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n'ont pas été une seule fois saisies par celui-ci. L'héroïne finit par adorer celui qu'elle vouloit égorger au commencement; le musicien finit en E si mi, comme il avoit commencé, sans avoir jamais quitté les cordes les plus analogues au ton principal, sans avoir mis une seule fois dans la déclamation de l'actrice la moindre inflexion extraordinaire qui fit foi de l'agitation de son ame, sans avoir donné la moindre expression à l'harmonie et je défie qui que ce soit d'assigner par la musique seule, soit dans le ton, soit dans la mélodie, soit dans la déclamation, soit dans l'accompagnement, aucune différence sensible entre le commencement et la fin de cette scène, par où le spectateur puisse juger du changement prodigieux qui s'est fait dans le cœur d'Armide.

Observez cette basse continue: que de croches! que de petites notes passagères pour courir après la succession harmonique! Est-ce ainsi que mar che la basse d'un bon récitatif, où l'on ne doit entendre que de grosses notes, de loin en loin, le plus rarement qu'il est possible, et seulement pour empêcher la voix du récitant et l'oreille du spectateur de s'égarer?

Mais voyons comment sont rendus les beaux vers de ce monologue, qui peut passer en effet pour un chef-d'œuvre de poésie :

Enfin il est en ma puissance.....

Voilà un trille', et, qui pis est, un repos absolu dès le premier vers, tandis que le sens n'est achevé qu'au second. J'avoue que le poëte eût peut-être mieux fait d'omettre ce second vers, et de laisser aux spectateurs le plaisir d'en lire le sens dans l'ame de l'actrice; mais puisqu'il l'a employé, c'étoit au musicien de le rendre.

Ce fatal ennemi, ce superbe vainqueur!

Je pardonnerois peut-être au musicien d'avoir mis ce second vers dans un autre ton que le prémier, s'il se permettoit un peu plus d'en changer dans les occasions nécessaires.

Le charme du sommeil le livre à ma vengeance.

Les mots de charme et de sommeil ont été pour le musicien un piège inévitable; il a oublié la fureur d'Armide, pour faire ici un petit somme dont il se réveillera au mot percer. Si vous croyez que c'est par hasard qu'il a employé des sons doux sur le premier hémistiche, vous n'avez qu'à écouter la basse : Lulli n'étoit pas homme à employer de ces dièses pour rien.

"Je suis contraint de franciser ce mot, pour exprimer le battement de gosier que les Italiens appellent ainsi, parceque, me trouvant à chaque instant dans la nécessité de me servir du mot de cadence dans une autre acception, il ne m'étoit pas possible d'éviter autrement des équivoques continuelles.

Je vais percer son invincible cœur.

Que cette cadence finale est ridicule dans un mouvement aussi impétueux' Que ce trille est froid et de mauvaise grace! Qu'il est mal placé sur une syllabe brève, dans un récitatif qui devroit voler, et au milieu d'un transport violent!

Par lui tous mes captifs sont sortis d'esclavage:
Qu'il éprouve toute ma rage.

On voit qu'il y a ici une adroite reticence du poëte. Armide, après avoir dit qu'elle va percer l'invincible cœur de Renaud, sent dans le sien les premiers mouvements de la pitié, ou plutôt de l'amour: elle cherche des raisons pour se raffermir, et cette transition intellectuelle amène fort bien ces deux vers, qui, sans cela, se lieroient mal avec les précédents, et deviendroient une répétition tout-à-fait superflue de ce qui n'est ignoré ni de l'actrice ni des spectateurs.

Voyons maintenant comment le musicien à exprimé cette marche secrète du cœur d'Armide. Il a bien vu qu'il falloit mettre un intervalle entre ces deux vers et les précédents, et il a fait un silence qu'il n'a rempli de rien, dans un moment où Armide avoit tant de choses à sentir, et, par conséquent, l'orchestre à exprimer. Après cette pause, il recommence exactement dans le même

ÉCRITS SUR LA MUSIQUE.

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ton, sur le même accord, sur la même note par où il vient de finir, passe successivement par tous les sons de l'accord durant une mesure entière, et quitte enfin avec peine, et dans un moment où cela n'est plus nécessaire, le ton autour duquel il vient de tourner si mal-à-propos.

Quel trouble me saisit? Qui me fait hésiter?

Autre silence, et puis c'est tout. Ce vers est dans le même ton, presque dans le même accord que le précédent. Pas une altération qui puisse indiquer le changement prodigieux qui se fait dans l'ame et dans le discours d'Armide. La tonique, il est vrai, devient dominante par un mouvement de basse. Eh dieux! il est bien question de tonique et de dominante dans un instant où toute liaison harmonique doit être interrompue, où tout doit peindre le désordre et l'agitation! D'ailleurs, une légère altération qui n'est que dans la basse, peut donner plus d'énergie aux inflexions de la voix, mais jamais y suppléer. Dans ce vers, le cœur, les yeux, le visage, le geste d'Armide, tout est changé, hormis sa voix : elle parle plus bas, mais elle garde le même ton.

Qu'est-ce qu'en sa faveur la pitié me veut dire ?
Frappons.

Comme ce vers peut être pris en deux sens différents, je ne veux pas chicaner Lulli pour

n'avoir pas préféré celui que j'aurois choisi. Cependant il est incomparablement plus vif, plus animé, et fait mieux valoir ce qui suit. Armide, comme Lulli la fait parler, continue à s'attendrir en s'en demandant la cause à elle-même:

Qu'est-ce qu'en sa faveur la pitié me veut dire ?

Puis tout d'un coup elle revient à sa fureur par ce seul mot:

Frappons.

Armide indignée, comme je la conçois, après avoir hésité, rejette avec précipitation sa vaine pitié, et prononce vivement et tout d'une haleine, en levant le poignard:

Qu'est-ce qu'en sa faveur la pitié me veut dire?
Frappons.

Peut-être Lulli lui-même a-t-il entendu ainsi ce vers, quoiqu'il l'ait rendu autrement: car sa note décide si peu la déclamation, qu'on lui peut donner sans risque le sens que l'on aime mieux.

· Ciel ! qui peut m'arrêter?

Achevons..... Je frémis. Vengeons-nous..... Je soupire.

Voilà certainement le moment le plus violent de toute la scène; c'est ici que se fait le plus grand combat dans le cœur d'Armide. Qui croiroit que le musicien a laissé toute cette agitation dans le

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