Pagina-afbeeldingen
PDF
ePub

difficile de bien réüffir; tant eft confuse la maniere dont les difpofitions des Armées & des Batailles font rapportées par ceux-là mêmes, qui pouvoient en parler avec le plus d'habileté. Pour moi j'ai oui dire à des Officiers experimentez, qu'ils ne comprenoient rien aux Batailles racontées dans nos Histoires. Il y a fans doute de la faute des Historiens du temps, qui ont négligé de fe rendre affez intelligibles; Il y en a de la part de nos Historiens modernes, de ne s'eftre pas donné la peine d'éclaircir les contemporains, en confrontant leurs diverfes Relations qui s'aident les unes les autres. Mais on doit faire encore une réflexion, c'est que les Armées fe rangeoient, & les Batailles fe donnoient alors autrement qu'aujourd'huy. Les armes défenfives & offenfives n'eftoient pas les mêmes ; je ne dis pas feulement avant l'invention des armes à feu, mais encore depuis. Par exemple, l'usage des lances demandoit une toute autre difpofition de la Cavalerie, que celle dont on use à prefent; la Gendarmerie n'escadronnoit point, & même la Cavalerie-légére Françoise ne se partageoit point non plus en Escadrons dans un combat, comme aujourd'huy, avant le Regne de Henry II. mais elle ne formoit que de longs & de fimples rangs. C'est la remarque que fait M. de Tavannes dans fes Memoires, au fujet de la Bataille de S. Denis fous Charles IX. où la Cavalerie des deux partis fut encore difpofée de cette maniere. Il est manifeste que cette diversité d'usages demandoit une autre Ordonnance, que celle dont on use de nôtre temps; que c'eft de-là en partie vient la difficulté d'entendre les Ecrivains de ce tempsque là dans leur maniere de décrire les Batailles, & comment en particulier il se pouvoit faire que le Prince de Condé & Amiral de Coligny, qui n'avoient à la journée de S, De

nis que douze cens chevaux, & dix-huit cens fantaffins occupaffent par une fi petite Armée rangée en bataille,tout le grand terrein qui eft entre la Seine & faint Oüen, où leur droite eftoit appuyée, & à Aubervilliers où ils avoient leur gauche.

Pour revenir au premier devoir de l'Historien, ce n'est donc pas dans toutes les circonstances d'un fait, ni toûjours dans le récit des caufes des évenemens qu'on doit attendre de lui la plus exacte verité. Ce feroit souvent lui demander l'impoffible. Il fuffit qu'il rapporte ce qu'il a trouvé dans les Historiens contemporains, après en avoir fait un juste discernement, pour ne puiser que dans les meilleures fources.

Mais ce qu'on a droit d'éxiger de lui, c'est qu'il ne s'abandonne point à fon imagination, & fur tout qu'il ne s'émancipe pas jufqu'à feindre des épisodes Romanesques pour égayer fa narration, & varier fon histoire.Nous avons un exemple de cette espece d'attentat contre la verité dans un de nos célebres Hiftoriens. * Je me fouviens que lorffon Hiftoire de François I. courut manufcrite, on l'arrachoit des mains de ceux qui l'avoient, pour la lire avec empreffement. On eftoit principalement enchanté de ces beaux endroits, où il racontoit les amours de ce Prince avec Madame de Chafteau-Briant, & la fin infortunée de cette Dame.

que

Selon lui l'an 1526, après la prise du Roy à la Bataillo de Pavic, elle s'en retourna en Bretagne. Son mari la reçut dans fon Chasteau, & l'enferma dans une chambre tapiffée de noir, où il avoit pratiqué une espece de jalousie, d'où il pouvoit voir ce qui s'y paffoit fans eftre vû. Après avoir goûté affez long-temps le plaifir de la voir s'abandonner

Le St deva'Hiftoire de

Sr rillas, T. 1.de

François I.

[ocr errors]

* Voyez la

de Bretagne

fans ceffe à l'inquietude, à la crainte, au
la crainte, au désespoir, il lui
mena au bout de fix mois deux Chirurgiens, qui après lui
avoir ouvert les veines des bras & des jambes, vangérent
par ce supplice l'infidelité qu'elle avoit eûë pour fon ma-

ry. Par malheur quelques Curieux à qui cette hiftoriette parut fufpecte, allérent foüiller dans les Archives de Chafteau-Briant, & trouvérent que Madame de ChasteauBriant, qui eftoit morte, felon l'Auteur, au plûtard en nouvelle Hift. 1526, eftoit encore vivante en 1532; *que François I.dans de Dom Lo un voyage qu'il fit en Bretagne cette année-là, lui donna 1. p. 842.& de trente-uniéme de May le revenu des Seigneuries de l'Isle Sr. Even fa de Rüis, & de Sufcinio,& du Chateau de l'Esternic, qu'elle ne mourut qu'en 1537, comme on le voit par fon Epitaphe; fur l'it de & qu'après la mort le Roy accorda à fon mari l'ufufruit de Sr. de Varillas. Rüis & de Sufcinio.

bineau. Vol

l'ouvrage du

meux Avocat

au Parlement

de Rennes

Franç 1. du

Cette découverte & plufieurs autres remarques qu'on a faites depuis fur les Ouvrages de l'Hiftorien dont je parle, d'ailleurs homme habile dans noftre Hiftoire, & qui écrit bien, le décréditerent beaucoup. C'eft la punition que méritent ces Ecrivains qui ont plus en vûë de récréer leurs Lecteurs, que de les inftruire.

