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On trouve aussi, par l'accord ordinaire du clavecin, le demi-ton compris entre le sol naturel et le la bémol un peu plus petit que celui qui est entre le la et le si bémol. Or, plus les deux sons qui forment un demi-ton se rapprochent, et plus le passage est tendre et touchant; c'est l'expérience qui nous l'apprend, et c'est, je crois, la véritable raison pour laquelle le mode mineur du C sol ut nous attendrit plus que celui du D la re. Que si cependant la diminution vient jusqu'à causer de l'altération à l'harmonie, et jeter de la dureté dans le chant, alors le sentiment se change en tristesse, et c'est l'effet que nous éprouvons dans l'F ut fa mineur.

En continuant nos recherches dans ce goût-là, peut-être parviendrions-nous à-peu-près à trouver par ces différences légères qui subsistent dans les rapports des sons et des intervalles, les raisons des différents sentiments excités par les divers tons de la musique. Mais si l'on vouloit aussi trouver la cause de ces différences, il faudroit entrer pour cela dans un détail dont mon sujet me dispense, et qu'on trouvera suffisamment expliqué dans les ouvrages de M. Rameau. Je me contenterai de dire ici en général que, comme il a fallu, pour éviter de multiplier les sons, faire servir les mêmes à plusieurs usages, on n'a pu y réussir qu'en les altérant un peu; ce qui fait

qu'eu égard à leurs différents rapports, ils perdent quelque chose de la justesse qu'ils devroient avoir. Le mi, par exemple, considéré comme tierce majeure d'ut, n'est point à la rigueur le même mi qui doit faire la quinte du la; la différence est petite à la vérité, mais enfin elle existe, et, pour la faire évanouir, il a fallu tempérer un peu cette quinte: par ce moyen on n'a employé que le même son pour ces deux usages; mais de là vient aussi que le ton du re au mi n'est pas de la même espèce que celui de l'ut au re, et ainsi des autres.

On pourroit donc me reprocher que j'anéantis ces différences par mes nouveaux signes, et que par-là même je détruis cette variété d'expression si avantageuse dans la musique. J'ai bien des choses à répondre à tout cela.

En premier lieu, le tempérament est un vrai défaut; c'est une altération que l'art a causée à l'harmonie, faute d'avoir pu mieux faire. Les harmoniques d'une corde ne nous donnent point de quinte tempérée, et la mécanique du tempérament introduit dans la modulation des tons si durs, par exemple le re et le sol dièses, qu'ils ne sont pas supportables à l'oreille. Ce ne seroit donc pas une faute que d'éviter ce défaut, et sur-tout dans les caractères de la musique, qui, ne participant pas au vice de l'instrument, devroient, du

moins par leur signification, conserver toute la pureté de l'harmonie.

De plus, les altérations causées par les différents tons ne sont point pratiquées par les voix ; l'on n'entonne point, par exemple, l'intervalle 4 5 autrement que l'on entonneroit celui-ci 5 6, quoique cet intervalle ne soit pas tout-à-fait le même; et l'on module en chantant avec la même justesse dans tous les tons, malgré les altérations particulières que l'imperfection des instruments introduit dans ces différents tons, et à laquelle la voix ne se conforme jamais, à moins qu'elle n'y soit contrainte par l'unisson des instruments.

La nature nous apprend à moduler sur tous les tons, précisément dans toute la justesse des intervalles; les voix, conduites par elle, le pratiquent exactement. Faut-il nous éloigner de ce qu'elle prescrit, pour nous assujettir à une pratique défectueuse? et faut-il sacrifier, non pas à l'avantage mais au vice des instruments, l'expression naturelle du plus parfait de tous? C'est ici qu'on doit se rappeler tout ce que j'ai dit ci-devant sur la génération des sons; et c'est par-là qu'on se convaincra que l'usage de mes signes n'est qu'une expression très fidèle et très exacte des opérations de la nature.

En second lieu, dans les plus considérables instruments, comme l'orgue, le clavecin, et la viole,

les touches étant fixées, les altérations différentes de chaque ton dépendent uniquement de l'accord, et elles sont également pratiquées par ceux qui en jouent, quoiqu'ils n'y pensent point. Il en est de même des flutes, des hautbois, bassons, et autres instruments à trous; les dispositions des doigts sont fixées pour chaque son, et le seront de même par mes caractères, sans que les écoliers pratiquent moins le tempérament, pour n'en pas connoître l'expression.

les

D'ailleurs, on ne sauroit me faire là-dessus aucune difficulté qui n'attaque en même temps la musique ordinaire, dans laquelle, bien loin que les petites différences des intervalles de même espèce soient indiquées par quelque marque, différences spécifiques ne le sont même pas, puisque les tierces ou les sixtes majeures et mineures sont exprimées par les mêmes intervalles et les mêmes positions, au lieu que, dans mon système, les différents chiffres employés dans les intervalles de même dénomination font du moins connoître s'ils sont majeurs ou mineurs.

Enfin, pour trancher tout d'un coup toute cette difficulté, c'est au maître et à l'oreille à conduire l'écolier dans la pratique des différents tons et des altérations qui leur sont propres ; la musique ordinaire ne donne point de règles pour cette pratique que je ne puisse appliquer à la

mienne avec encore plus d'avantage; et les doigts de l'écolier seront bien plus heureusement conduits, en lui faisant pratiquer sur son violon les intervalles, avec les altérations qui leur sont propres dans chaque ton en avançant ou reculant un peu le doigt, que par cette foule de dièses et de bémols qui, faisant de plus petits intervalles entre eux et ne contribuant point à former l'oreille, troublent l'écolier par des différences qui lui sont long-temps insensibles.

Si la perfection d'un système de musique consistoit à y pouvoir exprimer une plus grande quantité de sons, il seroit aisé, en adoptant celui de M. Sauveur, de diviser toute l'étendue d'une seule octave en 3010 décamérides ou intervalles égaux, dont les sons seroient représentés par des notes différemment figurées; mais de quoi serviroient tous ces caractères, puisque la diversité des sons qu'ils exprimeroient ne seroit non plus à la portée de nos oreilles, qu'à celle des organes de notre voix? Il n'est donc pas moins inutile qu'on apprenne à distinguer l'ut double dièse du re naturel, dès que nous sommes contraints de le pratiquer sur ce même re, et qu'on ne se trouvera jamais dans le cas d'exprimer en note la différence qui doit s'y trouver, parceque ces deux sons ne peuvent être relatifs à la même modulation.

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