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La querelle excitée l'année dernière à l'Opéra n'ayant abouti qu'à des injures, dites, d'un côté, avec beaucoup d'esprit, et de l'autre avec beaucoup d'animosité, je n'y voulus prendre aucune part; car cette espèce de guerre ne me convenoit en aucun sens, et je sentois bien que ce n'étoit pas le temps de ne dire que des raisons. Maintenant que les bouffons sont congédiés, ou près de l'être, et qu'il n'est plus question de cabales, je crois pouvoir hasarder mon sentiment; et je le dirai avec ma franchise ordinaire, sans craindre en cela d'offenser personne: il me semble même que, sur un pareil sujet, toute précaution seroit injurieuse pour les lecteurs; car j'avoue que j'aurois fort mauvaise opinion d'un peuple' qui donneroit à des chansons une importance ridicule, qui feroit plus de cas de ses musiciens que de ses philosophes, et chez lequel il faudroit parler de musique avec plus de circonspection que des plus graves sujets de morale.

C'est par la raison que je viens d'exposer que, quoique quelques uns m'accusent, à ce qu'on dit, d'avoir manqué de respect à la musique françoise dans ma première édition, le respect beaucoup plus grand et l'estime que je dois à la nation m'empêchent de rien changer, à cet égard, dans celle-ci.

Une chose presque incroyable, si elle regardoit tout auque moi, c'est qu'on ose m'accuser d'avoir parlé de la langue avec mépris dans un ouvrage où il n'en peut être

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'De peur que mes lecteurs ne prennent les dernières lignes de cet alinéa pour une satire ajoutée après coup, je dois les avertir qu'elles sont tirées exactement de la première édition de cette Lettre'; tout ce qui suit fut ajouté dans la seconde.

question que par rapport à la musique. Je n'ai pas changé là-dessus un seul mot dans cette édition; ainsi, en la parcourant de sang-froid, le lecteur pourra voir si cette accusation est juste, Il est vrai que, quoique nous ayons eu d'excellents poëtes et même quelques musiciens qui n'étoient pas sans génie, je crois notre langue peu propre à la poésie, et point du tout à la musique. Je ne crains pas de m'en rapporter sur ce point aux poëtes mêmes; car, quant aux musiciens, chacun sait qu'on peut se dispenser de les consulter sur toute affaire de raisonnement. En revanche, la langue françoise me paroît celle des philosophes et des sages 1 : elle semble faite pour être l'organe de la vérité et de la raison. Malheur à quiconque offense l'une ou l'autre dans des écrits qui la déshonorent! Quant à moi, le plus digne hommage que je croie pouvoir rendre à cette belle et sage langue, dont j'ai le bonheur de faire usage, est de tâcher de ne la point avilir.

Quoique je ne veuille et ne doive point changer de ton avec le public, que je n'attende rien de lui, et que je me soucie tout aussi peu de ses satires que de ses éloges, je crois le respecter beaucoup plus que cette foule d'écrivains mercenaires et dangereux qui le flattent pour leur intérêt. Ce respect, il est vrai, ne consiste pas dans de vains ménagements qui marquent l'opinion qu'on a de la faiblesse de ses lecteurs, mais à rendre hommage à leur jugement, en appuyant par des raisons solides le sentiment qu'on leur propose; et c'est ce que je me suis toujours efforcé de faire. Ainsi, de quelque sens qu'on veuille envisager les choses, en appréciant équitablement toutes les clameurs que cette lettre a excitées, j'ai bien peur qu'à la fin men plus grand tort ne soit d'avoir raison; car je sais trop que celui-là ne me sera jamais pardonné.

C'est le sentiment de l'auteur de la Lettre sur les sourds et les muets, sentiment qu'il soutient très bien dans l'addition à cet ouvrage, et qu'il prouve encore mieux par tous ses écrits.

LETTRE

SUR

LA MUSIQUE FRANÇOISE.

Sunt verba et voces, prætereàque nihil.

Vous souvenez-vous, monsieur, de l'histoire de cet enfant de Silésie dont parle M. de Fontenelle, et qui étoit né avec une dent d'or? Tous les docteurs de l'Allemagne s'épuisèrent d'abord en savantes dissertations pour expliquer comment on pouvoit naître avec une dent d'or: la dernière chose dont on s'avisa fut de vérifier le fait, et il se trouva que la dent n'étoit pas d'or. Pour éviter un semblable inconvénient, avant que de parler de l'excellence de notre musique, il seroit peutêtre bon de s'assurer de son existence, et d'examiner d'abord, non pas si elle est d'or, mais si nous

en avons une.

