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pouvoit parvenir, ce ne seroit jamais qu'en fortifiant une des grandes puissances de la musique, qui est le rhythme musical, bien différent pour nous du rhythme poétique, et qui ne peut même s'associer avec lui que très rarement et très imparfaitement.

C'est un grand et beau problème à résoudre, de déterminer jusqu'à quel point on peut faire chanter la langue et parler la musique. C'est d'une bonne solution de ce problème que dépend toute la théorie de la musique dramatique. L'instinct seul a conduit, sur ce point, les Italiens dans la pratique aussi bien qu'il étoit possible; et les défauts énormes de leurs opéra ne viennent pas d'un mauvais genre de musique, mais d'une mauvaise application d'un bon genre.

L'accent oral par lui-même a sans doute une grande force, mais c'est seulement dans la déclamation: cette force est indépendante de toute musique, et, avec cet accent seul, on peut faire entendre une bonne tragédie, mais non pas un bon opéra. Sitôt que la musique s'y mêle, il faut qu'elle s'arme de tous ses charmes pour subjuguer le cœur par l'oreille. Si elle n'y déploie toutes ses beautés, elle y sera importune, comme si l'on faisoit accompagner un orateur par des instruments; mais en y mêlant ses richesses, il faut pourtant que ce soit avec un grand ménagement,

afin de prévenir l'épuisement où jetteroit bientôt nos organes une longue action tout en musique.

De ces principes il suit qu'il faut varier dans un drame l'application de la musique, tantôt en laissant dominer l'accent de la langue et le rhythme poétique, et tantôt en faisant dominer la musique à son tour, et prodiguant toutes les richesses de la mélodie, de l'harmonie, et du rhythme musical, pour frapper l'oreille et toucher le cœur par des charmes auxquels il ne puisse résister. Voilà les raisons de la division d'un opéra en récitatif simple, récitatif obligé, et airs.

Quand le discours, rapide dans sa marche, doit être simplement débité, c'est le cas de s'y livrer uniquement à l'accent de la déclamation ; et quand la langue a un accent, il ne s'agit que de rendre cet accent appréciable, en le notant par des intervalles musicaux, en s'attachant fidèlement à la prosodie, au rhythme poétique, et aux inflexions passionnées qu'exige le sens du discours. Voilà le récitatif simple, et ce récitatif doit être aussi près de la simple parole qu'il est possible; il ne doit tenir à la musique que parceque la musique est la langue de l'opéra, et que parler et chanter alternativement, comme on fait ici dans les opéracomiques, c'est s'énoncer successivement dans deux langues différentes; ce qui rend toujours choquant et ridicule le passage de l'une à l'autre,

et qu'il est souverainement absurde qu'au moment où l'on se passionne on change de voix pour dire une chanson. L'accompagnement de la basse est nécessaire dans le récitatif simple, non seulement pour soutenir et guider l'acteur, mais aussi pour déterminer l'espèce des intervalles, et marquer avec précision les entrelacements de modulation qui font tant d'effet dans un beau récitatif; mais loin qu'il soit nécessaire de rendre cet accompagnement éclatant, je voudrois au contraire qu'il ne se fit point remarquer, et qu'il produisît son effet sans qu'on y fit aucune attention. Ainsi je crois que les autres instruments ne doivent point s'y mêler, quand ce ne seroit que pour laisser reposer, tant les oreilles des auditeurs, que l'orchestre, qu'on doit tout-à-fait oublier, et dont les rentrées bien ménagées font par-là un plus grand effet; au lieu que, quand la symphonie règne tout le long de la pièce, elle a beau commencer par plaire, elle finit par accabler. Le récitatif ennuie sur les théâtres d'Italie, non seulement parcequ'il est trop long, mais parcequ'il est mal chanté et plus mal placé. Des scènes vives, intéressantes, comme doivent toujours être celles d'un opéra, rendues avec chaleur, avec vérité, et soutenues d'un jeu naturel et animé, ne peuvent manquer d'émouvoir et de plaire, à la faveur de l'illusion: mais débitées froidement et platement

ÉCRITS SUR LA MUSIQUE.

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par des castrats, comme des leçons d'écolier, elles ennuieront sans doute, et sur-tout quand elles seront trop longues; mais ce ne sera pas la faute du récitatif.

Dans les moments où le récitatif, moins récitant et plus passionné, prend un caractère plus touchant, on peut y placer avec succès un simple accompagnement de notes tenues, qui, par le concours de cette harmonie, donnent plus de douceur à l'expression. C'est le simple récitatif accompagné, qui, revenant par intervalles rares et bien choisis, contraste avec la sécheresse du récitatif nu, et produit un très bon effet.

Enfin, quand la violence de la passion fait entrecouper la parole par des propos commencés et interrompus, tant à cause de la force des sentiments qui ne trouvent point de termes suffisants pour s'exprimer, qu'à cause de leur impétuosité qui les fait succéder en tumulte les uns aux autres, avec une rapidité sans suite et sans ordre, je crois que le mélange alternatif de la parole et de la symphonie peut seul exprimer une pareille situation. L'acteur livré tout entier à sa passion n'en doit trouver que l'accent. La mélodie trop peu appropriée à l'accent de la langue, et le rhythme musical qui ne s'y prête point du tout, affoibliroient, énerveroient toute l'expression en s'y mêlant; cependant ce rhythme et cette mélodie ont un grand

charme pour l'oreille, et par elle une grande force sur le cœur. Que faire alors pour employer à-lafois toutes ces espèces de forces? Faire exactement ce qu'on fait dans le récitatif obligé : donner à la parole tout l'accent possible et convenable à ce qu'elle exprime, et jeter dans des ritournelles de symphonie toute la mélodie, toute la cadence et le rhythme qui peuvent venir à l'appui. Le silence de l'acteur dit alors plus que ses paroles; et ces réticences bien placées, bien ménagées, et remplies d'un côté par la voix de l'orchestre, et d'un autre par le jeu muet d'un acteur qui sent et ce qu'il dit et ce qu'il ne peut dire; ces réticences, dis-je, font un effet supérieur à celui même de la déclamation, et l'on ne peut les ôter sans lui ôter la plus grande partie de sa force. Il n'y a point de bon acteur qui dans ces moments violents ne fasse de longues pauses; et ces pauses, remplies d'une expression analogue par une ritournelle mélodieuse et bien ménagée, ne doivent-elles pas devenir encore plus intéressantes que lorsqu'il y régne un silence absolu? Je n'en veux pour preuve que l'effet étonnant que ne manque jamais de produire tout récitatif obligé bien placé et bien traité.

Persuadé que la langue françoise, destituée de tout accent, n'est nullement propre à la musique et principalement au récitatif, j'ai imaginé un genre de drame « dans lequel les paroles et la

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