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et je constatai qu'il était atteint d'une 4° Le liquide de la macération évaporé blennorrhagic arrivée à la période décrois- fournit un coagulum albumineux abondant et un enduit opaque;

sante.

azotique, le chlore, les acétates de plomb, le chloride de mercure et l'alcool.

Au milieu d'autres questions, le magis- 5o La liqueur filtrée précipite par l'acide trat instructeur me demandait de déterminer si des taches observées sur la chemise de la jeune fille étaient de même nature que celles observées sur les linges de l'inculpé, et si ces taches annonçaient une maladie vénérienne; quelle était enfin la nature de la maladie.

Je procédai à l'examen de ces taches, d'après le procédé indiqué par les auteurs que j'ai cités plus haut, et j'acquis la certitude que tous les réactifs et tous les moyens employés pour reconnaître le mucus blennorrhagique donnaient un résultat affirmatif, soit sur les chemises de l'enfant, soit sur les chemises de l'accusé.

D'après ces indices, je devais conclure que les taches étaient identiques, qu'elles appartenaient comme produits à une même maladie, et que la maladie était vénérienne et de nature blennorrhagique. J'allais écrire ces conclusions, lorsqu'il me vint à l'esprit de faire une contre-épreuve de mon opération.

Je me procurai donc, chez une de mes clientes, atteinte de leucorrhée positivement non vénérienne, des linges maculés par les taches de l'écoulement, et je répétai les mêmes expériences. J'obtins trèsaisément toutes les mêmes réactions, qui servent à constater l'écoulement blennorrhagique. L'hésitation était donc permise, et je dus manifester cette opinion à M. le juge d'instruction, et devant la Cour d'assises. Il était acquis pour moi qu'on ne devait plus considérer comme vrai, n'y aurait-il que cette seule exception, le passage suivant que j'extrais textuellement du Traité de médecine légale :

Taches d'écoulement blennorrhagique. 4° Elles sont d'un jaune blanchâtre ; 2o Plus ou moins empesées ; 3o Ne jaunissent pas par la chaleur ; 4o Le liquide obtenu par l'action de l'eau se coagule par la chaleur, et donne un enduit opaque sur le verre ; 50 La dissolution précipite par l'acide azotique, le chlore, les acétates de plomb, le chloride de mercure, l'alcool et l'infusion de noix de Galle.

Taches d'écoulement vaginal leucorrhéique. 1° Elles sont vertes ou d'un vert jaunâtre; 20 Empèsent les tissus qui perdent complétement ce caractère par l'eau ; 5o Ne jaunissent pas par la chaleur;

Comme on peut facilement s'en convaincre, le précipité obtenu par l'infusion de noix de Galle est le seul caractère distinctif de l'écoulement blennorrhagique pour les auteurs que nous avons nommés, et pour tous ceux qui suivent leur traité classique.

Le cas que j'ai rapporté indique l'inanité de l'analyse chimique pour pénétrer la nature intime de ces produits de sécrétion. Et y a-t-il lieu d'en être surpris, quand on songe que la chimie n'a pu encore découvrir aucune différence entre le pus d'un phlegmon et celui d'une pustule vaccinale, entre la bave d'un chien enragé et la salive d'un chien sain? Le muco-pus blennorrhagique, comme l'écoulement leucorrhéique, proviennent des mêmes organes et des mêmes muqueuses. La spécificité seule caractérise le premier, de même qu'elle démontre le caractère syphilitique du pus chancreux. Cette condition mystérieuse, qui a pour signe révélateur la contagion, échappe aux plus subtiles analyses, aux réactions les plus ingénieuses. Elle ne peut être réellement démontrée que par l'organisme, véritable réactif vivant.

Les recherches microscopiques semblaient, à une époque, avoir tranché la difficulté. M. Donné avait trouvé, dans le mucus vaginal d'une femme syphilitique, quelques vibrions, et un insecte particulier qu'il décora du nom de trichomonas vaginale. Mais son espoir de spécifier, par la présence de ces animalcules, la qualité virulente du liquide où ils vivaient fut bientôt déçu, car les mêmes êtres microscopiques furent saisis dans le mucus provenant du vagin de femmes saines.

