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celle de la seconde n'avoit guéres de quoi piquer davantage la curiofité ; & que même les commencemens de la troifiéme eftoient fort ftériles.

Cette idée eft très-mal appuyée, & n'a point d'autre fondement que la négligence, ou pour le dire avec plus de franchise, l'ignorance des Hiftoriens dont je viens de parler. Ce point eft affez important par rapport à noftre Hiftoire, pour mériter d'estre éclairci ; & ce que je vais dire fur ce fujet montrera en même temps combien la Science eft necessaire à un Hiftorien, & l'obligation où il eft d'étendre fes recherches au-delà des Mémoires que les Ecrivains de fon païs lui fournissent.

Il feroit à fouhaitter, dit-on, qu'on pût lire les commencemens de l'Hiftoire de France avec autant de fatisfaction, ou du moins avec auffi peu d'ennui, qu'on lit dans Tite-Live, ceux de l'Hiftoire Romaine. On a raison fans doute de penfer & de parler de la forte, fi la matiere eft capable de la même régularité & des mêmes agrémens ; & en ce cas on a droit d'éxiger de ceux qui y travaillent, une ap¬ plication proportionnée à la dignité de leur fujet.

Mais pourquoi noftre Hiftoire dans ces premiers Regnes ne feroit-elle pas capable de cette régularité & de ces agrémens. C'est, ajoûte-t'on, que ces commencemens ne fourniffent qu'une matiere fi brute, fi confuse, des faits fi incertains, des évenemens fi peu liez, des actions si barbares, qu'il femble que toute l'adresse de l'Art ne fuffit pas pour débrouiller ce cahos, pour pénétrer ces ténébres, & pour diffiper cette espece d'horreur, qui est comme répanduë fur tous ces premiers temps.

Il y a dans cette objection du vrai & du faux. En démêlant l'un d'avec l'autre, on pourra juger si le défaut de la

matiere peut ou ne peut pas fervir d'excufe à ceux qui l'auroient mise en œuvre jufqu'à present fans fuccez.

On doit confiderer dans noftre Hiftoire deux fortes de commencemens ; celui de la Nation Françoise, & celui de la Monarchie Françoise. Le commencement de la Nation Françoise a toûjours efté très-inconnu, & par là-même il estoit très-propre à devenir fabuleux, ainsi qu'il est arrivé. L'origine ne s'en rencontroit nulle part ; on est allé jusqu'à la fource des Fables,jufqu'à la prise de Troye pour l'y trou

ver.

Plufieurs de nos Hiftoricns qui ont écrit avant cinq ou fix cens ans, racontent bonnement & férieufement ces belles antiquitez. Nos Modernes communément ne les touchent qu'en peu de mots, & les donnent comme des Fables. On ne peut pas les blâmer d'en parler; car c'est un point fur lequel il eft bon au moins de fçavoir ce que l'on dit; & Tite-Live en a ufé ainfi au commencement de fon Hiftoire, en parlant de l'origine du Peuple Romain.

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Pour ce qui eft des commencemens de la Monarchie Françoise, il en faut encore diftinguer de deux fortes: le commencement de la Monarchie au-delà du Rhin dans la Germanie, & celui qu'elle a eu depuis dans les Gaules.

C'est du premier dont on peut dire avec verité, qu'on n'en a que des connoiffances très-incertaines & très-confuses, ou plûtoft qu'on n'en a presque point. Les noms de quelques Rois ou de quelques Capitaines François se trouvent dans l'Hiftoire de l'Empire, & dans quelques anciennes Chroniques: On y voit de temps en temps cinq ou fix lignes qui marquent en paffant peu de chofe de la Nation, une Victoire, une défaite, des excurfions, & rien davantage, Cette feule difette de Mémoires dont il est impossible

* Ifaac Pons tan. Maflon,

de faire quelque chose de suivi, doit fans doute empêcher d'en entreprendre l'Hiftoire; je dis l'Hiftoire, & non pas des Differtations & des Ouvrages de Critique fur ce fujet, comme* plusieurs sçavans hommes en ont fait.On ne sçauroit trop éclaircir ces Monumens de l'Antiquité. Mais il La Cary, &c, faut avouer que ce n'eft pas répondre à l'attente d'un Lecteur, que de lui prefenter des tomes ou des livres entiers avec le titre d'Hiftoire de France, où pour lier quelques fragmens qui parlent des François, on ne donne en effet rien autre chofe que l'Hiftoire Romaine. Cela n'a pas peu contribué à faire tomber les Ouvrages de deux fçavans Auteurs †, qui, à en juger par ce qu'ils ont donné de leur Histoire au Public, valoient dans le fond beaucoup mieux demo que d'autres qui ont eu plus de cours.

