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NOTES

DE LA PREMIÈRE ÉPÎTRE.

Réveille-toi, milord, etc.

MA juste admiration pour Pope ne m'aveugle point sur ses défauts. J'avoue que ce commencement de l'Essai sur l'Homme m'a toujours paru très-défectueux. Ces figures accumulées, où l'homme est tour à tour un labyrinthe, un jardin, un champ, un désert, manquent de goût, de précision et de clarté. Ce défaut est très-commun dans Lucain, dans Young, dans Ovide: Virgile, Racine et Boileau n'y tombent jamais. Je sais que Voltaire se permet de revêtir la même idée de plusieurs métaphores, comme dans le Discours sur le Plaisir.

Je ne conclus donc pas, orateur dangereux,
Qu'il faut lâcher la bride aux passions humaines.
De ce coursier fougueux je veux tenir les rênes.
Je veux que ce torrent, par un heureux secours,
Sans inonder mes champs, les abreuve en son cours.
Vents, épurez les airs, et soufflez sans tempêtes!
Soleil, sans nous brûler, marche et luis sur nos têtes!

Mais ces images sont si justes et si naturelles, ces vers ont tant de grâce et d'harmonie, et le mouvement des

deux derniers est si beau, que la critique la plus sévère doit être désarmée.

Les vers de Pope sont d'autant plus répréhensibles, qu'il les a placés dans le début de son poëme. Pourquoi n'annonce-t-il pas, en commençant, les quatre divisions de l'Essai sur l'Homme, dont le plan est si bien conçu ! Voyez comme l'auteur des Géorgiques développe son sujet dès l'entrée !

Quid faciat lætas segetes, etc.

M. de Saint-Lambert, dans un poëme à peu près semblable, imite cette noble simplicité de Virgile.

Je chante les saisons et la marche féconde

De l'astre bienfaisant qui les dispense au monde.
Il prodigue au printemps la grâce et la beauté;
Du trésor des moissons il enrichit l'été;
L'automne les enlève aux campagnes fertiles,
Et l'hiver en tribut les reçoit dans nos villes.

Quels objets! l'homme et Dieu, etc.

Ici le sujet commence; et, dans le morceau qui suit, Pope se montre également philosophe et poète.

On peut remarquer, dès ce commencement, la différence du génie des poètes anglais et des poètes français. Pope ne fait nulle difficulté d'employer, dans ses vers, les mots d'attraction, connexion, gradation.

The strong connections, nice dependencies,
Gradations just, etc.

Nos bons écrivains en vers rejetteroient ces mots comme

trop secs et trop abstraits. Je ne partage pourtant pas l'avis extrême de ceux qui excluent du langage poétique tous les termes que la philosophie et les découvertes modernes y ont nécessairement introduits. Quand ces termes sont placés habilement, ils peuvent enrichir le style, loin de le dénaturer. Je me souviens qu'un homme de lettres me soutint un jour que l'expression de grand tout, qui se retrouve assez souvent dans les poètes de ce siècle, étoit inconnue à ceux du siècle dernier. Je lui répondis par ce vers de Racine, qui dit dans un de ses hymnes, en s'adressant à Dieu :

X

O toi, dont la puissance

A créé ce grand tout, soutenu par tes mains!

Si du plan le plus sage, en méditant ses lois, etc.

Il faut surtout méditer ce raisonnement : c'est un de ceux qui font la base du système expliqué dans l'Essai sur l'Homme.

Son chien, fidèle ami, repose à son côté, etc.

On a loué Voltaire d'avoir peint le chien, dans la Henriade, par une périphrase assez vague, qui pourroit convenir au cheval; je ne vois pas le motif de cet éloge. Racine a placé le mot chien dans Athalie de la manière la plus noble, et l'a répété trois fois. La véritable création est de faire entrer dans le langage poétique les termes familiers, qu'une fausse délicatesse veut en exclure, sans blesser, comme de raison, l'harmonie et l'élégance.

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Pourquoi les feux du ciel brillent-ils? et pourquoi, etc.

Voltaire a visiblement imité cet endroit.

L'homme vint, et cria: Je suis puissant et sage.
Cieux, terres, élémens, tout est pour mon usage.
L'Océan fut formé pour porter mes vaisseaux, etc.

Je suppose que les poésies philosophiques de Voltaire sont assez connues des lecteurs, pour qu'ils remarquent sans peine les vers empruntés à Pope. Je n'indiquerai dorénavant que les imitations plus éloignées qui pourroient échapper à quelques personnes.

L'homme veut être un ange, et les anges des dieux, etc.

Les Anglais, nourris de la lecture des livres saints, y font souvent allusion dans leurs ouvrages; on en verra plus d'un exemple dans l'Essai sur l'Homme.

Vois du méme oeil au moins et l'homme et la nature.

Ce raisonnement demande beaucoup d'attention. Après avoir fait convenir l'homme que les désordres physiques sont nécessaires, Pope tire de cet aveu la conséquence naturelle, que les désordres moraux sont nécessaires aussi.

Elle n'est point prodigue, elle n'est point avare, etc.

Ce passage sur les différentes facultés des animaux et de l'homme; le suivant, sur la gradation des êtres, sont admirables dans l'original. La poésie et la métaphysique réunies ne peuvent s'élever plus haut.

L'ange qui les conduit, dans leur chute entraîné,

Laisse échapper d'effroi leurs rénes vagabondes, etc.

Allusion au système de Platon, qui faisoit présider un génie aux révolutions de chaque sphère céleste.

La nature est un corps qui pour áme a Dieu même.

Cette magnifique description de Dieu rappelle les vers du sixième livre de l'Énéide, où Virgile expose la doctrine des stoïciens, qui admettoient une âme universelle.

Principio, coelum ac terras, camposque liquentes,
Lucentemque globum lunæ, titaniaque astra,
Spiritus intùs alit; totamque infusa per artus
Mens agitat molem, et magno se corpore miscet.
Indè hominum pecudumque genus, vitæque volantum,
Et quæ marmoreo fert monstra sub æquore pontus.

Cette foible imitation, que j'ai essayée pour ceux qui n'entendent point la langue de Virgile, leur donnera la facilité de comparer le poète romain et le poète anglais.

Dans les veines du monde une âme répandue,
Partout de ce grand corps agitant l'étendue,
Remplit les champs de l'air, et la terre et les eaux;
Alimente l'éclat des célestes flambeaux;

De son feu créateur à la fois elle anime

Les monstres bondissans sur les flots de l'abîme,
Et les peuples ailés, et les troupeaux nombreux,
Et l'homme enfin qui pense, et qui règne sur eux.

On trouve à peu près les mêmes idées dans un hymne qu'on attribue à l'ancien Orphée, et qui est adressé au

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