Ne nous flattons donc pas d'arriver, avec nos connaissances physiques et chimiques, à la solution d'un problème si grave et si délicat. Nous savons les difficultés que nous rencontrons dans la prativaginaux sont vénériens ou non contaque pour nous assurer que les écoulements gieux. Les inflammations qui les déterminent sont tellement ressemblantes que ce précis que nous pouvons sûrement remonn'est que par des renseignements trèster à leur origine. La contagion seule indique la nature spécifique de la maladie, et la plupart des praticiens avouent que rien dans les symptômes, la marche, les lésions

de la maladie, ne peuvent faire distinguer une vaginite simple d'une vaginite vénérienne.

S'il en est ainsi, lorsqu'il s'agit d'instituer un traitement, il est aisé de compren dre dans quelle perplexité doit se trouver le médecin légiste, qui n'a d'ordinaire que des renseignements très-équivoques et qui ne sont fournis que par la plaignante : quelle réserve ne doit-il pas mettre dans son jugement?

Puisqu'il est avéré que le témoignage des sens et les procédés physiques et chimiques ne peuvent que le tromper! dans le doute, dit Vidal (de Cassis), il faut s'abstenir de déclarer devant la loi, atteint de syphilis, un individu qui a une blennorrhagie. Or, la science est incertaine dans le problème qui nous occupe. Concluons donc qu'une telle question doit rester sans réponse affirmative, si l'on n'a pour la résoudre que les moyens signalés par la science contemporaine.

Je n'ai point eu l'intention de blâmer les estimables auteurs du Traité de médeeine légale, que nous consultons tous les jours avec tant de fruit et d'intérêt. Mon désir n'était que de relever l'absolutisme du passage que j'ai transcrit, et qui semble ne permettre aucun doute dans l'esprit de ceux qui le lisent. Heureux si je parviens à éviter, par cette simple note, des erreurs judiciaires, toujours si déplorables et si faciles, alors que sur la tête du médecin repose toute l'accusation.

Soyons donc moins affirmatifs; apprenons à nous méfier de plus en plus des procédés scientifiques qui flattent tant notre vanité et semblent donner un terme à notre incessante curiosité. Rappelonsnous que l'homme est, avant tout, un organisme vivant, et que la physique et la chimie ne peuvent nous rendre compte des opérations mystérieuses qui se passent dans cet obscur laboratoire. Ubi desinit chimicus, incipit medicus.

(L'Union médicale, No 91.)

Quelques causes d'erreur dans les recherches médico-légales, par le docteur BERGERET, médecin en chef de l'hôpital d'Arbois (Jura). (Suite. Voir notre cahier de septembre, p. 269.) OBS. III. Présomption de tentative de meurtre Circonstances bizarres. Le 15 mai 1855, on vint m'appeler en toute hâte au secours de J. L..., petite fille du village de Montigny-les-Arsûres, âgée de 11 ans, qui, disait-on, avait été victime des conps de deux voleurs qu'elle avait trouvés

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pillant l'intérieur de la maison au service de laquelle elle était entrée en qualité de bergère. J'y allai immédiatement. La nouvelle de cet événement s'était déjà répandue dans le pays et, à chaque rencontre que je faisais sur ma route, j'entendais ces mots : C'est horrible! tuer ainsi une pauvre enfant! Quel affreux malheur, allez vite, me disait-on, et faites en sorte que le coupable n'échappe pas à la justice.

Je trouvai l'enfant au lit, la moitié inférieure du visage rougie de sang desséché. Elle me raconta que, étant seule dans la maison, pendant que ses maîtres étaient aux champs, elle avait vu entrer deux hommes déguisés avec des vêtements de femme et le visage charbonné; ces hommes avaient pénétré dans la chambre où se trouvait un grand bahut renfermant la bourse et les effets de sa maîtresse; la clef était à la serrure; ils l'avaient ouvert. Mais, quand elle vit qu'ils cherchaient dans le tiroir où elle savait qu'était l'argent, elle avait eu le courage de crier au secours! Les malfaiteurs, pour arrêter ses cris, l'avaient frappée. Elle était tombée sans connaissance sous leurs coups et ne savait pas ce qui s'était passé plus tard.

