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crète qui me tourmente et dont je ne puis démêler la cause?

J'ai craint que l'admiration de mon propre ouvrage ne causât la distraction que j'apportois à mes travaux; je l'ai caché sous ce voile... mes profanes mains ont osé couvrir ce monument de leur gloire. Depuis que je ne le vois plus, je suis plus triste, et ne suis pas plus attentif.

Qu'il va m'être cher, qu'il va m'être précieux, cet immortel ouvrage! Quand mon esprit éteint ne produira plus rien de grand, de beau, de digne de moi. je montrerai ma Galathée, et je dirai: Voilà mon ouvrage. O ma Galathée! quand j'aurai tout perdu, tu me resteras, et je serai consolé.

(Il s'approche du pavillon, puis se retire; va, vient, et s'arrête quelquefois à le regarder en soupirant.)

Mais pourquoi la cacher? Qu'est-ce que j'y gagne? Réduit à l'oisiveté, pourquoi m'ôter le plaisir de contempler la plus belle de mes œuvres?... Peut-être y reste-t-il quelque défaut que je n'ai pas remarqué; peut-être pourrai-je encore ajouter quelque ornement à sa parure: aucune grace imaginable ne doit manquer à un objet si charmant... peut-être cet objet ranimera-t-il mon imagination languissante. Il la faut revoir, l'examiner de nouveau. Que dis-je? Eh! je ne l'ai point encore examinée: je n'ai fait jusqu'ici que l'admirer, (Il va pour lever le voile, et le laisse retomber comme effrayé.) Je ne sais quelle émotion j'éprouve en touchant ce voile; une frayeur me saisit; je crois toucher au sanc

tuaire de quelque divinité. Pygmalion, c'est une pierre, c'est ton ouvrage... Qu'importe? on sert des dieux dans nos temples, qui ne sont pas d'une autre matière et n'ont pas été faits d'une autre main.

(Il lève le voile en tremblant, et se prosterne. On voit la statue de Galathée posée sur un piédestal fort petit, mais exhaussé par un gradin de marbre, formé de quelques marches demicirculaires.)

O Galathée! recevez mon hommage. Oui, je me suis trompé : j'ai voulu vous faire nymphe, et je vous ai faite déesse. Vénus même est moins belle que vous.

Vanité, foiblesse humaine! je ne puis me lasser d'admirer mon ouvrage ; je m'enivre d'amour-propre ; je m'adore dans ce que j'ai fait... Non, jamais rien de si beau ne parut dans la nature; j'ai passé l'ouvrage des dieux...

Quoi! tant de beautés sortent de mes mains! Mes mains les ont donc touchées... ma bouche a donc pu... Je vois un défaut. Ce vêtement couvre trop le nu; il faut l'échancrer davantage; les charmes qu'il recéel doivent être mieux annoncés.

(Il prend son maillet et son ciseau; puis, s'avançant lentement, il monte, en hésitant, les gradins de la statue qu'il semble n'oser toucher. Enfin, le ciseau déja levé, il s'arrête.)

Quel tremblement ! quel trouble!... Je tiens le ciseau d'une main mal assurée... je ne puis... je n'ose... je gâterai tout.

(Il s'encourage; et enfin, présentant son ciseau, il en donne un senl coup, et, saisi d'effroi, il le laisse tomber en poussant un grand cri.)

Dieux ! je sens la chair palpitante repousser le ci

seau !...

(Il redescend tremblant et confus.)

...Vaine terreur, fol aveuglement!... Non... je n'y toucherai point; les dieux m'épouvantent. Sans doute elle est déja consacrée à leur rang.

(Il la considère de nouveau.)

Que veux-tu changer? regarde; quels nouveaux charmes veux-tu lui donner?... Ah! c'est sa perfection qui fait son défaut... Divine Galathée! moins parfaite, il ne te manqueroit rien...

(Tendrement.)

Mais il te manque une ame : ta figure ne peut s'en, passer.

(Avec plus d'attendrissement encore.)

Que l'ame faite pour animer un tel corps doit être belle!

(Il s'arrête long-temps; puis, retournant s'asseoir, il dit d'une voix lente et changée :)

Quels desirs osé-je former! quels vœux insensés! qu'est-ce que je sens?... O ciel! le voile de l'illusion tombe, et je n'ose voir dans mon cœur : j'aurois trop à m'en indigner.

(Longue pause dans un profond accablement.)

...Voilà donc la noble passion qui m'égare! c'est donc pour cet objet inanimé que je n'ose sortir d'ici!... un marbre! une pierre! une masse informe et dure,

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travaillée avec ce fer!... Insensé, rentre en toi-même ; gémis sur toi; vois ton erreur, vois ta folie.

...Mais non...

(Impétueusement.)

Non, je n'ai point perdu le sens; non, je n'extravague point; non, je ne me reproche rien. Ce n'est point de ce marbre mort que je suis épris, c'est d'un être vivant qui lui ressemble, c'est de la figure qu'il offre à mes yeux. En quelque lieu que soit cette figure adorable, quelque corps qui la porte, et quelque main qui l'ait faite, elle aura tous les vœux de mon cœur. Oui, ma seule folie est de discerner la beauté, mon seul crime est d'y être sensible. Il n'y a rien là dont je doive rougir.

(Moins vivement, mais toujours avec passion.)

Quels traits de feu semblent sortir de cet objet pour embraser mes sens, et retourner avec mon ame à leur source! Hélas! il reste immobile et froid, tandis que mon cœur embrasé par ses charmes voudroit quitter mon corps pour aller échauffer le sien. Je crois dans mon délire pouvoir m'élancer hors de moi, je crois pouvoir lui donner ma vie et l'animer de mon ame.

Ah! que Pygmalion meure pour vivre dans Galathée!... Que dis-je, ô ciel! Si j'étois elle, je ne la verrois pas; je ne serois pas celui qui l'aime. Non, que ma Galathée vive et que je ne sois pas elle. Ah! que je sois toujours un autre, pour vouloir toujours être elle, pour la voir, pour l'aimer, pour en être aimé !...

(Transport.)

Tourments, vœux, desirs, rage, impuissance, amour terrible, amour funeste... oh! tout l'enfer est dans mon cœur agité... Dieux puissants, dieux bienfaisants, dieux du peuple, qui connûtes les passions des hommes, ah! vous avez tant fait de prodiges pour de moindres causes! voyez cet objet, voyez mon cœur, soyez justes, et méritez vos autels.

(Avec un enthousiasme plus pathétique.)

Et toi, sublime essence qui te caches au sens et te fais sentir aux cœurs, ame de l'univers, principe de toute existence, toi qui par l'amour donnes l'harmonie aux éléments, la vie à la matière, le sentiment aux corps, et la forme à tous les êtres; feu sacré, céleste Vénus, par qui tout se conserve et se reproduit sans cesse; ah! où est ton équilibre? où est ta force expansive? où est la loi de la nature dans le sentiment que j'éprouve? où est ta chaleur vivifiante dans l'inanité de mes vains desirs? Tous tes feux sont concentrés dans mon cœur, et le froid de la mort reste sur ce marbre; je péris par l'excès de vie qui lui manque. Hélas! je n'attends point un prodige; il existe; il doit cesser; l'ordre est troublé, la nature est outragée; rends leur empire à ses lois, rétablis son cours bien

* L'édition première porte dans l'égarement. Il se peut que l'auteur ait postérieurement substitué à cette foible expression le mot inanité qui lui appartient ou qu'il a adopté; il n'est pas dans le Dictionnaire de l'académie.

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