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même ton, sans la moindre transition intellectuelle, sans le moindre écart harmonique, d'une manière si insipide, avec une mélodie si peu caractérisée et une si inconcevable maladresse, qu'au lieu du dernier vers que dit le poëte:

Achevons. Je frémis..... Vengeons-nous..... Je soupire.

le musicien dit exactement celui-ci:

Achevons, achevons. Vengeons-nous, vengeons-nous.

Les trilles font sur-tout un bel effet sur de telles paroles, et c'est une chose bien trouvée que la cadence parfaite sur le mot soupire!

Est-ce ainsi que je dois me venger aujourd'hui ?
Ma colère s'éteint quand j'approche de lui.

Ces deux vers seroient bien déclamés s'il y avoit plus d'intervalle entre eux, et que le second ne finît pas par une cadence parfaite. Ces cadences parfaites sont toujours la mort de l'expression, sur-tout dans le récitatif françois, où elles tombent si lourdement.

Plus je le vois, plus ma vengeance est vaine.

Toute personne qui sentira la véritable déclamation de ce vers, jugera que le second hémistiche est à contre-sens; la voix doit s'élever sur ma vengeance, et retomber doucement sur vaine.

Mon bras tremblant se refuse à ma haine.

Mauvaise cadence parfaite, d'autant plus qu'elle est accompagnée d'un trille.

Ah! quelle cruauté de lui ravir le jour!

Faites déclamer ce vers à mademoiselle Dumesnil, et vous trouverez que le mot cruauté sera le plus élevé, et que la voix ira toujours en baissant jusqu'à la fin du vers. Mais le moyen de ne pas faire poindre le jour! Je reconnois là le mu

sicien.

Je passe, pour abréger, le reste de cette scène, qui n'a plus rien d'intéressant ni de remarquable que les contre-sens ordinaires et des trilles continuels, et je finis par le vers qui la termine.

Que, s'il se peut, je le haïsse.

Cette parenthèse, s'il se peut, me semble une épreuve suffisante du talent du musicien : quand on la trouve sur le même ton, sur les mêmes notes que je le haïsse, il est bien difficile de ne pas sentir combien Lulli étoit peu capable de mettre de la musique sur les paroles du grand homme qu'il tenoit à ses gages.

A l'égard du petit air de guinguette qui est à la fin de ce monologue, je veux bien consentir à n'en rien dire; et s'il y a quelques amateurs de la

musique françoise qui connoissent la scène italienne qu'on a mise en parallèle avec celle-ci, et sur-tout l'air impétueux, pathétique, et tragique qui la termine, ils me sauront gré sans doute de ce silence.

Pour résumer en peu de mots mon sentiment sur le célèbre monologue, je dis que si on l'envisage comme du chant, on n'y trouve ni mesure, ni caractère, ni mélodie; si l'on veut que ce soit du récitatif, on n'y trouve ni naturel, ni expression: quelque nom qu'on veuille lui donner, on le trouve rempli de sons filés, de trilles, et autres ornements du chant, bien plus ridicules encore dans une pareille situation qu'ils ne le sont communément dans la musique françoise. La modulation en est régulière, mais puérile par cela même, scolastique, sans énergie, sans affection sensible. L'accompagnement s'y borne à la basse-continue, dans une situation où toutes les puissances de la musique doivent être déployées ; et cette basse est plutôt celle qu'on feroit mettre à un écolier sous sa leçon de musique, que l'accompagnement d'une vive scène d'opéra, dont l'harmonie doit être choisie et appliquée avec un discernement exquis pour rendre la déclamation plus sensible et l'expression plus vive. En un mot, si l'on s'avisoit d'exécuter la musique de cette scène sans y joindre les paroles, sans crier ni gesticuler, il ne seroit

pas possible d'y rien démêler d'analogue à la situation qu'elle veut peindre et au sentiment qu'elle veut exprimer, et tout cela ne paroîtroit qu'une ennuyeuse suite de sons, modulée au hasard et seulement pour la faire durer,

Cependant ce monologue a toujours fait, et je ne doute pas qu'il ne fit encore un grand effet au théâtre, parceque les vers en sont admirables et la situation vive et intéressante. Mais, sans les bras et le jeu de l'actrice, je suis persuadé que personne n'en pourroit souffrir le récitatif, et qu'une pareille musique a grand besoin du secours des yeux pour être supportable aux oreilles.

Je crois avoir fait voir qu'il n'y a ni mesure ni mélodie dans la musique françoise, parceque la langue n'en est pas susceptible; que le chant françois n'est qu'un aboiement continuel, insupportable à toute oreille non prévenue; que l'harmonie en est brute, sans expression, et sentant uniquement son remplissage d'écolier; que les airs françois ne sont point des airs; que le récitatif françois n'est point du récitatif. D'où je conclus que les François n'ont point de musique et n'en peuvent avoir', ou que, si jamais ils en ont une, ce sera tant pis pour eux.

Je suis, etc.

Je n'appelle pas avoir une musique, que d'emprunter celle d'une autre langue pour tâcher de l'appliquer à la sienne; et j'ai

merois mieux que nous gardassions notre maussade et ridicule chant que d'associer encore plus ridiculement la mélodie italienne à la langue françoise. Ce dégoûtant assemblage, qui peut-être fera désormais l'étude de nos musiciens, est trop monstrueux pour être admis, et le caractère de notre langue ne s'y prêtera jamais. Tout au plus quelques pièces comiques pourront-elles passer en faveur de la symphonie ; mais je prédis hardiment que le genre tragique ne sera pas même tenté. On a applaudi, cet été, à l'Opéra-Comique, l'ouvrage d'un homme de talent, qui paroît avoir écouté la bonne musique avec de bonnes oreilles, et qui en a traduit le genre en françois d'aussi près qu'il étoit possible: ses accompagnements sont bien imités sans être copiés; et s'il n'a point fait de chant, c'est qu'il n'est pas possible d'en faire. Jeunes musiciens qui vous sentez du talent, continuez de mépriser en public la musique italienne, je sens bien que votre intérêt présent l'exige; mais hâtez-vous d'étudier en particulier cette langue et cette musique, si vous voulez pouvoir tourner un jour contre vos camarades le dédain que vous affectez aujourd'hui contre vos maîtres.

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