas eu en écrivant la veritable idée d'une Hiftoire générale.

Il y a dans noftre ancienne Hiftoire certains autres faits, qui à la verité regardent les Princes, mais qui font d'ailleurs fi hors du vrai-femblable & fi abfurdes, qu'un Hiftorien ne doit pas en faire la moindre mention, même en marquant qu'il doute de leur verité. Qui ne seroit choqué en lisant •Mexerai, dans un de nos Hiftoriens*, que, felon quelques Auteurs, Clovis avoit fait le voyage de la Terre-Sainte? Quel effet produit là une chimére auffi ridicule que celle-là, finon de faire rire un Lecteur qui n'eft pas parfaitement ignorant,& de lui donner un fouverain mépris pour une Histoire, où l'on infére de parcilles chofes? Pour moi je ne fçai pas l'ori

gine de cette Fable ; mais je fuis le plus trompé du monde, fi cet Auteur, ou quelqu'autre qu'il aura copié, ne s'eft mépris, en attribuant à Clovis ce que noftre ancien Hiftorien dit de Licinius qui eftoit Evêque de Tours, lorfque ce Prince s'empara de cette Ville après la défaite d'Alaric.Du temps de cet Évêque, dit l'ancien Historien, Clovis vint à Tours; Hujus tempore Clodovaus Rex Turonos venit. On dit,ajoûte-Greg. Tur.A t-il, qu'il alla en Orient,& à Jérufalem vifiter les SaintsLieux; Hic fertur in Oriente fuiffe, ipfamque adiiffe Hierofoly mam. Cela eft équivoque, & à ne regarder que les termes & la construction de la phrafe, elle pourroit s'entendre également de Clovis & de l'Evêque. Mais eft-ce une chose pardonnable, que de donner dans le fens faux d'une telle équivoque?c'està-dire attribuer le voyage de la Terre-Sainte à Clovis, au lieu de l'attribuer à l'Évêque, fuivant la veritable pensée de l'ancien Hiftorien ?

Si un Historien doit exclure de fon Hiftoire, & les petits faits & les faits abfurdes, il doit encore moins y recevoir ceux qui n'y ont nul rapport. A quel propos, par exemple, ajoûter à la fin du Regne de Clovis, après avoir parlé de fa fepulture, Que le Confulaire Boëce écrivoit en ce temps-là les douces confolations de fa Philofophie contre le traitement tyrannique qu'il recevoit de Theodoric Roy des Ostrogoths, & diverfes autres chofes femblables qui n'ont pas plus de rapport au sujet qu'ɔn traite. Plusieurs de nos Hiftoriens ornent la fin des Regnes de nos Rois de femblables rapfodies. Mais on devroit, ce me femble, fe fouvenir de la difference qu'il y a entre l'Hiftoire d'une Nation, & une Chronique génerale. Les regles de l'une refferrant l'Ecrivain dans un fujet déterminé; au lieu que l'autre a droit de compiler, de prendre de tous coftez, & de parler de toutes fortes de fujets. Tome I.

h

Mezeran

Ce que je dis icy qu'un Hiftorien doit fe borner à fon fujet, fans y coudre des lambeaux d'Hiftoires qui n'y ont aucun rapport,cft très-veritable & fans exception; mais il ne faut pas croire pécher contre ce précepte par de certaines digreffions, qui contribuent infiniment à la beauté de l'Hiftoire, & qui pour cette raison, & encore plus à caufe de la liaison que les chofes qu'elles contiennent ont avec le sujet principal, ne devroient pas eftre appellées de ce nom. Au contraire, manquer à cela,c'eft priver l'Hiftoire d'un de ses plus beaux ornemens. Je me fers de deux exemples pris de nostre Histoire même, pour faire concevoir ma pensée.

Dès que Clovis fe fut rendu Maiftre des Gaules jufqu'à la riviere de Loire,aufsi-tost Theodoric Roy d'Italie songea à prendre des mefures, pour arrefter les progrès de ce nouveau Conquérant, dont la puiffance ne pouvoit croiftre fans diminuer la fienne, & lui ofter une espece d'afcendant qu'il avoit pris fur tous les autres Rois d'en deçà des Alpes. On le vit depuis épier toutes les occafions de ruiner les deffeins, & de mettre des bornes aux Conquestes de Clovis.

Theodoric foûtenant donc un rôle très-confiderable dans noftre Hiftoire, non-feulement il n'eft point contre les regles d'en faire un caractere exact, & de donner un précis des voyes par lefquelles il eftoit monté à une fi haute puiffance;mais même ce feroit priver lc Lecteur d'une fatisfaction que naturellement il fouhaite, de bien connoiftre un homme dont on lui parle, & dont on l'entretient à tous momens.

Autre exemple; fi-toft que Theodoric fut mort,les Empereurs de Conftantinople négociérent avec les Rois François pour chaffer les Goths d'Italic. Les changemens caufez par cette mort dans le Gouvernement du Royaume des Goths, furent les caufes des progrès que l'Empereur & les

François firent ensuite au-delà des Alpes: Ne pas dévelop per ces changemens, & manquer à donner une idée diftincte de l'eftat de la Monarchie des Goths, n'en dire que deux mots en passant, ainsi que font la plûpart de nos Hiftoriens, ce n'est pas estre précis, ni obferver cette briéveté qu'on demande dans l'Histoire; c'est l'eftropier,c'eft négliger d'y mettre cette varieté qui plaist, qui attache & qui pique la curiofité des Lecteurs. Il faut en tout cela fçavoir fe prefcrire des bornes, tâcher de connoître & d'observer précisément ce milieu dont parle Horace, duquel on ne peut s'écarter fans donner ou dans l'excès, ou dans le défaut oppofé.

C'est-là à peu près, ce me femble,ce que l'on peut dire fur la matiere de l'Hiftoire. La forme qu'on y doit donner mérite encore plus de reflexions.

un

Il faut dans la compofition d'une Hiftoire, de l'arrangement, de la précision, du ftyle, de l'expreffion,de la dignité, de la pureté dans le langage, du feu dans la narration,en u mot tout ce qui peut attacher, je ne dis pas un Lecteur curieux qui veut eftre inftruit, mais un Lecteur oifif, qui né cherche qu'à s'amufer, fans lui rien préfenter qui l'arrefte, qui le dégoûte, qui le faffe languir. Il faut pour cet effet que celui qui écrit, fe mette fouvent à la place de ceux qui le liront, qu'avec cela il soit capable de fentir ce qu'ils fentiront, & affez févére envers lui-même, pour ne se rien pardonner de ce qui pourroit leur déplaire.

Je donne icy l'idée d'un Ecrivain accompli dans l'Art de composer, comme Juvenal donnoit celle d'un Poëte sans défaut, tel qu'il n'en avoit jamais rencontré, & qu'il fe figuroit feulement : Et qualem nequeo monftrare & fentio tantum. Un Ecrivain feroit bien préfomptueux, s'il prétendoit fe peindre lui-même dans un tel portrait; mais il n'eft pas

« VorigeDoorgaan »