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et toutes les combinaisons des sons; en quoi ils étoient bien plus sages ou plus heureux que nous, qui sommes contraints de travailler notre imagination sur une multitude de signes inutilement diversifiés.

Mais, pour ne m'arrêter qu'à ce qui regarde mon sujet, comment se peut-il qu'on ne s'aperçoive point de cette foule de difficultés que l'usage des notes a introduites dans la musique; ou que, s'en apercevant, on n'ait pas le courage d'en tenter le remède, d'essayer de la ramener à sa première simplicité, et, en un mot, de faire pour sa perfection ce que Gui d'Arezze a fait pour la gâter? car, en vérité, c'est le mot, et je le dis malgré moi.

J'ai voulu chercher les raisons dont cet auteur dut se servir pour faire abolir l'ancien système en faveur du sien, et je n'en ai jamais pu trouver d'autres que les deux suivantes: 1. les notes sont plus apparentes que les chiffres ; 2. et leur position exprime mieux à la vue la hauteur et l'abaissement des sons. Voilà donc les seuls principes sur lesquels notre Aretin bâtit un nouveau système de musique, anéantit toute celle qui étoit en usage depuis deux mille ans, et apprit aux hommes à chanter difficilement.

Pour trouver si Gui raisonnoit juste, même en admettant la vérité de ces deux propositions, la

question se réduiroit à savoir si les yeux doivent être ménagés aux dépens de l'esprit, et si la perfection d'une méthode consiste à en rendre les signes plus sensibles en les rendant plus embarrassants, car c'est précisément le cas de la sienne.

Mais nous sommes dispensés d'entrer là-dessus en discussion, puisque ces deux propositions étant également fausses et ridicules, elles n'ont jamais pu servir de fondement qu'à un très mauvais système.

En premier lieu, on voit d'abord que les notes de la musique remplissant beaucoup plus de place que les chiffres auxquels on les substitue, on peut, en faisant ces chiffres beaucoup plus gros, les rendre du moins aussi visibles que les notes, sans occuper plus de volume: on voit, de plus, que la musique notée ayant des points, des quarts de soupir, des lignes, des clefs, des dièses, et d'autres signes nécessaires autant et plus menus que les chiffres, c'est par ces signes-là, et non par la grosseur des notes, qu'il faut déterminer le point de

vue.

En second lieu, Gui ne devoit pas faire sonner si haut l'utilité de la position des notes, puisque, sans parler de cette foule d'inconvénients dont elle est la cause, l'avantage qu'elle procure se trouve déja tout entier dans la musique naturelle, c'est-à-dire dans la musique par chiffres:

on y voit du premier coup d'œil, de même qu'à l'autre, si un son est plus haut ou plus bas que celui qui le précède ou que celui qui le suit; avec cette différence seulement, que, dans la méthode des chiffres, l'intervalle ou le rapport des deux sons qui le composent, est précisément connu par la seule inspection, au lieu que, dans la musique ordinaire, vous connoissez à l'œil qu'il faut monter ou descendre, et vous ne connoissez rien de plus.

On ne sauroit croire quelle application, quelle persévérance, quelle adroite mécanique est nécessaire dans le système établi pour acquérir passablement la science des intervalles et des rapports c'est l'ouvrage pénible d'une habitude toujours trop longue et jamais assez étendue, puisque après une pratique de quinze et vingt ans le musicien trouve encore des sauts qui l'embarrassent, non seulement quant à l'intonation, mais encore quant à la connoissance de l'intervalle, sur-tout lorsqu'il est question de sauter d'une clef à l'autre. Cet article mérite d'être approfondi, et j'en parlerai plus au long.

Le système de Gui est tout-à-fait comparable, quant à son idée, à celui d'un homme qui, ayant fait réflexion que les chiffres n'ont rien dans leurs figures qui réponde à leurs différentes valeurs, proposeroit d'établir entre eux une certaine gros

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seur relative et proportionnelle aux nombres qu'ils expriment. Le deux, par exemple, seroit du double plus gros que l'unité; le trois, de la moitié plus gros que le deux, et ainsi de suite. Les défenseurs de ce système ne manqueroient pas de vous prouver qu'il est très avantageux dans l'arithmétique d'avoir sous les yeux des caractères uniformes qui, sans aucune différence par la figure, n'en auroient que par la grandeur, et peindroient en quelque sorte aux yeux les rapports dont ils seroient l'expression.

Au reste, cette connoissance oculaire des hauts, des bas, et des intervalles, est si nécessaire dans la musique, qu'il n'y a personne qui ne sente le ridicule de certains projets qui ont été quelquefois donnés pour noter sur une seule ligne par les caractères les plus bizarres, les plus mal imaginés, et les moins analogues à leur signification; des queues tournées à droite, à gauche, en haut, en bas, et de biais, dans tous les sens, pour représenter des ut, des re, des mi, etc.; des têtes et des queues différemment situées pour répondre aux dénominations pa, ra, ga, so, bo, lo, do, ou d'autres signes tout aussi singulièrement appliqués. On sent d'abord que tout cela ne dit rien aux yeux et n'a nul rapport à ce qu'il doit signifier; et j'ose dire que les hommes ne trouveront jamais de caractères convenables ni naturels que les seuls

chiffres pour exprimer les sons et tous leurs rapports. On en connoîtra mille fois les raisons dans le cours de cette lecture: en attendant, il suffit de remarquer que les chiffres étant l'expression qu'on a donnée aux nombres, et les nombres euxmêmes étant les exposants de la génération des sons, rien n'est si naturel que l'expression des divers sons par les chiffres de l'arithmétique.

Il ne faut donc pas être surpris qu'on ait tenté quelquefois de ramener la musique à cette expression naturelle. Pour peu qu'on réfléchisse sur cet art, non en musicien, mais en philosophe, on en sent bientôt les défauts: l'on sent encore que ces défauts sont inhérents au fond même du système et dépendants uniquement du mauvais choix et non pas du mauvais usage de ses caractères ; car, d'ailleurs, on ne sauroit disconvenir qu'une longue pratique, suppléant en cela au raisonnement, ne nous ait appris à les combiner de la manière la plus avantageuse qu'ils peuvent l'être.

Enfin le raisonnement nous mène encore jusqu'à connoître sensiblement que la musique dépendant des nombres, elle devroit avoir la même expression qu'eux: nécessité qui ne naît pas seulement d'une certaine convenance générale, mais du fond même des principes physiques de cet art.

Quand on est une fois parvenu là par une suite de raisonnements bien fondés et bien consé

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