Tel était son récit. Ces faits avaient dû s'accomplir à 11 heures du matin. La maîtresse de la maison étant rentrée un peu avant midi pour chercher son diner et celui de son mari, avait trouvé l'enfant étendue au milieu de la chambre et paraissant ne pas avoir sa connaissance pleine et entière. Près de sa figure le plancher présentait une petite flaque de sang. A côté d'une de ses mains se trouvait un bouquet de tilas et de boules de neige.

Le buffet était ouvert et le tiroir, au lieu d'être à sa place, gisait sur le plancher non loin de l'enfant. Une partie des objets qu'il renfermait était éparse çà et là.

La maîtresse de maison était dans un état de surexcitation inimaginable : «Voyez» vous, monsieur, me dit-elle, les scélérats, » après avoir assassiné cette enfant, lui ont >> mis, par une abominable dérision, un » bouquet de fleurs dans la main ! » Je lui demandai quelle somme ils lui avaient volée. Elle me répondit qu'elle avait trouvé son argent intact : « Mais, disait-elle, cette >> pauvre enfant ayant erié, ils se sont sau» vés à la hâte de peur d'être découverts, >> et ils n'ont pas eu le temps de chercher >> l'argent. >>

J'examinai l'enfant de la tête aux pieds pour y découvrir des traces de violence. Je ne vis rien. Tout le sang avait coulé du nez. Mon attention se reporta donc entièrement sur cette partie, et en palpant soigneuse

ment le nez dans toute son étendue, je découvris, à 4 centimètre environ de sa racine, un endroit qui était très-douloureux au moindre contact. On y sentait une petite dépression transversale formant comme un sillon. Sur ce point la peau offrait une teinte légèrement bleuâtre, profonde, annonçant un commencement d'ecchymose.

Je lui demandai quelle tournure avaient ces voleurs. Elle répéta qu'ils avaient un déguisement de femme et la figure toute noircie avec du charbon. Cette version me parut si improbable qu'elle m'inspira les doutes les plus grands sur la véracité de cette enfant qui avait, du reste. un air fort embarrassé et passait pour être très-espiègle. Aussitôt que la pensée qu'elle pouvait mentir eut traversé mon esprit, je devinai tous les faits qui lui étaient arrivés et leur enchaînement.

L'histoire des voleurs ne devait être qu'une fable. La petite drôlesse, qui était rentrée scule dans la maison, ayant vu la clef au buffet de sa maîtresse, l'avait ouvert, voulant chercher dans le tiroir pour y trouver, soit de l'argent, soit autre chose. Mais elle l'avait tiré trop fort et, comme il était de bois de chêne, fort lourd et plein de toutes sortes d'objets, il lui était violemment tombé sur le nez à l'endroit de la dépression transversale. Il l'avait peut-être même renversée en tombant, soit par la force du choc, soit en lui donnant un moment de commotion cérébrale. Elle était étendue depuis un certain temps, le sang coulant de son nez, lorsque sa maîtresse entra inopinément.

Quant à l'histoire si touchante du bouquet de fleurs, il fut reconnu qu'elle le portait à sa main quand elle était rentrée dans la maison un voisin m'apprit qu'il l'avait vue les cueillant à des massifs du jardin de M. le baron Le Pin, dont les rameaux s'étendaient jusque sur la rue.

Mon opinion étant arrêtée sur cet événement et sur ses conséquences, je me retirai sans faire part encore de mes idées à personne et j'allai voir des malades dans le village. Peu d'instants après mon départ M. le juge d'instruction arriva il interrogea longuement l'enfant, qui répéta, en l'amplifiant encore, son histoire des deux voleurs déguisés. Les parents, interrogés à leur tour, déclarèrent qu'ils soupçonnaient fortement les voisins, avec qui ils avaient eu de graves querelles, d'avoir profité de leur absence pour se livrer à cet acte de vengeance. Le juge d'instruction alla les interroger fort minutieusement et deux gendarmes étaient déjà prêts à les arrêter; mais ces braves gens parvinrent à établir

leur alibi d'une manière irrécusable. Ils étaient bien loin, dans la campagne, au moment où le prétendu crime s'était accompli. Les magistrats firent venir le maire, le garde-champêtre, un grand nombre d'autres personnes pour savoir si des étrangers avaient rôdé dans le village. On n'avait rien vu. Le juge d'instruction était aux abois et m'avait envoyé chercher pour avoir mon avis. J'étais retourné à Arbois précipitamment pour un accouchement.

