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les portails de nos églises gothiques, que pour la honte de ceux qui ont eu la patience de les faire.

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Il a été un temps où l'Italie étoit barbaret et, même après la renaissance des autres arts, que l'Europe lui doit tous, la musique plus tardive n'y a point pris aisément cette pureté de goût qu'on voit briller aujourd'hui ; et l'on ne peut guère donner une plus mauvaise idée de ce qu'elle étoit alors, qu'en remarquant qu'il n'y a eu pendant long-temps qu'une même musique en France et en Italie', et que les musiciens des deux contrées communiquoient familièrement entre eux, non pourtant sans qu'on pût remarquer déja dans les nôtres le germe de cette jalousie qui est inséparable de l'infériorité. Lulli même, alarmé de l'arrivée de Corelli, se hâta de le faire chasser de France; ce qui lui fut d'autant plus aisé que Corelli étoit plus grand homme, et, par conséquent,' moins courtisan que lui. Dans ces temps où la

1 L'abbé du Bos se tourmente beaucoup pour faire honneur aux Pays-Bas du renouvellement de la musique, et cela pourroit s'admettre si l'on donnoit le nom de musique à un continuel remplissage d'accords; mais si l'harmonie n'est que la base commune, et que la mélodie seule constitue le caractère, non seulement la musique moderne est née en Italie, mais il y a quelque apparence que, dans toutes nos langues vivantes, la musique italienne est la seule qui puisse réellement exister. Du temps d'Orlande et de Goudimel, on faisoit de l'harmonie et des sons; Lulli y a joint un peu de cadence; Corelli, Buononcini, Vinci, et Pergolèse, sont les premiers qui aient fait de la musique.

musique naissoit à peine, elle avoit en Italie cette ridicule emphase de science harmonique, ces pédantesques prétentions de doctrine qu'elle a chèrement conservées parmi nous, et par lesquelles on distingue aujourd'hui cette musique méthodique, compassée, mais sans génie, sans invention, et sans goût, qu'on appelle à Paris musique écrite par excellence, et qui, tout au plus, n'est bonne, en effet, qu'à écrire, et jamais à exécuter.

Depuis même que les Italiens ont rendu l'harmonie plus pure, plus simple, et donné tous leurs soins à la perfection de la mélodie, je ne nie pas qu'il ne soit encore demeuré parmi eux quelques légères traces des fugues et dessins gothiques, et quelquefois de doubles et triples mélodies: c'est de quoi je pourrois citer plusieurs exemples dans les intermédes qui nous sont connus, et entre autres le mauvais quatuor qui est à la fin de la Femme orgueilleuse. Mais outre que ces choses sortent du caractère établi, outre qu'on ne trouve Jamais rien de semblable dans les tragédies, et qu'il n'est pas plus juste de juger l'opéra italien sur ces farces, que de juger notre théâtre françois sur l'Impromptu de campagne, ou le Baron de la Crasse; il faut aussi rendre justice à l'art avec lequel les compositeurs ont souvent évité, dans ces intermédes, les pièges qui leur étoient tendus par les poëtes, et ont fait tourner au profit de la

règle des situations qui sembloient les forcer à l'enfreindre.

De toutes les parties de la musique, la plus difficile à traiter, sans sortir de l'unité de mélodie, est le duo; et cet article mérite de nous arrêter un moment. L'auteur de la lettre sur Omphale déja remarqué que les duo sont hors de la nature; car rien n'est moins naturel que de voir deux personnes se parler à-la-fois durant un certain temps, soit pour dire la même chose, soit pour se contredire, sans jamais s'écouter ni se répondre. Et quand cette supposition pourroit s'admettre en certains cas, il est bien certain que ce ne seroit jamais dans la tragédie, où cette indécence n'est convenable ni à la dignité des personnages qu'on y fait parler, ni à l'éducation qu'on leur suppose. Or, le meilleur moyen de sauver cette absurdité, c'est de traiter, le plus qu'il est possible, le duo en dialogue, et ce premier soin regarde le poëte: ce qui regarde le musicien, c'est de trouver un chant convenable au sujet, et distribué de telle sorte que, chacun des interlocuteurs parlant alternativement, toute la suite du dialogue ne forme qu'une mélodie, qui, sans changer de sujet, ou du moins sans altérer le mouvement, passe dans son progrès d'une partie à l'autre sans cesser d'être une, et sans enjamber. Quand on joint ensemble les deux parties, ce qui

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doit se faire rarement et durer peu, il faut trouver un chant susceptible d'une marche par tierces ou par sixtes dans lequel la seconde partie fasse son effet sans distraire l'oreille de la première : il faut garder la dureté des dissonances, les sons perçants et renforcés, le fortissimo de l'orchestre, pour des instants de désordre et de transport où les acteurs, semblant s'oublier eux-mêmes, portent leur égarement dans l'ame de tout spectateur sensible, et lui font éprouver le pouvoir de l'harmonie sobrement ménagée. Mais ces instants doivent être rares et amenés avec art. Il faut, par une musique douce et affectueuse, avoir déja disposé l'oreille et le cœur à l'émotion pour que l'un et l'autre se prêtent à ces ébranlements violents: et il faut qu'ils passent avec la rapidité qui convient à notre foiblesse; car, quand l'agitation est trop forte, elle ne sauroit durer, et tout ce qui est au-delà de la nature ne touche plus.

En disant ce que les duo doivent être, j'ai dit précisément ce qu'ils sont dans les opéra italiens. Si quelqu'un a pu entendre sur un théâtre d'Italie un duo tragique chanté par deux bons acteurs, et accompagné par un véritable orchestre, sans en être attendri; s'il a pu d'un œil sec assister aux adieux de Mandane et d'Arbace, je le tiens digne de pleurer à ceux de Libye et d'Épaphus.

Mais sans insister sur les duo tragiques, genre

de musique dont on n'a pas même l'idée à Paris, je puis vous citer un duo comique qui est connu de tout le monde, et je le citerai hardiment comme un modèle de chant, d'unité, de mélodie, de dialogue, et de goût, auquel, selon moi, rien ne manquera, quand il sera bien exécuté, que des auditeurs qui sachent l'entendre: c'est celui du premier acte de la Serva Padrona, Lo conosco a quegl' occhietti, etc. J'avoue que peu de musiciens françois sont en état d'en sentir les beautés; et je dirois volontiers du Pergolèse, comme Cicéron disoit d'Homère, que c'est avoir déja fait beaucoup de progrès dans l'art, que de se de se plaire à sa lecture.

J'espère, monsieur, que vous me pardonnerez la longueur de cet article en faveur de sa nou.veauté et de l'importance de son objet: j'ai cru devoir m'étendre un peu sur une règle aussi essentielle que celle de l'unité de mélodie; régle dont aucun théoricien, que je sache, n'a parlé jusqu'à ce jour, que les compositeurs italiens ont seuls sentie et pratiquée, sans se douter peut-être de son existence, et de laquelle dépendent la douceur du chant, la force de l'expression, et presque tout le charme de la bonne musique. Avant que de quitter ce sujet, il me reste à vous montrer qu'il en résulte de nouveaux avantages pour l'harmonie même, aux dépens de laquelle je

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