Les Allemands, les Espagnols, et les Anglais ont long-temps prétendu posséder une musique propre à leur langue : en effet ils avoient des opéra nationaux qu'ils admiroient de très bonne foi; et ils étoient bien persuadés qu'il y alloit de leur gloire à laisser abolir ces chefs-d'œuvre insup

portables à toutes les oreilles, excepté les leurs. Enfin le plaisir l'a emporté chez eux sur la vanité, ou, du moins, ils s'en sont fait une mieux entendue de sacrifier au goût et à la raison des préjugés qui rendent souvent les nations ridicules par l'honneur même qu'elles y attachent.

Nous sommes encore en France, à l'égard de notre musique, dans les sentiments où ils étoient alors sur la leur: mais qui nous assurera que, pour avoir été plus opiniâtres, notre entêtement en soit mieux fondé? Ignorons-nous combien l'habitude des plus mauvaises choses peut fasciner nos sens en leur faveur, et combien le raison

'Les curieux seront peut-être bien aíses de trouver ici le passage suivant, tiré d'un ancien partisan du Coin de la reine, et que je m'abstiens de traduire pour de fort bonnes raisons *:

"

«Et reversus est rex piissimus Carolus, et celebravit Romæ pascha cum domno apostolico. Ecce orta est contentio per dies festos "paschæ inter cantores Romanorum et Gallorum : dicebant se Galli « meliùs cantare et pulchriùs quàm Romani: dicebant se Romani "doctissimè cantilenas ecclesiasticas proferre, sicut docti fuerant à « santo Gregorio papâ; Gallos corruptè cantare, et cantilenam sa« nam destruendo dilacerare. Quæ contentio ante domnum regem « Carolum pervenit. Galli verò, propter securitatem domni regis «Caroli, valdè exprobrabant cantoribus romanis. Romani verò, «propter auctoritatem magnæ doctrinæ, eos stultos, rusticos, et indoctos velut bruta animalia affirmabant, et doctrinam sancti «Gregorii præferebant rusticitati eorum. Et cùm altercatio de neu

Le morceau qui suit se retrouve cité dans le Dictionnaire de musique, au mot Plam-Chant. Rousseau en donne une traduction, et fait connoître l'ouvrage d'où il est tiré.

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nement et la réflexion sont nécessaires pour rectifier dans tous les beaux-arts l'approbation mal entendue que le peuple donne souvent aux productions du plus mauvais goût, et détruire le faux plaisir qu'il y prend? Ne seroit-il donc point à propos, pour bien juger de la musique françoise, indépendamment de ce qu'en pense la populace de tous les états, qu'on essayât une fois de la soumettre à la coupelle de la raison, et de voir si elle en soutiendra l'épreuve? « Concedo « ipse hoc multis, disoit Platon, voluptate musi« cam judicandam; sed illam fermè musicam esse

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« trâ parte finiret, ait domnus piissimus rex Carolus ad suos canto«res : Dicite palàm, quis purior est, et quis melior, aut fons vivus, << aut rivuli ejus longè decurrentes? Responderunt omnes unâ voce, fontem, velut caput et originem, puriorem esse; rivulos autem *« ejus quantò longiùs à fonte recesserint, tantò turbulentos et sordibus ac immunditiis corruptos. Et ait domnus rex Carolus: Rever«timini vos ad fontem sancti Gregorii, quia manifestè corrupistis « cantilenam ecclesiasticam. Mox petiit domnus rex Carolus ab « Adriano papâ cantores qui Franciam corrigerent de cantu. At ille << dedit ei Theodorum et Benedictum, doctissimos cantores, qui à « sancto Gregorio eruditi fuerant, tribuitque antiphonarios sancti «Gregorii, quos ipse notaverat notâ romanâ. Domnus verò rex Caarolus revertens in Franciam misit unum cantorem in Metis civitate, « alterum in Suessionis civitate, præcipiens de omnibus civitatibus «Franciæ magistros scholæ antiphonarios eis ad corrigendum tradere, et ab eis discere cantare. Correcti sunt ergò antiphonarii «Francorum, quos unusquisque pro suo arbitrio vitiaverat, addens << vel minuens ; et omnes Franciæ cantores didicerunt notam roma« nam, quam nunc vocant notam francicam: excepto quòd tremulas « et vinnulas, sive collisibiles vel secabiles voces in cantu non pote

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