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le nomme en Latin Fraxineus; mais il s'appelloit De Freffe, comme je l'ai vû par la fignature de plufieurs de fes Lettres originales. Varillas qui avoit auffi eu communication de ces Lettres de la Bibliotheque de M. de Lamaignon a fait cette remarque particuliere avant moi. Il faut pourtant obferver ce que j'ai appris depuis la premiere Edition de mon Hiftoire, que Freffe en quelques Provinces fignifie Frefne: Et cela difculpe ceux qui ont appellé l'Evêque en Latin Fraxineus; mais ceux qui l'ont appellé du Frefne en François devoient lui laiffer le nom de Freffe.

Il est donc à propos de lire les Manufcrits pour une Hiftoire générale; mais l'utilité n'en eft pas aujourd'huy à beaucoup près fi grande à cet égard, que plufieurs fe l'imaginent.

Un Historien doit bien se donner de garde d'affecter de faire paroiftre de l'érudition, dès-là qu'elle peut mettre de la confufion, de l'embarras, & de l'obfcurité dans fon Hiftoire.L'Historien Mathieu qui a donné au Public plufieurs morceaux de noftre Hiftoire, eft tombé dans ce défaut, en rempliffant fes Ouvrages d'une infinité de traits de l'Antiquité qui ne font rien à fon fujet. Il doit cependant eftre lupar ceux qui traitent du Regne de Henry IV.parce qu'il eftoit Hiftoriographe de ce Prince, qui prenoit plaifir à l'inftruire lui-même de diverfes particularitez de ses aven→

tures.

Le President de Thou n'a pas non plus évité cet écücil. Il s'eft proposé pour modeles dans fon Hiftoire qui eft trèsbien écrite en Latin, les anciens Auteurs du temps de la belle latinité, & il ne pouvoit mieux faire; mais voulant paroiftre docte jufques dans des minuties, & affectant de s'exprimer toûjours comme les Anciens, il n'y a presque

point de page, où il ne caufe de l'embarras à fes Lecteurs. Au lieu d'ufer des chiffres ordinaires aufquels on eft maintenant accouftumé, il fe fert toûjours des chiffres Romains, dont la plupart des gens ignorent les combinaifons. Au lieu de marquer les jours des mois, comme on le fait ordinairement, il fe fert des Kalendes, des Ides, des Nones. De forte que quand on lit qu'une telle action s'eft paffée le quinziéme des Kalendes de Juillet, fi le Lecteur veut fçavoir le jour que l'Auteur marque par cette maniere de compter, il eft obligé de recourirà un Kalendrier Romain, ou à compter à reculons depuis le premier de Juillet, qui estoit le jour des Kalendes,jufqu'au quinziéme avant les Kalendes, pour trou ver que c'est le dix-feptiéme de Juin.

Pour défigner les Pays & les Villes dont il parle,il fe fert des noms qu'on leur donnoit du temps des anciens Empereurs Romains, ou dans les fiecles les plus reculez. Il appelle Geneve Aurelia II. Allobrogum,Balle Augufta Rauracorum, Aofte Capitale du Val d'Aofte Augufta Pratoria, SaintQuentin Augufta Veromanduorum, Valladolid Pincia Carpetanorum, Nervii le Pays de Tournay, Aulerci celui du Perche, Nemetes ceux de Spire, Ambarum Ducis Barleduc, &c. La pluspart des Lecteurs qui ignorent l'ancienne Geographie, fe trouvent par là tout dépaysez, & se chagrinent contre l'Hiftorien.

De plus il latinife quelquefois les noms François des familles d'une maniere qu'on ne peut les reconnoiftre. Par exemple, M. d'Entragues, il l'appelle Iteramnas, parce qu'Entragues dans fon étymologie fignifie un lieu qui eft entre deux fleuves.Desmarests eft traduit par Paludanus, parce que Palus en Latin fignifie un marais.Dubois eft metamorphofé en Sylvius, parce que Sylva fignifie en Latin un bois.

Au contraire ila appellé Foreftus le Sieur deSelves, qui auroit été plus clairement traduit par Sylvius, Strangius de l'Eftrange, Strelonius de Treflong, &c.

On fe trouve fort embaraffé à deviner ces énigmes, & l'on cft privé du plaifir qu'on a à reconnoiftre dans une Hiftoire les noms des familles qui fubfiftent encore. Cet embarras a efté fi loin, que comme l'Hiftoire de M. de Thou eftoit, en grande réputation, il y eut un Sçavant qui fe chargea de faire exprès un Gloffaire ou Dictionnaire en un volume in4°. pour l'intelligence d'une infinité de mots, qu'on n'eût entendu ni en France ni ailleurs fans fecours. Il faut donc qu'un Hiftorien ne s'abandonne pas tant à l'envie de parler doctement, & qu'il préfere à tout la clarté, qui est une des meilleures qualitez d'une Histoire.