C'est encore pecher contre la verité de l'Hiftoire, que d'attribuer fans fondement aux Acteurs qui paroiffent fur la scene, des motifs de la conduite qu'ils tiennent. Je dis fans fondement, c'eft-à-dire, fans les trouver dans les Ecrivains de leur temps, à moins, comme il arrive quelquefois, que leurs actions & leurs démarches ne foient telles, qu'on ne puiffe raisonnablement douter qu'elles n'ayent eû ces motifs pour principe.

Il en eft de même des raifonnemens qu'on fait faire aux

Princes ou à leurs Miniftres dans des Confeils fecrets, ou
aux Generaux d'Armées dans des Confeils de Guerre, des
foupleffes qu'on attribuë aux Ambassadeurs dans des Né-
gociations & dans des Traitez de paix, pour amener à leur
but ceux avec qui ils traitent.,, Quelle préfomption, dit
M. de Tavannes *, de faire des Livres remplis de Con-
feils d'Eftat & de combats! Les uns fe font faits fecrets,
& non fçûs : les autres mal rapportez. Ces Ecri-
partant
vains font donner des avis aux Confeillers d'Eftat à l'a-
venture, comme ils jugent par l'évenement qui devoit
avoir efté; ce qui eft fouvent tout au contraire, &c.

[ocr errors]

"

Cette politique outrée regne encore dans tous les Ouvrages de Varillas; & d'Avila s'y abandonne auffi quelquefois. Ils ont pris pour modéle Corneille Tacite parmi les Anciens, & Guicciardin parmi les Modernes. Celui-ci doit estre plus crû que les autres fur certains points, parce qu'il avoit quelque part aux affaires de fon temps en Italie: mais très-fouvent tous ces beaux détails, ces rafinemens de politique, ces plans de Négociations fi bien dreffez, font fortis de la tefte de l'Hiftorien, qui a raconté non pas ce qui a eftédit, mais ce qui a pû eftre dit. † Ce font après tout les Lecteurs eux-mêmes qui gaftent les Hiftoriens fur cet article. Ils veulent qu'on fouille dans les fecrets les plus impénétrables des Princes, fans quoi leur curiofité & fouvent leur malignité n'est point fatisfaite. On les fert felon leur goût, & on leur donne des chiméres dont ils fe repaiffent volontiers.

[blocks in formation]

Qu'on ne s'imagine pas cependant que je prétende ici interdire à l'Hiftorien la recherche curieufe des caufes de certains grands évenemens.* Ce feroit ofter à l'Hiftoire ce qu'elle a de plus beau, ce qui en fait l'ame, ce qui la foût- que rerum,

* Non mode cafus eventus.

fed ratio e

nofcantur. Tacit. 14. Annal.

fiam cufque tient, ce qui lui donne de la dignité ; fans cela elle dégénéteroit en Gazette; ce ne feroit qu'un ramas de faits fans liaison, dont on feroit bien-tost laffé. Je ne prétens exclure que les fictions & les divinations outrées de certains Hiftoriens modernes. Ils veulent rafiner fur tout, & rendre raifon de tout. Or je dis qu'il n'y a point de plus grande marque de la fauffeté d'une Hiftoire que celle-là. La raifon eft que parmi les évenemens les plus extraordinaires, il y en a beaucoup qui font l'effet du pur hazard, & de certaines conjonctures qu'on n'a pû ni dû prévoir. Qu'on interroge là-deffus les plus habiles Miniftres d'Etat,& les plus fameux Generaux d'Armée, & ils en conviendront.

Qu'on faffe, par exemple, un grand détail des Négociations du Marquis de Rofny avec Jacques Roy d'Angleterre du temps de Henry IV. Qu'on le faffe de celles du Président Janin au fujet du Traité de la grande Tréve, où les Hollandois furent reconnus par les Efspagnols pour Eftats Souverains. On le peut, & on le doit, parce que ces deux grands Ministres fur l'autorité defquels on a droit de compter, l'ont fait eux-mêmes ce détail, & qu'ils eftoient parfaitement inftruits des motifs qui faifoient agir les parties intereffées. J'en dis autant des particularitez du grand differend qu'il y eut au Concile de Trente touchant la préféance entre les Ambaffadeurs de France & d'Efpagne; parce que Palavicin qui a fait l'Hiftoire de ce Concile, avoit vû & cite fur ce fujet les Lettres du Pape aux Princes, celles des Princes & des Légats du Concile au Pape, les Mémoires les plus fecrets des Nonces & des autres Agens du S. Siege dans les diverses Cours. Il en eft de même de plufieurs autres Mémoires faits de bonne main, & qui entrent dans des détails.

« VorigeDoorgaan »