Le lendemain je me rendis au cabinet de M. le juge; il m'étala un énorme dossier résultant des interrogatoires de la veille qui avaient duré toute l'après-midi. Quand je lui eus exposé ma manière de voir, il fut comme illuminé d'une manière soudaine; ma version lui parut si vraisemblable que toute cette fantasmagoric de vol et d'assassinat s'évanouit dans son esprit comme un rêve. Bientôt je vis entrer dans son cabinet la petite fille qu'il avait envoyé chercher pour lui faire subir un nouvel interrogatoire. Il lui dit ce que je pensais de la fable qu'elle avait inventée. Aussitôt elle rougit, balbutia et finit par avouer que la crainte d'être battue par sa mère, pour avoir fureté dans son buffet, lui avait inspiré la pensée de se faire passer pour victime.

Le juge, fort confus d'avoir été dupe d'une enfant, m'a avoué plus tard qu'il lui avait fallu le sentiment profond de sa dignité magistrale pour ne pas lui administrer de ses mains, dans le moment même, une correction paternelle.

Mais cette bizarre aventure devait avoir le privilége de donner lieu à toutes sortes de singularités. Avant que la vérité ne fùt connue du public, l'histoire tragique formulée par la petite fille avait couru de bouche en bouche, brodée et aggravée à chaque nouvelle édition. Un correspondant de la Sentinelle du Jura, journal de la préfecture, heureux d'avoir une si bonne aubaine, s'était empressé d'écrire à Lons-le-Saulnier au rédacteur qui, le lendemain servait à ses lecteurs la tartine suivante : « Un crime >> horrible, entouré de circonstances comme >> les annales criminelles n'en ont peut-être » jamais présenté, vient de jeter l'épou>vante dans le canton d'Arbois. Une petite » fille a été assassinée par des malfaiteurs » parce qu'elle poussait des cris au secours! » pendant qu'ils dévalisaient la maison de » ses parents. Après avoir consommé leur >> forfait, ils ont, par un raffinement de » cruauté qu'on pourrait appeler le cy» nisme railleur du crime, ils ont déposé » un bouquet de fleurs dans la main » de leur innocente et malheureuse vic» time. >>

OBS. IV. Présomption d'infanticide. Fætus non viable enfoui au milieu d'une forêt. Le 24 avril 1855, le juge d'instruction près le tribunal d'Arbois fut prévenu que la fille Coubatit, de Cramans, canton de Villers-Farlay, était soupçonnée d'avoir, à la suite d'une grossesse dont les apparences frappaient tous les regards, accouché clandestinement et mis à mort son enfant. Nous nous transportâmes à la mairie de ce village, et la prévenue nous fut amenée. Elle nia tout énergiquement. L'examen que je fis de sa personne me fit découvrir des traces certaines d'une parturition récente, et j'en fis part aux magistrats. On ramena la jeune fille, et le procureur impérial lui dit, d'un ton fort acerbe Mademoiselle, vous avez menti; monsieur le docteur affirme que vous avez accouché. Le ton menaçant du magistrat produisit sur la prévenue une vive impression de terreur; elle s'exalta les dangers de sa position, et, voulant faire bonne contenance, elle répondit sur un ton trèsdécidé : Non, monsieur, cela n'est pas vrai. Comment, cela n'est pas vrai, répliqua le magistrat, vous osez le dire après l'affirmation du médecin. Non, non, cela n'est pas vrai. Le juge d'instruction appela les gendarmes et déclara à la jeune fille qu'elle allait être conduite en prison.

