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lui fournir pour soutenir l'intérêt, varier la scène, et donner au musicien de l'étoffe pour de nouveaux caractères de musique. Il falloit faire mourir Alceste au second acte, et employer tout le troisième à préparer, par un nouvel intérêt, sa résurrection; ce qui pouvoit amener un coup de théâtre aussi admirable et frappant que ce froid retour est insipide. Mais, sans m'arrêter à ce que l'auteur du drame auroit dû faire, je reviens ici à la musique.

Son auteur avoit donc à vaincre l'ennui de cette uniformité de passion, et à prévenir l'accablement qui devoit en être l'effet. Quel étoit le premier, le plus grand moyen qui se présentoit pour cela? C'étoit de suppléer à ce que n'avoit pas fait l'auteur du drame, en graduant tellement sa marche, que la musique augmentât toujours de chaleur en avançant, et devînt enfin d'une véhémence qui transportât l'auditeur; et il falloit tellement ménager ce progrès, que cette agitation finit ou changeât d'objet avant de jeter l'oreille et le cœur dans l'épuisement.

C'est ce que M. Gluck me paroît n'avoir pas fait, puisque son premier acte, aussi fort de musique que le second, l'est beaucoup plus que le troisième; qu'ainsi la véhémence ne va point en croissant; et, dès les deux premières scènes du second acte, l'auteur ayant épuisé toutes les forces de son

art, ne peut plus dans la suite que soutenir foiblement des émotions du même genre, qu'il a trop tôt portées au plus haut degré.

L'objection se présente ici d'elle-même. C'étoit à l'auteur des paroles de renforcer, par une marche graduée, la chaleur et l'intérêt. Celui de la musique n'a pu rendre les affections de ses personnages que dans le même ordre et au même degré que le drame les lui présentoit: il eût fait des contre-sens, s'il eût donné à ses expressions d'autres nuances que celles qu'exigeoient de lui les paroles qu'il avoit à rendre. Voilà l'objection: voici ma réponse. M. Gluck sentira bientôt qu'entre tous les musiciens de l'Europe elle n'est faite que pour lui seul.

Trois choses concourent à produire les grands effets de la musique dramatique, savoir: l'accent, l'harmonie, et le rhythme. L'accent est déterminé par le poëte, et le musicien ne peut guère, sans faire des contre-sens, s'écarter en cela, ni pour le choix ni pour la force, de la juste expression des paroles. Mais quant aux deux autres parties, qui ne sont pas de même inhérentes à la langue, il peut, jusqu'à certain point, les combiner à son gré, pour modifier et graduer l'intérêt, selon qu'il convient à la marche qu'il s'est prescrite. . . .

J'oserai même dire que le plaisir de l'oreille

doit quelquefois l'emporter sur la vérité de l'expression; car la musique ne sauroit aller au cœur que par le charme de la mélodie; et s'il n'étoit question que de rendre l'accent de la passion, l'art de la déclamation suffiroit seul, et la musique, devenue inutile, seroit plutôt importune qu'agréable: voilà l'un des écueils que le compositeur, trop plein de son expression, doit éviter soigneusement. Il y a dans tous les bons opéra, et sur-tout dans ceux de M. Gluck, mille morceaux qui font couler des larmes par la musique, et qui ne donneroient qu'une émotion médiocre ou nulle, dépourvus de son secours, quelque bien déclamés qu'ils pussent être..

Il suit de là que, sans altérer la vérité de l'expression, le musicien qui module long-temps dans les mêmes tons, et n'en change que rarement, est maître d'en varier les nuances par la combinaison des deux parties accessoires qu'il y fait concourir, savoir, l'harmonie et le rhythme. Parlons d'abord de la première. J'en distingue de trois espèces : l'harmonie diatonique, la plus simple des trois, et peut-être la seule naturelle; l'harmonie chromatique, qui consiste en de continuels changements de ton par des successions fondamentales de quintes ; et enfin l'harmonie que j'appelle pathétique, qui consiste en des entre

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lacements d'accords superflus et diminués, à la faveur desquels on parcourt des tons qui ont peu d'analogie entre eux: on affecte l'oreille d'intervalles déchirants, et l'ame d'idées rapides et vives, capables de la troubler.

L'harmonie diatonique n'est nulle part déplacée, elle est propre à tous les caractères; à l'aide du rhythme et de la mélodie, elle peut suffire à toutes les expressions: elle est nécessaire aux deux autres harmonies, et toute musique où elle n'entreroit point ne pourroit jamais être qu'une musique détestable.

L'harmonie chromatique entre de même dans l'harmonie pathétique; mais elle peut fort bien s'en passer, et rendre, quoiqu'à son défaut, peutêtre plus foiblement, les expressions les plus pathétiques. Ainsi, par la succession ménagée de ces trois harmonies, le musicien peut graduer et renforcer les sentiments de même genre que le poëte a soutenus trop long-temps au même degré d'énergie.

Il a pour cela une seconde ressource dans la mélodie, et sur-tout dans sa cadence diversement scandée par le rhythme. Les mouvements extrêmes de vitesse et de lenteur, les mesures contrastées, les valeurs inégales, mêlées de lenteur et de rapidité, tout cela peut de même se graduer pour soutenir et ranimer l'intérêt et l'attention.

Enfin, l'on a le plus ou moins de bruit et d'éclat, l'harmonie plus ou moins pleine, les silences de l'orchestre, dont le perpétuel fracas seroit accablant pour l'oreille, quelque beaux qu'en pussent être les effets.

Quant au rhythme, en quoi consiste la plus grande force de la musique, il demande un grand art pour être heureusement traité dans la vocale. J'ai dit, et je le crois, que les tragédies grecques étoient de vrais opéra. La langue grecque, vraiment harmonieuse et musicale, avoit par ellemême un accent mélodieux; il ne falloit qu'y joindre le rhythme pour rendre la déclamation musicale: ainsi non seulement les tragédies, mais toutes les poésies étoient nécessairement chantées. Les poëtes disoient avec raison, je chante, au commencement de leurs poëmes; formule que les nôtres ont très ridiculement conservée: mais nos langues modernes, production des peuples barbares, n'étant point naturellement musicales, pas même l'italienne, il faut, quand on veut leur appliquer la musique, prendre de grandes précautions pour rendre cette union supportable, et pour la rendre assez naturelle dans la musique imitative pour faire illusion au théâtre. Mais, de quelque façon qu'on s'y prenne, on ne parviendra jamais à persuader à l'auditeur que le chant qu'il entend n'est que de la parole; et si l'on y

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