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que

les philosophes donnent insensiblement du goût aux peuples, c'est-à-dire du discernement pour les grands talents, et de l'admiration pour ceux qui les possèdent. Le compère vous répond que la philosophie n'inspire pas les talents, et vous avertit gravement de ne pas confondre le goût avec la sécheresse du calcul. Ma foi, je le dis de très bon cœur, le compère me paroît un homme admirable.

Laissez dire le compère; ne doutez pas qu'en effet nous ne soyons redevables aux philosophes de ces lumières agréables qui commencent à nous éclairer, et croyez que si la philosophie ne fait pas les grands artistes, l'argent les fait encore moins. Heureuse l'Italie, dont les habitants ont reçu de la nature ce goût exquis qui les rend sensibles aux charmes des beaux arts! Plus heureuse la France d'acquérir ce même goût à force d'études et de connoissances, et de devoir à l'art de penser l'art plus précieux de sentir! La philosophie, je le sais, n'engendre point le génie; mais si elle apprend aux nations à le connoître et à l'aimer, c'est lui donner un nouvel être non moins rare et non moins utile que celui qu'il tient de la nature.

Il assure qu'il n'y a point en Europe de nation plus attentive au spectacle que la françoise, et il convient que Paris est la seule ville où l'on soit contraint de poser des gardes dans les spectacles

pour contenir la criaillerie des juges de Corneille, de Racine, de Quinault. Il dit dans un endroit que la musique n'a point reçu de nos jours d'augmentation en France du côté du goût; et dans un autre, que M. Rameau nous a enrichis de son propre goût. Ce sont des raffinements de l'art, monsieur, que ces contradictions-là; c'est un moyen sûr de ne pas manquer la vérité dans les choses dont on veut raisonner sans y rien entendre.

Vous avez fini votre lettre par un trait de la plus grande beauté, et vous ne devez pas douter que celui qu'il regarde n'en ait senti la force et le vrai; c'est à ces hommes-là, quand ils sont des hommes, qu'il appartient d'apprécier le sublime. N'oubliez pas, je vous pric, à ce sujet, un petit remerciement au compère; car dans cet endroit il s'est surpassé lui-même.、

C'est encore par un trait d'habileté, qui mérite quelque compliment, que le commentateur ne dit pas un mot du sujet de votre lettre. Ces mystères sont pour lui lettres closes; croyez qu'il a eu de fort bonnes raisons pour n'en point parler. Vous nous avez appris, à tous tant que nous sommes, à faire l'analyse d'une pièce de musique; vous avez trouvé l'art d'exprimer les idées, les fautes, les contre-sens du musicien, en parodiant les paroles du poëte. Vous avez fait un choix exquis de pièces de comparaison, vous avez parlé des duo, de l'a

riette, du récitatif, en homme de goût, qui entend la musique, et qui sait réfléchir; et fuyant également l'air bêtement suffisant et la fourbe et maligne hypocrisie des écrits à la mode, vous avez eu la difficile modestie de ne juger que sur des raisons, et le courage de prononcer avec fermeté. Je me contente d'exposer ces choses; peut-être ne seront-elles louées de personne, mais à beaucoup de gens en profiteront.

coup

sûr

Quant à moi, qui vous dis librement ce que je pense à charge et à décharge, et à qui vos écrits donnent le droit d'être difficile avec vous, je voudrois premièrement que vous eussiez choisi un autre texte qu'Omphale; cette misérable rapsodie n'étoit pas digne de vous occuper. Je voudrois encore que vous eussiez mieux fait sentir la différence qui caractérise les deux récitatifs, et la raison décisive qui assure la supériorité au récitatif italien: savoir le rapport plus grand de celui-ci à la déclamation italienne que du récitatif françois à la déclamation françoise. Proprement les François n'ont point de vrai récitatif; ce qu'ils appellent ainsi n'est qu'une espèce de chant mêlé de cris, leurs airs ne sont à leur tour qu'une espèce de récitatif mêlé de chant et de cris; tout cela se confond, on ne sait ce que c'est que tout cela. Je crois pouvoir défier tout homme d'assigner dans la musique françoise aucune différence précise qui

distingue ce qu'ils appellent récitatif de ce qu'ils appellent air. Car je ne pense pas que personne ose alléguer la mesure: la preuve qu'il n'y en a point dans la musique françoise, c'est qu'il y faut toujours quelqu'un pour marquer la mesure. Combien d'étrangers ce maudit bâton ne fait-il pas déserter de notre Opéra!

En remarquant très bien la grande supériorité de l'ariette italienne, par la force et la variété des passions et des tableaux, vous auriez dû peut-être relever un ridicule contre-sens qu'on y trouve souvent, et qui est la seule chose que les musiciens françois en ont fidélement copiée: c'est que les paroles roulant ordinairement sur une comparaison, dont la première partie de l'ariette fait le premier membre, et la seconde le second, quand le musicien reprend le rondeau pour finir sur la première partie, il nous offre un sens tout semblable à celui d'un discours exactement ponctué, qui finiroit par une virgule.

Mais revenons au pauvre compère qui se morfond peut-être à écouter, et ne point entendre.

Le critique vous a donné un avis dont je vous conseille de faire votre profit; c'est d'être sobre sur les louanges dans un pays où elles sont si fort à la mode: déchirer ou encenser, voilà le partage des ames basses. Soyez toujours prêt à rendre avec plaisir justice au mérite; c'en est assez pour vous,

et c'en seroit beaucoup trop pour un homme ordinaire. Je ne vous dirai pas, Ne flattez jamais personne; si je vous en croyois capable, je ne vous dirois rien: mais je vous dirai de très bon cœur, Vous méprisez trop les éloges pour qu'il vous soit permis d'en inquiéter les gens dignes de votre estime. Quant au critique, on peut croire, en lisant ses remarques, que son prétendu détachement des louanges pourroit bien être un tour d'adresse pour tâcher de donner quelque valeur aux siennes, c'est-à-dire à celles qu'il donne, et l'on y voit du moins très clairement qu'il n'est pas homme à s'en faire faute dans le besoin.

Le compère ne me paroît pas extrêmement content de votre temple, et comme il ne sauroit le voir que par-dehors, il n'y a pas grand mal à cela; mais le critique vous y reproche des groupes singuliers, et je vous avoue que je suis de son avis. Je sais bien que cette singularité, qu'il aura prise pour une maladresse, est un arrangement très méthodique et l'effet d'un système raisonné: mais c'est le système propre que je condamne. Vous admirez tous les talents, et c'est tant mieux pour eux et pour vous; mais vous les admirez tous également, et voilà ce que je ne puis vous passer. Vous prétendez qu'ils ont tous la même origine, et que le génie qui les engendre les ennoblit également. Mais les génies eux-mêmes, direz-vous

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