Conduisez-moi tant que vous voudrez, dit-elle, mais je suis innocente. Les gendarmes allaient la saisir; alors je demandai aux magistrats de me permettre d'avoir avec la jeune fille un entretien particulier. Nous passâmes dans la chambre voisine. Voici le motif pour lequel j'avais sollicité cet à parte. En examinant la jeune fille, j'avais reconnu les traces d'un accouchement récent, comme un écoulement lochial, une dilatation anormale de l'entrée du vagin, le col utérin ouvert, le corps de la matrice gros comme les deux poings; quelques gouttes de lait séreux avaient coulé à la pression des seins, qui étaient développés et durs. Mais le ventre n'offrait aucune vergeture; la fourchette n'était point effacée ni déchirée; l'aréole des mamelons n'était pas bistrée comme chez les femmes brunes avancées dans leur grossesse, et cette fille était brune au plus haut degré. Je présumai donc qu'elle avait pu faire une fausse couche de cinq à six mois, et que son enfant n'était pas né viable. Je lui fis part de ces soupçons en lui disant que, s'il en était ainsi et si elle voulait me mettre en mesure d'en donner la preuve aux magistrats, cette affaire n'aurait pas de suites. A ces mots, les traits de sa figure s'épanouirent et elle me dit: Serait-il bien vrai,

monsieur? Oui, j'en réponds, lui dis-je ; ayez confiance en moi. Alors elle se leva en me disant Venez avec moi. Elle me conduisit au milieu de la forêt voisine, et là, derrière un buisson, elle creusa avec ses mains à environ un pied de profondeur et découvrit un linge ensanglanté dans lequel se trouvait un foetus arrivé au cinquième mois de la grossesse. Non-seulement il n'avait pas respiré, mais encore il était évident qu'il était mort dans le sein de la mère plusieurs jours avant la fausse couche, car il offrait tous les signes d'une macération prolongée dans les eaux de l'amnios.

Il n'y avait donc plus lieu de penser à un infanticide. Mais quelle avait été la cause de la fausse couche? Les magistrats interrogèrent plusieurs témoins à ce sujet. Ils apprirent que la rumeur publique accusait la jeune fille d'avoir fait usage de fortes doses de sabine; que cette sabine lui aurait été préparée par un monsieur auquel on attribuait la paternité de l'enfant, et qui avait pu cueillir des rameaux de sabine dans le jardin d'un de ses voisins où j'allai, en effet, constater l'existence d'un fort beau sujet de cette espèce. Mais toutes ces allégations ne reposaient sur aucun fait matériel dont la preuve pût être fournie aux magistrats. La jeune fille attribuait sa fausse couche à une chute sur le ventre.

Bref, les magistrats mirent la jeune fille en liberté. Mais supposons que je ne l'eusse pas amenée par la douceur et le raisonnement à nous découvrir le corps du délit; que, se roidissant toujours contre l'interrogatoire plein d'aigreur du magistrat, elle eût persisté dans ses dénégations, cette fille eût été traînée en prison par les gendarmes au milieu de toute la population attirée par l'événement, puis condamnée, sinon pour infanticide, au moins pour défaut de déclaration de naissance et inhumation irrégulière

OBS. V.

Fille accusée d'avoir donné la mort à son enfant en incisant une hernie ombilicale. Le 14 juillet 1850, le juge d'instruction près le tribunal d'Arbois reçut du maire de Mont-sur-Monnet, village du canton de Champagnole, une lettre qui le prévenait qu'une pauvre fille de sa commune, nommée Jobard (JeanneLouise), était accusée d'avoir donné la mort à son enfant, âgé de sept semaines, en ouvrant, avec un instrument tranchant, une grosseur qui était venue à l'ombilic de l'enfant quelques jours après sa naissance. Sur sa requête, je me transportai avec lui au lieu indiqué. Nous fimes exhumer le cadavre qui était enterré depuis quelques

jours. Je trouvai, au niveau de l'ombilic, un paquet d'intestins du volume du poing, sortant par l'ouverture ombilicale et tout à fait à nu. Je le coupai et pus constater l'état dans lequel se trouvait l'ombilic. La peau qui l'entourait, et qui avait dû recouvrir le paquet intestinal, était à bords irréguliers, frangés et déchiquetés. On voyait qu'elle avait dû subir une grande distension et être fortement amincie. Une partie des bords de l'ouverture cutanée offrait des plaques gangréneuses autour desquelles la peau était d'un rouge vif. Comme l'aspect de l'ouverture éloignait tout à fait la pensée d'une section nette opérée par un instrument tranchant; que, d'ailleurs, ces points sphacelés, entourés de rougeurs vives, ne pouvaient se rapporter à ce genre de lésion, je pensai que quelque cause irritante, comme un séjour trop prolongé dans des langes imprégnés d'urine, avait pu provoquer une rougeur érysipélateuse dans cette peau distendue et amincie qui recouvrait la hernie, qu'un point gangréneux s'y était établi et qu'un des bords de l'escarrhe, en se détachant, avait livré passage aux intestins, dans un moment où l'enfant criait fortement.