Quand un Historien croit avoir, pour ainsi dire,un fond suffisant pour une auffi grande entreprise, que celle de l'Hitoire generale d'une Nation, il faut qu'il fe confulte encore lui-même, afin de voir s'il a tous les autres moyens requis, pour mettre heureufement fon projet en execution. Quand il s'agit de conftruire un grand édifice, ce n'eft pas affez d'en avoir les matériaux,il faut fçavoir les mettre en œuvre,& en faire le choix. Avec les plus belles pierres & les bois les mieux choifis, un Architecte mal habile fait un bâtiment de fort mauvais goût; & un Historien avec un grand acquis dans l'étude de l'Antiquité & dans la connoiffance des Livres,s'il ne fçait pas bien manier & bien difpofer fa matiere, peut faire une fort méchante Hiftoire. La compofition demande beaucoup d'art & de difcernement; on y peut confiderer la matiere & la forme.

J'entends icy par la matiere les Faits Hiftoriques; & c'eft dans le choix que l'Hiftorien en fait, que doit paroiftre fon

difcernement; car on ne doit pas mettre dans une Hiftoire generalement tout ce qui fe trouve dans les Mémoires que l'on confulte. On doit fe regler fur ce point par l'efpece de l'Hiftoire qu'on écrit.

Il y a diverses efpeces d'Hiftoires. Il y a des Hiftoires generales de toute une Nation, comme l'Hiftoire de France. Il y en a de particuliéres d'une Province,d'uneVille,d'une Abbaye,d'une Famille,comme l'Hiftoire de Bretagne,l'Histoire de Marseille, l'Hiftoire de l'Abbaye de Saint Denis,l'Hiftoire Genealogique de la Maison de Châtillon fur Marne, &c. Il y a des Mémoires encore plus particuliers, dont l'Auteur même fait la matiere, comme les Commentaires de Monluc & les Mémoires du Duc de Guife, ou qui font écrits par d'autres pour conferver la mémoire des actions, des négociations, des aventures d'un Seigneur, d'un Gene ral d'Armée, d'un Ministre d'Estat, à la gloire defquels l'Ecrivaina confacré fa plume, comme les Mémoires de Tavannes & de Sully, la Vie du Duc d'Epernon, celle du Maréchal de Matignon. Je ne parle point de certains autres qui ne font que des ramas de faits, de dits, de petites Hiftoires,tels que font ceux de Brantôme, où il n'y a aucune régularité,& qui ne plaifent que par leur varieté, & par le stile naïf & cavalier dont ils font compofez.

Je dis que le choix des faits dans ces diverfes efpeces d'Hiftoires doit eftre différent. Une Hiftoire quelle qu'elle foit, doit contenir tout ce qui peut fe prefenter d'important par rapport à fon principal objet. Ainfi on doit trouver dans l'Hiftoire d'uneVille, d'une Abbaye,d'une Famille tout ce qui s'y eft paffé, & tout ce qu'il peut y avoir de confidéra» ble pour en donner une parfaite connoiffance.

Il en est à proportion de même des Mémoires qui ont

but de faire l'Histoire d'une personne en particulier; pour on n'y doit rien omettre de ce qui mérite d'eftre rapporté pour faire connoiftre fon caractere, le progrès de fa fortune, ses intrigues, ses traverses, les occasions où il s'eft fignalé, fes défauts, fes vertus, & tout ce qui le peut bien peindre aux yeux du Public; puifque lui-même, ou ceux qui prennent intereft à fa gloire ou à ses malheurs ont voulu le donner en fpectacle à la Posterité.

Mais ce qui eft important dans une Hiftoire particuliére, ne l'est pas dans une Histoire générale ; dautant que ce qui appartient au principal objet dans une Histoire particulicre, eft fouvent de nulle conféquence dans une Hiftoire générale. Par exemple,fi les Mémoires du Sieur De Pontis qui eurent tant de fuccès quand ils parurent, font tout-à-fait dignes de foi, on a dû y mettre tout ce qu'on y amis. C'est une infinité de petites aventures d'un jeune Gentilhomme, lequel fe pouffe à la Guerre & à la Cour, bien circonftanciées & bien racontées, qui font briller le Héros de la pièce, & divertiffent le Lecteur:mais il eft vifible que ni les circonftances des faits qu'on y rapporte, ni la plupart des faits mêmes ne méritoient pas d'avoir place dans l'Histoire générale du Regne de Louis XIII. fous lequel elles fe font paffées. Ce font de jolis épisodes dans l'Hiftoire que Pontis fait lui-même de fa vie, mais qu'on regarderoit comme des bagatelles, fi on les enchâffoit dans celles d'un Roy.

La raifon eft celle que j'ai apportée; fçavoir que Pontis. dans fes Mémoires eft le principal objet de l'Hiftoire, & par conféquent tout ce qui le regarde doit y eftre rapporté &détaillé;mais dans une Histoire générale, la grandeur de la matiére défend à un Hiftorien de donner la moindre attention à ces petits détails, qui concernent un particulier.

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