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je semblois accorder tout l'avantage à la mélodie, et que l'expression du chant donne lieu à celle des accords en forçant le compositeur à les ménager.

Vous ressouvenez-vous, monsieur, d'avoir entendu quelquefois, dans les intermèdes qu'on nous a donnés cette année, le fils de l'entrepreneur italien, jeune enfant de dix ans au plus, accompagner quelquefois à l'Opéra? Nous fùmes frappés, dès le premier jour, de l'effet que produisoit sous ses petits doigts l'accompagnement du clavecin ; et tout le spectacle s'aperçut à son jeu précis et brillant que ce n'étoit pas l'accompagnateur ordinaire. Je cherchai aussitôt les raisons de cette différence, car je ne doutois pas que le sieur Noblet ne fût bon harmoniste et n'accompagnât très exactement: mais quelle fut ma surprise, en observant les mains du petit bonhomme, de voir qu'il ne remplissoit presque jamais les accords, qu'il supprimoit beaucoup de sons, et n'employoit très souvent que deux doigts, dont l'un sonnoit presque toujours l'octave de la basse! Quoi! disois-je en moi-même, l'harmonie complète fait moins d'effet que l'harmonie mutilée, et nos accompagnateurs, en rendant tous les accords pleins, ne font qu'un bruit confus, tandis que celui-ci, avec moins de sons, fait plus d'harmonie, ou, du moins, rend son accompagne

ment plus sensible et plus agréable! Ceci fut pour moi un problème inquiétant; et j'en compris encore mieux toute l'importance, quand, après d'autres observations, je vis que les Italiens accompagnoient tous de la même manière que le petit bambin, et que, par conséquent, cette épargne dans leur accompagnement devoit tenir au même principe que celle qu'ils affectent dans leur partition.

Je comprenois bien que la basse, étant le fondement de toute l'harmonie, doit toujours dominer sur le reste, et que, quand les autres parties l'étouffent ou la couvrent, il en résulte une confusion qui peut rendre l'harmonie plus sourde; et je m'expliquois ainsi pourquoi les Italiens, si économes de leur main droite dans l'accompagnement, redoublent ordinairement à la gauche l'octave de la basse; pourquoi ils mettent tant de contre-basses dans leurs orchestres, et pourquoi ils font si souvent marcher leurs quintes1 avec la basse, au lieu de leur donner une autre partie, comme les François ne manquent jamais de faire. Mais ceci, qui pouvoit rendre raison de la netteté

'On peut remarquer à l'orchestre de notre Opéra que, dans la musique italienne, les quintes ne jouent presque jamais leur partie quand elle est à l'octave de la basse ; peut-être ne daigne-t-on pas même la copier en pareil cas. Ceux qui conduisent l'orchestre ignoreroient-ils que ce défaut de liaison entre la basse et le dessus rend l'harmonie trop sèche?

des accords, n'en rendoit pas de leur énergie, et je vis bientôt qu'il devoit y avoir quelque principe plus caché et plus fin de l'expression que je remarquois dans la simplicité de l'harmonie italienne, tandis que je trouvois la nôtre si composée, si froide, et si languissante.

Je me souvins alors d'avoir lu dans quelque ouvrage de M. Rameau que chaque consonnance a son caractère particulier, c'est-à-dire une manière d'affecter l'ame qui lui est propre; que l'effet de la tierce n'est point le même que celui de la quinte, ni l'effet de la quarte le même que celui de la sixte de même les tierces et les sixtes mineures doivent produire des affections différentes de celles que produisent les tierces et les sixtes majeures; et ces faits une fois accordés, il s'ensuit assez évidemment que les dissonances et tous les intervalles possibles seront aussi dans le même cas: expérience que la raison confirme, puisque, toutes les fois que les rapports sont différents, l'impression ne sauroit être la même.

Or, me disois-je à moi-même en raisonnant d'après cette supposition, je vois clairement que deux consonnances ajoutées l'une à l'autre mal-àpropos, quoique selon les règles des accords, pourront, même en augmentant l'harmonie, affoiblir mutuellement leur effet, le combattre ou le partager. Si tout l'effet d'une quinte m'est néces

saire pour l'expression dont j'ai besoin, je peux risquer d'affoiblir cette expression par un troisième son, qui, divisant cette quinte en deux autres intervalles, en modifiera nécessairement l'effet par celui des deux tierces dans lesquelles je la résous; et ces tierces mêmes, quoique le tout ensemble fasse une fort bonne harmonie, étant de différente espèce, peuvent encore nuire mutuellement à l'impression l'une de l'autre. De même si l'impression simultanée de la quinte et des deux tierces m'étoit nécessaire, j'affoiblirois et j'altérerois malà-propos cette impression en retranchant un des trois sons qui en forment l'accord. Ce raisonnement devient encore plus sensible appliqué à la dissonance. Supposons que j'aie besoin de toute la dureté du triton, ou de toute la fadeur de la fausse quinte, opposition, pour le dire en passant, qui prouve combien les divers renversements des accords en peuvent changer l'effet; si, dans une ` telle circonstance, au lieu de porter à l'oreille les deux uniques sons qui forment la dissonance, je m'avise de remplir l'accord de tous ceux qui lui conviennent, alors j'ajoute au triton la seconde et la sixte, et à la fausse quinte la sixte et la tierce, c'est-à-dire qu'introduisant dans chacun de ces accords une nouvelle dissonance, j'y introduis en même temps trois consonnances qui doivent nécessairement en tempérer et affoiblir l'effet, en

rendant un de ces accords moins fade et l'autre moins dur. C'est donc un principe certain et fondé dans la nature, que toute musique où l'harmonic est scrupuleusement remplie, tout accompagnement où tous les accords sont complets, doit faire beaucoup de bruit, mais avoir très peu d'expression: ce qui est précisément le caractère de la musique françoise. Il est vrai qu'en ménageant' les accords et les parties, le choix devient difficile et demande beaucoup d'expérience et de goût pour le faire toujours à propos: mais s'il y a une règle pour aider au compositeur à se bien conduire en pareille occasion, c'est certainement celle de l'unité de mélodie que j'ai tâché d'établir, ce qui se rapporte au caractère de la musique italienne, et rend raison de la douceur du chant, joint à la force d'expression qui y règne.

Il suit de tout ceci qu'après avoir bien étudié les règles élémentaires de l'harmonie, le musicien ne doit point se hâter de la prodiguer inconsidérément, ni se croire en état de composer parcequ'il sait remplir des accords, mais qu'il doit, avant que de mettre la main à l'œuvre, s'appliquer à l'étude beaucoup plus longue et plus difficile des impressions diverses que les consonnances, les dissonances, et tous les accords, font sur les oreilles sensibles, et se dire souvent à luimême que le grand art du compositeur ne consiste

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