En effet, les dépositions de plusieurs voisines, qui avaient vu l'enfant avant sa mort, vinrent confirmer mes présomptions. Le maire avait écrit au juge d'in struction sur une dénonciation anonyme qui lui était arrivée d'un ennemi de cette pauvre fille.

Indépendamment de l'intérêt que peut présenter cette observation sous le rapport médico-légal, elle m'a paru mériter d'être livrée à la publicité, parce qu'elle démontre combien il est important de contenir de bonne heure, avec un appareil convenable, ces hernies ombilicales si fréquentes dans le jeune âge, et quels soins attentifs il faut appliquer sans retard à toute rougeur inflammatoire qui vient à s'y montrer.

Les faits que j'ai encore à retracer, se rapportent tous à des sujets atteints d'hystérie. On sait que les femmes affectées de cette singulière maladie sont, en général, remarquables par la vivacité de leur esprit, la fougue de leur imagination et l'exaltation de leurs sentiments. Cette disposi tion morale les conduit aux actes les plus bizarres, les plus audacieux, et quelquefois les plus criminels, pour satisfaire la passion qui les domine, que ce soit l'amour ou la haine, la jalousie, l'orgueil ou toute autre passion. Il peut arriver que ces actes, dénaturés par la rumeur publique,

les préventions locales ou les haines individuelles, donnent lieu à des plaintes, à des dénonciations, et, par suite, à des commencements d'informations judiciaires, qui, sans être très-graves, ont toujours l'inconvénient de porter à faux, et quelquefois d'être ridicules. Mais on peut voir aussi la justice égarée au point d'infliger des peines sévères à des innocents, tandis que le vrai coupable reçoit des ovations. C'est ce que l'on verra dans ma dernière observation. Les hystériques, comme les aliénés, mettent souvent la sagacité des magistrats et des médecins à la plus rude épreuve.

OBS. VI. Fille hystérique se faisant, dans ses attaques, des contusions qu'elle attribuail à d'autres causes. V. P..., âgée de 26 ans, brune, forte, œil vif, était sujette à des attaques d'hystérie assez fortes, pour lesquelles je l'ai soignée pendant longtemps. Elle était visitée quelquefois par des religieuses qui, I me rencontrant un jour non loin de la maison qu'elle habitait, me firent part de l'intérêt tout particulier qu'elles lui portaient à raison de ce que cette fille leur paraissait une sainte, une inspirée, une illuminée. Elles me dirent que leur opinion était fondée sur ce qu'elles avaient observé chez la jeune malade; elles me racontèrent, par exemple, que, dans une de leurs dernières visites, la fille P... avait présenté tout à coup un regard fixe, une figure radieuse, et elle avait interrompu brusquement la conversation. Qu'y a-t-il? Qu'avez-vous done? lui demandèrent les bonnes sœurs. - Je vois, répondit-elle, mon doux Jésus, qui vient à moi portant sa croix. Puis, tout à coup, ses yeux se fermèrent, son visage prit l'expression d'une indicible frayeur, et elle se mit à crier : Ma sœur, ma sœur, il tombe, il tombe, sa croix va l'écraser, allez donc le soutenir. Les bonnes sœurs, avec ce penchant irrésistible au merveilleux qui entraîne toutes les femmes, avaient déjà raconté cette histoire aux âmes pieuses de la ville, et V. P.. allait devenir l'hé roïne du jour. Elles ajoutèrent que la malade leur avait montré, sur divers points de son corps, notamment sur les cuisses, des taches noires provenant des contusions que le diable lui avait faites en la frappant rudement avec sa queue de fer, parce qu'elle ne voulait pas céder à ses tentations. Mais quel fut le désappointement des vénérables religieuses, quand elles virent que je souriais ironiquement, en leur disant qu'elles étaient dupes. En effet, ces taches noires, que la jeune hystérique attribuait à des coups de diable, venaient de ce que, dans

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