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musique, au lieu de marcher ensemble, se font << entendre successivement, et où la phrase parlée « est en quelque sorte annoncée et préparée par « la phrase musicale. La scène de Pygmalion est << un exemple de ce genre de composition, qui « n'a pas eu d'imitateurs. En perfectionnant cette « méthode on réuniroit le double avantage de sou« lager l'acteur par de fréquents repos, et d'offrir « au spectateur françois l'espèce de mélodrame le plus convenable à sa langue. Cette réunion de << l'art déclamatoire avec l'art musical ne produira qu'imparfaitement tous les effets du vrai récitatif, et les oreilles délicates s'apercevront tou« jours désagréablement du contraste qui règne « entre le langage de l'acteur et celui de l'orchestre qui l'accompagne; mais un acteur sensible et « intelligent, en rapprochant le son de sa voix et « l'accent de sa déclamation de ce qu'exprime le « trait musical, mêle ces couleurs étrangères avec << tant d'art, que le spectateur n'en peut discerner « les nuances. Ainsi cette espéce d'ouvrage pour<< roit constituer un genre moyen entre la simple « déclamation et le véritable mélodrame, dont il « n'atteindra jamais la beauté. Au reste, quelques « difficultés qu'offre la langue, elles ne sont pas << insurmontables; l'auteur du Dictionnaire de Mu«sique a invité les compositeurs françois à faire 'Dictionnaire de Musique, article Récitatif obligé.

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<< de nouveaux essais, et à introduire dans leurs opéra le récitatif obligé, qui, lorsqu'on l'em<< ploie à propos, produit les plus grands effets.» D'où naît le charme du récitatif obligé? qu'estce qui fait son énergie? L'accent oratoire et pathétique de l'acteur produiroit-il seul autant d'effet? Non, sans doute. Mais les traits alternatifs de symphonie, réveillant et soutenant le sentiment de la mesure, que le seul récitatif laisseroit éteindre, joignent à l'expression purement déclamatoire toute celle du rhythme musical qui la renforce. Je distingue ici le rhythme et la mesure, parceque ce sont en effet deux choses très différentes: la mesure n'est qu'un retour périodique de temps égaux; le rhythme est la combinaison des valeurs ou des quantités qui remplissent les mêmes temps, appropriée aux expressions qu'on veut rendre et aux passions qu'on veut exciter. Il peut y avoir mesure sans rhythmę, mais il n'y a point de rhythme sans mesure... «C'est en approfondissant «< cette partie de son art, que le compositeur donne « l'essor à son génie; toute la science des accords « ne peut suffire à ses besoins. »

Il importe ici de remarquer, contre le préjugé de tous les musiciens, que l'harmonie par ellemême, ne pouvant parler qu'à l'oreille et n'imitant rien, ne peut avoir que de très foibles effets. Quand elle entre avec succès dans la musique

imitative, ce n'est jamais qu'en représentant, déterminant, et renforçant les accents mélodieux, qui par eux-mêmes ne sont pas toujours assez déterminés sans le secours de l'accompagnement. Des intervalles absolus n'ont aucun caractère par eux-mêmes; une seconde superflue et une tierce mineure, une septième mineure et une sixte superflue, une fausse quinte et un triton, sont le même intervalle, et ne prennent les affections qui les déterminent que par leur place dans la modulation ; et c'est à l'accompagnement de leur fixer cette place, qui resteroit souvent équivoque par le seul chant. Voilà quel est l'usage et l'effet de l'harmonie dans la musique imitative et théâtrale. C'est par les accents de la mélodie, c'est par cadence du rhythme, que la musique, imitant les inflexions que donnent les passions à la voix humaine, peut pénétrer jusqu'au cœur et l'émouvoir par des sentiments; au lieu que la seule harmonie, n'imitant rien, ne peut donner qu'un plaisir de sensation. De simples accords peuvent flatter l'oreille, comme de belles couleurs flattent les yeux; mais ni les uns ni les autres ne porteront jamais au cœur la moindre émotion, parceque ni les uns ni les autres n'imitent rien, si le dessin ne vient animer les couleurs, et si la mélodie ne vient animer les accords. Mais, au contraire, le dessin par lui-même peut, sans coloris, nous

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représenter des objets attendrissants; et la mélodie imitative peut de même nous émouvoir seule sans le secours des accords..

Voilà ce qui rend toute la musique françoise si languissante et si fade, parceque dans leurs froides scènes, pleins de leurs sots préjugés et de leur science, qui, dans le fond, n'est qu'une ignorance véritable, puisqu'ils ne savent pas en quoi consistent les plus grandes beautés de leur art, les compositeurs françois ne cherchent que dans les accords les grands effets dont l'énergie n'est que dans le rhythme. M. Gluck sait mieux que moi que le rhythme sans harmonie agit bien plus puissamment sur l'ame que l'harmonie sans rhythme, lui qui, avec une harmonie à mon avis un peu monotone, ne laisse pas de produire de si grandes émotions, parcequ'il sent et qu'il emploie avec un art profond tous les prestiges de la mesure et de la quantité. Mais je l'exhorte à ne pas trop se prévenir pour la déclamation, et à penser toujours qu'un des défauts de la musique purement déclamatoire est de perdre une partie des ressources du rhythme, dont la plus grande force est dans les airs..

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<< J'ai rempli la partie la moins pénible de la « tâche que je me suis imposée: une observation

«< générale sur la marche de l'opéra d'Alceste m'a «< conduit à traiter cette question vraiment inté« ressante : Quelle est la liberté qu'on doit accor« der au musicien qui travaille sur un poëme dont «< il n'est pas l'auteur? J'ai distingué les trois par<< ties de la musique imitative; et, en convenant ❝ que l'accent est déterminé par le poëte, j'ai fait << voir que l'harmonie, et sur-tout le rhythme, of« froient aux musiciens des ressources dont il de« voit profiter. >>

Il faut entrer dans les détails : c'est une grande fatigue pour moi de suivre des partitions un peu chargées ; celle d'Alceste l'est beaucoup, et de plus très embrouillée, pleine de fausses clefs, de fausses notes, de parties entassées confusément....

En examinant le drame d'Alceste, et la manière dont M. Gluck s'est cru obligé de le traiter, on a peine à comprendre comment il en a pu rendre la représentation supportable: non que ce drame, écrit sur le plan des tragédies grecques, ne brille de solides beautés, non que la musique n'en soit admirable, mais par les difficultés qu'il a fallu vaincre dans une si grande uniformité de caractères et d'expression, pour prévenir l'accablement et l'ennui, et soutenir jusqu'au bout l'intérêt et l'attention..

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