Mais dès qu'on eft arrivé au commencement de la Monarchie Françoife dans les Gaules, fi l'Hiftoire ne plaist pas autant que l'Histoire Romaine, ce n'est plus la matiere qui manque; c'eft ou le difcernement, ou l'art, ou la diligence de ceux qui la traitent. Car pour comparer ensemble ces deux Hiftoires, examinons ce qui entre dans l'une & dans l'autre immédiatement après leurs temps obscurs ou fabuleux. Ces temps obfcurs ou fabuleux finiffent dans l'Hiftoire Romaine à la Fondation de Rome, & à fes premiers Rois; & dans la noftre, c'est à la Fondation de la Monarchie en deçà du Rhin, & au temps de Clovis.

On a communément l'efprit fi rempli de la grandeur Romaine, qu'à moins d'une réfléxion particuliere, on se la figure même dans les plus petits commencemens de la Ville de Rome. Quand on entend raconter que Romulus fortit de Rome avec une Armée contre les Céniniens, les Antennates, & les autres peuples qui s'eftoient liguez pour

+ M.De Cor

+ Le P. Jour

dan.

venger l'enlevement de leurs Filles, on se représente ce Roy à la tefte de plufieurs milliers d'hommes bien armez, partagez en escadrons & en bataillons, qui va attaquer une autre Armée encore plus forte que la fienne, qui la défait, qui revient avec un grand nombre de chariots chargez de dépouilles pour en faire hommage, & en élever un fuperbe Trophée à Jupiter Férétrien. Cela ne veut cependant rien dire autre chofe, finon que Romulus fortit d'une petite Bourgade, bien plus petite & bien moins peuplée que plufieurs de nos Bourgs de France; qu'il fe mit à la teste de trois ou quatre cens hommes au plus, la pluspart Bergers ou Ban ́dits; qu'il donna fur fix ou fept cens autres, & les mit en - déroute; & qu'ayant enlevé le Bouclier & les armes au Chef des Ennemis tué dans le combat, il les vint fufpendre à un vieux chefne fur le Mont appellé Capitole.

C'est là l'idée qu'il faut avoir de toutes ces Armées conduites d'abord contre les Sabins, les Fidénates, & les autres Ennemis des Romains. Tous ces peuples détruits ou affervis fous les premiers Rois de Rome &fous les premiers Confuls, n'avoient pour la pluspart que chacun leur petit canton, au milieu duquel eftoit une petite Ville mal fortifiée. Ce fut là pendant plufieurs années les fujets des Triomphes, des Ovations, des Supplications que l'on faisoit en actions de graces à Rome, & dont l'Hiftoire Romaine est remplie, principalement depuis l'establissement du Confulat. Enfin la Republique Romaine plus de quatre cens ans après fa Fondation eftoit infiniment moins riche, moins puiffante, & beaucoup moins étenduë que la Republique de Venise ne l'eft aujourd'hui dans la feule Italie.

Certainement Clovis dès fon entrée dans les Gaules, nous fournit quelque chofe de bien plus grand. Son premier coup

y fut la deftruction de l'Empire Romain. Sa premiere Victoire le mit en poffeffion de plus de pays & d'un plus grand nombre de Villes confiderables, que Rome n'en conquit en quatre fiecles.Et fans parler de ce qu'il fit depuis au-delà du Rhin, on le voit dans les Gaules abbatre les deux Puissances qui y dominoient, celle des Vifigots & celle des Bourguignons, étendre par la défaite des premiers fon Domaine jusqu'aux Pyrenées ; fe rendre les autres Tributaires, & devenir en peu d'années un des plus redoutables Monarques de l'Europe. Ses enfans détruisent le Royaume de Bourgogne & celui de Turinge: Un de fes petits-fils* impofe un Theodeberé Tribut aux Saxons, entre dans l'Italie,y fait des Conqueftes fur l'Empereur, & fe trouve en eftat de l'aller attaquer même du cofté de Conftantinople. C'eftoit fur ce pied que fe trouvoit la France trente-fept ans feulement après la mort de Clovis.Un fujet tel que celui-là peut-il s'appeller un fond ftérile pour l'Hiftoire, & qui n'ait rien qui soit capable d'attacher les Lecteurs ?

Ceux qui n'ont lû noftre ancienne Hiftoire que dans des Abregez ou dans des Compilations mal digérées & peu exactes, ne manqueront pas de dire que tous ces grands evénemens font rapportez fans circonftances, & que fans détail ils donnent peu de plaifir,mais fûrement cela est trèsfaux. La pluspart des actions importantes font circonftanciées dans les anciens Auteurs: à la verité ces détails ne fe trouvent pas tous ramaffez dans Gregoire de Tours ou dans Frédégaire; il faut fe donner quelquefois la peine de les chercher ailleurs ; mais il faut prendre cette peine, quand on fe charge de la compofition d'une Hiftoire.

Par exemple, à l'égard des Batailles de Soiffons, de Tolbiac, de Poitiers, d'Arles qui fe donnerent du temps de Clo

*

I.

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